L’exposition Astérix au Musée de Cluny aurait-elle pu ne pas être nulle ?

Pour répondre à l’article de notre amie Syracuse Cat sur l’exposition Astérix au Musée de Cluny, j’avais pensé laisser un bête commentaire. Mais finalement c’est assez long pour faire une note de blog.
Inutile de reprendre les critiques que Syracuse Cat adresse à l’exposition, elles sont toutes très pertinentes. Même si je n’ai pas vraiment été dérangé par la mauvaise adaptation de l’exposition à l’espace gallo-romain qui lui était proposé, l’essentiel reste vrai : cette expo est nulle. Voir des planches originales d’Astérix n’est pas franchement passionnant, pour tout dire c’est juste bon à donner envie de relire les albums et on n’avait pas besoin de ça. Les seules pièces vraiment intéressantes, ce sont les notes préparatoires de Goscinny et les tapuscrits des scénarios.
Mais pourquoi diable cette expo est-elle si ratée ? Au fond, c’est exactement la question que l’on se posait à propos du dernier album d’Astérix, Le ciel lui tombe sur la tête [1] : mais pourquoi était-il aussi mauvais ? Comment une telle nullité a-t-elle pu passer l’étape de la relecture par l’éditeur ? Un ami qui s’y connaît un peu a répondu à cette question de manière fort intelligente : « Il n’y a pas de relecture. Albert Uderzo est son propre éditeur ». C’est tout le problème de l’édition à compte d’auteur, problème qui généralement reste cantonné aux mauvais recueils de poèmes, et qui est sans doute à l’origine de cette désastreuse exposition. D’après des renseignements collectés auprès d’un camarade infiltré à l’ARMMA [2], le Musée de Cluny et ses conservateurs n’ont pas eu leur mot à dire pour tout ce qui concerne la conception de l’exposition et sa réalisation scientifique, le Musée de Cluny se contente d’accueillir l’exposition dans ses murs. Notons que l’allusion à l’exposition sur le site du musée est plus que discrète et que la description qui y est attachée évite admirablement de tomber dans la publicité mensongère. Nul doute que si l’exposition avait été réalisée par les mêmes personnes qui avaient conçu l’exposition de l’an dernier sur Celtes et Scandinaves, Syracuse Cat et moi aurions été comblés.
Parce que faire une exposition culturelle et historique sur Astérix, c’est quand même une excellente idée qu’il est dommage d’avoir laissé gâcher par un auteur-éditeur incompétent. Qu’aurait-on pu faire à la place ? Pour commencer, il aurait été  envisageable d’étendre à l’ensemble de l’exposition ce qui a été fait sur les panneaux que les passants peuvent voir sur les grilles du musée côté boulevard Saint-Michel : mettre en évidence les références érudites discrètes qui parsèment l’oeuvre d’Astérix et les expliquer au profane. Ont en effet été installés, comme accroche à l’exposition, plusieurs grands panneaux mettant en regard une case d’Astérix et la peinture dont elle est le calque (Le Radeau de la Méduse de Théodore Géricault, le Portrait de Louis XIV par Hyacinthe Rigaud ainsi que deux ou trois autres). Les lecteurs adultes reconnaîtront sans doute que c’est la grande richesse d’Astérix de pouvoir être lu à plusieurs niveaux : quand on est tout petit, on apprécie les aventures exotiques, les batailles de poissons des villageois et les échecs à répétition des légionnaires romains. Un peu plus grand, on s’amuse de comprendre les significations des noms (Bonemine et Panoramix ça va, Déboitemenduménix c’est plus subtil).  Et pour le reste de sa vie, chaque fois qu’on relit un album, on comprend de nouvelles allusions (« sans commentaires » dans la bouche de Jules César, le Corse parlant de « sa grande armée », etc.). Une exposition permettant au visiteur de comprendre un peu mieux l’esprit et l’intérêt des aventures d’Astérix le Gaulois, ce serait quand même plus appréciable que quelques planches encrées alignées dans un bungalow.
Ce serait aussi rappeler utilement que la bande dessinée franco-belge de la seconde moitié du XXe siècle a souvent été faite par des gens cultivés et érudits à destination d’un public adulte autant qu’enfantin (l’exposition dit que Goscinny n’a jamais appris le latin, j’ai beaucoup de doutes là-dessus). Il peut paraître d’un autre âge de vouloir défendre aujourd’hui ce genre de reconnaissance mais ceux pour qui la bande dessinée est cantonnée au domaine du livre pour enfants sont encore puissants dans nos contrées. Un exemple : la Bibliothèque nationale de France a supprimé en septembre dernier l’excellent rayon de sa Bibliothèque d’étude consacré à la bande dessinée et à la recherche sur le sujet et ne l’a remplacé que par un rayon de la nouvelle section sur le livre pour enfant (exit Marjane Satrapi, exit Bilal, exit Ruppert et Mulot…).
Bref, si quelqu’un a l’idée de faire une vraie bonne exposition sur Astérix, il me semble qu’il reste plein de choses à  dire et à écrire (d’ailleurs Phylacterium attend un article d’Emmanuel T. sur la question).

1. Le ciel lui tombe sur la tête, Albert René, Paris, 2005

2. Association pour le Rayonnement du Musée national du Moyen Âge.

Published in: on 30 octobre 2009 at 13:14  Comments (8)  

Bulles à Saint-Malo

J’étais ce samedi au festival Quai des Bulles de Saint-Malo, l’un des principaux festivals de bande dessinée en France, rendez-vous que je manque rarement à cause de mes attaches avec la terre bretonne. Et l’idée m’est venue de faire un petit compte-rendu de cette journée (le festival était sur trois jours, mais mon emploi du temps ne m’a permis d’en profiter le seul samedi) tout en portant un point de vue critique sur la notion de festival de bande dessinée.
Car le « festival » est devenu, depuis maintenant vingt ans, le format traditionnel d’exposition au public, à grande échelle, du medium bande dessinée. Un festival de bande dessinée se veut une vitrine célébrant le neuvième art dans ses dimensions les plus diverses, qu’elles soient commerciales (car la BD est une industrie) et esthétique (car c’est aussi un art). Personnellement, j’éprouve toujours quelques réticences face à l’unanimisme de ce type d’évènement. Les organisateurs font des choix, et ces choix reflètent une vision de la bande dessinée. Je vais donc traquer les « visions de la bande dessinée » que j’ai pu trouver dans ma courte visite à Saint-Malo.

D’Angoulême à Saint-Malo
Ce sont là les deux festivals dont je suis coutumier. Ils font partie d’un vaste de réseau de festivals de BD que l’on trouve en France. Ce réseau s’est formé dans les années 1980 et 1990 à partir de l’exemple de l’aîné, le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, crée en 1974. Le FIBDI s’est rapidement imposé comme la manifestation principale ; d’abord à cause de son ancienneté, mais surtout parce qu’il a su attirer dès le départ des personnalités internationales de la BD : Hugo Pratt, qui dessine la première affiche, Burne Hogarth, Alain Saint-Ogan, Maurice Tillieux, Harvey Kurtzmann, Hergé et André Franquin notamment. Sa longévité s’explique pour deux raisons : une capacité à sortir de la simple évocation nostalgique en s’intéressant aux tendances actuelles et internationales ; un renforcement par la transformation d’Angoulême en une véritable ville de la BD : mise en place, à l’Ecole des Beaux-Arts, d’une section spéciale BD en 1982 et création du Centre National de la BD entre 1985 et 1990, avec une bibliothèque destinée à recevoir le dépôt légal des BD en association avec la BnF. Puis, les autres festivals sont venus progressivement : à Saint-Malo en 1981, à Blois en 1984, à Solliès en 1989, à Amiens en 1996, à Moulins en 2001… Et je n’en cite là que quelques uns. Les caractéristiques principales du réseau sont sa décentralisation et l’importance des structures associatives de passionnées qui en sont le plus souvent à l’origine. Il est intéressant de voir que dans un pays comme la France, marqué par une forte centralisation des activités culturelles autour de Paris, la BD fasse exception : nul festival international de BD à Paris, alors qu’Angoulême et Saint-Malo attirent des visiteurs ne venant pas uniquement de Charentes et de Bretagne. On trouvera plutôt dans la capitale des festivals plus spécifiques comme la Japan Expo, le festival BD Rock et le Festiblog. Le secteur culturel de la bande dessinée est de cette manière utilisée pour donner un élan à des villes de moindre taille. La passion de la BD s’étend ainsi sur toute la France, et il est possible que la multiplication et l’audience de ces festivals ont, dans les années 1980 et 1990, contribué à accélérer l’engouement pour le médium.

Angoulême et Saint-Malo sont deux lieux de la BD qui se répondent sur de nombreux plans. Si le FIBD, de par son rayonnement international et son audience (il affirme environ 200 000 visiteurs par an), se situe bien au dessus de Quai des Bulles, ce dernier demeure l’un des principaux festivals de BD parmi les « autres ». Il est bien souvent cité comme le « deuxième » festival de BD avec près de 30 000 visiteurs (pour comparaison, Bd Boum de Blois annonce 20 000, Festi’BD de Moulins 8 000, On a marché sur la bulle d’Amiens 6 000…). Indéniablement, aux hautes murailles surplombant la vallée de la Charente répondent les fortifications massives donnant sur la mer. Saint-Malo bénéficie en outre d’un autre festival important dédié à la littérature d’aventure et de voyage, Etonnants voyageurs, crée par l’écrivain Michel Le Bris en 1992 (lui à près de 60 000 visiteurs).

Un modèle unique ?
Paradoxalement, le grand nombre de festivals en France n’est pas forcément synonyme de diversité. Bien au contraire, avec Angoulême s’est crée un modèle canonique du festival de Bd qui a été ensuite reproduit selon les moyens de chaque organisation. La comparaison entre Angoulême et Saint-Malo m’a semblé frappante : les deux structures sont identiques, sans que je ne puisse affirmer qui a copié l’autre. Deux axes principaux les parcourent : d’une part une dimension commerciale et d’autre part une dimension pédagogique. Autour de ces deux axes se greffent quelques autres activités annexes. A Saint-Malo cette distinction entre commerce et pédagogie est clair : les exposants se trouvent dans une vaste tente, l’espace Duguay-Trouin, tandis que le vaste espace culturel appelé Palais du Grand Large accueille les diverses activités. Une même séparation existe à Angoulême.
La dimension commerciale est de loin celle qui m’intéresse le moins. Pourtant, elle est souvent la base d’un festival de BD, pour des raisons, on le comprendra, purement financières. La ville se transforme l’espace d’un week-end en un vaste marché de la BD avec ses exposants, ses auteurs en dédicaces et ses sorties en avant-première. Les stands soulignent bien souvent la hiérarchie entre les différentes structures éditoriales. Ainsi, si les « grands », Glénat, Soleil, Dargaud, Dupuis, Le Lombard, Delcourt, disposent de vastes espaces et mènent à la baguette les dédicaces au moyen de tirage au sort, de tickets limités, et d’obligation d’achats, les petits et moyens éditeurs ont des stands bien plus modestes et s’associent parfois sur un même espace. La dimension commerciale est le moteur du festival, puisque la plupart des visiteurs viennent pour des dédicaces et des achats, comme à un salon de l’auto. Les stands de libraires et d’éditeurs constituent dans le moindre festival de BD l’unité centrale.
A côté de cela, pour équilibrer la balance et rappeler que la BD n’est pas qu’une industrie, les festivals de Bd se sont dôtés d’espaces pédagogiques dont le but premier est de faire découvrir au public des auteurs, des éditeurs, des albums, un pays ou un thème… Plusieurs modalités sont choisies : les expositions et les rencontres/conférences étant les plus courantes ; plus rarement trouve-t-on de véritables débats. Angoulême disposent de moyens pour organiser ce type d’évènement permettant d’aller au-delà de la dimension commerciale : le CNBDI, actuellement Cité de la Bande Dessinée, est une structure ancienne et solide. L’édition 1999 du festival avait été l’occasion d’organiser un débat sur les cinquante ans de la loi de 1949, débats réunissant des historiens de la Bd et ayant donné lieu à un ouvrage de référence sur le sujet, On tue à chaque page. Mais si le FIBD peut se permettre de tels évènements, les autres festivals, en des lieux plus modestes qui ne sont pas capitales de la BD, se limitent à des expos et à quelques conférences.

On pourrait enfin citer d’autres activités étoffant encore le contenu. Elles sont toutes présentes à Angoulême et éventuellement dans les autres festivals. Je passe rapidement sur les rencontres po-amateurs qui permettent à de jeunes auteurs de présenter des projets au représentant d’un éditeur, sur les concours « jeunes talents » qui se sont multipliés ces dernières années (à Angoulême, Saint-Malo, Moulins…) et sur les ateliers professionnels ; tous ces exemples d’adressent au public plus restreint des dessinateurs amateurs. Je passe aussi sur l’incontournable remise de prix permettant d’intégrer, au-delà de la relation éditoriale, des auteurs au fonctionnement du festival, puisque dans le cas du FIBD, le Grand Prix devient l’organisateur du prochain festival, tandis que le Grand Prix de Quai des Bulles doit réaliser l’affiche de l’année suivante. La remise de prix se veut ainsi un point culminant de l’évènement auprès du public, une manière de créer un rythme et un suspens.
Ce qui m’intéresse surtout, c’est la manière dont ces festivals tentent d’intégrer la bande dessinée à d’autres domaines culturels, pour mimer durant un week-end une sorte de monde de la culture qui tournerait autour de la BD. Deux exemples, tirés du FIBD et de Quai des Bulles.
D’abord l’intégration de la BD au sein d’un univers de l’image, en intégrant des projections cinématographiques au festival. Le dernier FIBD présentait plusieurs longs-métrages d’animation en avant première : Brendan et le secret de Kells, le sens de la vie pour 9,99 euros, Ponyo sur la falaise, Bleach… Quai des Bulles passe tous les ans une demi-douzaine de films sur un thème (cette année : les monstres), en ne se limitant pas aux films d’animation.
En 2005, la programmation du FIBD présente pour la première fois un « concert de dessins ». Une performance scénique durant laquelle un dessinateur dessine en direct, accompagné par un musicien. L’idée d’allier spectacle musical ou théatral et BD est devenu un incontournable des festivals de BD, là aussi selon les moyens de l’organisation. A Angoulême, les spectacles de ce type se sont multipliés : l’idée du concert de dessins est resté (l’année dernière avec comme vedettes Brigitte Fontaine, Arno, Arthur H et Rodolphe Burger) et s’y est ajouté l’impro BD (match d’improvisation théâtrale et de dessin). A Saint-Malo a eu lieu cette année un un ciné-Bd-Concert dans le même espri : un album de Bézian, Garde-fous était projeté sur un écran au son du groupe Sayag Jazz Machine. En proposant des activités qui ne sont pas liées au seul univers de la BD, les festivals espèrent sans doute attirer un autre public, le faire venir à la fois au festival, et peut-être à la BD.

La BD, c’est bien

Voilà pour une présentation de l’état actuel des festivals de BD, marqué par le tropisme du festival d’Angoulême. Beaucoup de festivals, au revenu plus modestes, restent fidèles à la formule dédicaces/expositions/remise de prix. Au contraire, Saint-Malo et Angoulême, à travers la diversification du champ culturel de la BD qu’ils proposent tous les deux, se rapprochent.

La meilleure définition d’un festival de BD tel qu’il se présente actuellement est la notion de « célébration ». Le mot d’ordre est que, sans hésitation, la BD c’est bien. C’est là ce que je regrette parfois, à Saint-Malo comme à Angoulême : l’absence d’un esprit critique, d’un recul vis à vis de ce qu’on célèbre. Le FIBD a bâti son succès sur cet unanimisme qui gomme les frictions pouvant exister au sein du monde de la BD, du moins est-ce là ce que je ressens chaque fois que je me rends, fin janvier, dans la capitale de la BD. Et l’impression m’est revenue à Saint-Malo en me baladant entre les expositions.
Ainsi citerai-je l’exposition organisée pour les cinquante ans d’Astérix, consacrée au dessinateur Albert Uderzo. Uderzo y est dépeint comme un « immense artiste », au talent précoce, « totalement autodidacte », « artiste complet », capable d’absolument tout graphiquement parlant. Et l’exposition de faire une bonne publicité aux marques de figurines d’Astérix (Plastoy, Leblon et Delienne…). Même chose pour l’exposition consacré au quarante ans de l’éditeur Glénat, exposition réalisée par Henri Filipinni (qui se trouve être directeur de collection chez Glénat, justement). Là encore, les bienfaits que Jacques Glénat a répandu dans le monde de la BD sont soulignés : réédition de vieux classiques dans les années 1970, revalorisation de la bd d’aventure dans les années 1980, introduction avant tout le monde du manga dans les années 1990, ainsi que renouvellement de la presse jeunesse avec Tchô !. Ce qui m’a rappelé l’exposition consacrée aux deux organisateurs du FIBD 2009, Dupuy et Berberian, composée principalement de planches de leurs albums, davantage présentation du travail des deux auteurs qu’analyse critique et raisonnée de leur production.
Je m’opposerais à moi-même deux objections. D’abord rien n’oblige une exposition à être forcément être intelligente ; elle peut très bien se contenter d’être laudative et promotionnelle. A cet égard, l’expo Glénat de Saint-Malo tentait de trouver l’équilibre entre une dimension hagiographique et une volonté pédagogique ; et, de fait, j’ai beaucoup appris sur Glénat en sachant lire entre les lignes. Et puis surtout, je ne doute pas de la place qu’occupe Jacques Glénat, Albert Uderzo, Dupuy et Berberian, dans l’histoire de la BD. Mais leur parcours n’est pas tout blanc, et je suis très sceptique, par exemple, face aux derniers albums d’Astérix réalisés par Uderzo seul, ou face à la multiplication des séries trop souvent identiques de « bd ésotériques » chez Glénat. Je reprocherai d’une façon générale la vision par trop subjective proposée par les expositions des festivals de BD, comme si le contexte de célébration du médium faisait taire les voix critiques et les réserves pouvant s’élever. Je me souviens bien de l’exposition sur la BD en Argentine lors du FIBD 2008 : là, j’avais vraiment eu la sensation d’apprendre quelque chose et pas seulement d’assister à une parade promotionnelle. A trop vouloir promouvoir un média qui a longtemps été déconsidéré, on en gomme les aspérités et on oublie d’en proposer une vision alternative, moins consensuelle.

Heureusement, pour me consoler, il y a eu lors de Quai des Bulles une excellente conférence du dessinateur Joe G. Pinelli présentant sa future adaptation (très future, puisqu’il n’a pas encore d’éditeur) du film de Carlo Rim L’armoire volante et analysant en détail le dialogue qui s’établissait entre deux langages de l’images, le langage du cinéma et le langage de la BD, et les limites et possibilités du second par rapport au premier. J’ai eu là la sensation qu’on me parlait de BD de façon intelligente, et qu’on ne me traitait pas forcément comme un consommateur venu faire ses emplettes.

Published in: on 27 octobre 2009 at 20:46  Laissez un commentaire  

Blogs bd : l’illusion autobiographique

Pour lire l’intro : intro
Pour lire la première partie : définir un blog bd
Pour lire la deuxième partie : petite histoire des blogs bd français
Pour lire la troisième partie : blogs bd face à l’édition papier
Pour lire la quatrième partie : La blogosphère bd comme communauté
Pour lire la cinquième partie : Le Bien, le Mal, et les blogs bd

On a souvent rapproché le phénomène français des blogs bd avec le courant de la bd autobiographique. C’est notamment l’un des plus éminents représentants de ce courant, Fabrice Neaud, qui, dans une interview en ligne sur le site de l’éditeur d’Ego comme X, critique les blogs bd justement en les analysant comme intégrés au genre autobiographique. J’ai donc décidé de m’atteler à cette question en apportant une précision initiale : je vais occulter le temps de cet article tous les blogs dans lequel l’auteur ne raconte pas sa vie (et ils sont nombreux). Le récit par un auteur de sa propre vie est en effet la définition traditionnelle de l’autobiographie. Je reprends celle de Philippe Lejeune, théoricien du genre : (site : http://www.autopacte.org/ ) « le récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité. » (le « en prose » étant ici à ignorer, naturellement). Dans l’absolu, beaucoup de blogs bd qui se présentent comme une forme numérique d’un carnet de bord, d’un journal (que je n’ose pas appeler intime en raison de sa publicité) semblent correspondre à cette définition. Un auteur-dessinateur présente au public sa vie. La réalité m’est apparue plus complexe et ce n’est pas en approfondissant l’autobiographie dans ce sens traditionnel que certains blogueurs ont développé des oeuvres originales. C’est l’avis d’un non-spécialiste en matière d’autobiographie, j’espère donc ne pas commettre de trop grosses erreurs.
Après reflexions, j’en suis donc arrivé à deux conclusions :
1.Il y a sans aucun doute des rapprochements à faire entre le genre de la bd autobiographique « historique » et le particularisme français du succès des blogs bd comme forme d’auto-édition en ligne. Mais considérer pour autant les blogs bd comme relevant du genre autobiographique est une confusion. Il serait plus exact de dire que les blogs bd utilisent des moyens d’expression mis au jour par les dessinateurs autobiographes, mais sans aller aussi loin qu’eux.
2.Certains blogs bd se donnent justement pour tâche de gérer le grand écart entre récit de vie et fiction par des créations qui vont au-delà de l’autobiographie.

L’apport formel de l’autobiographie dessinée française

Je commence simplement un petit rappel sur l’évolution historique de la bd autobiographique, que je tire d’un article de Thierry Groensteen dans Neuvième art n°1. Le genre se développe d’abord aux Etats-Unis dès les années 1970 avec des auteurs reconnus qui décident de se consacrer à l’autobiographie dessinée : Art Spiegelman (auteur du célèbre Maus en 1972), Robert Crumb et Will Eisner. A l’inverse, en France, si certains auteurs comme Gotlib et Moebius se mettent déjà en scène, il faut attendre les années 1990 pour que se développe un véritable courant autobiographique au sein de la bd française, généralement chez de jeunes auteurs et des éditeurs indépendants. Les noms qui viennent à l’esprit sont d’abord ceux de Max Cabanes et Baudouin pour les aînés, puis Fabrice Neaud, Jean-Christophe Menu et Lewis Trondheim dans la jeune génération. L’objectif de ces oeuvres autobiographiques est une réflexion approfondie sur le Moi, une exploration du destin et de la personnalité respective des auteurs. Nous sommes donc en présence, en particulier avec Le Journal de Fabrice Neaud, d’oeuvres autobiographiques exigeantes répondant à la définition littéraire du genre, si l’on considère celle de Philippe Lejeune citée plus haut. Ainsi sont apparus de véritables oeuvres autobiographiques dessinées, et ce courant n’a fait que s’étendre depuis les années 1990, avec de nouveaux auteurs s’attaquant à l’analyse de leur vie, comme Manu Larcenet, Joann Sfar, Marjane Satrapi (même si le terme d’autobiographie n’est pas tout à fait exact) ou Aude Picault.
En citant ces derniers auteurs, je fais volontairement un parallèle entre deux générations, la première ayant inspiré la deuxième. Il me semble pertinent de considérer que l’écho rencontré chez la jeune génération par Sfar et Trondheim et leur « carnets » (édités à l’Association) ait pu avoir un impact sur l’évolution du phénomène des blogs bd. Lewis Trondheim, en particulier, tenant lui-même un blog et étant fortement soupçonné d’être l’auteur du blog de Frantico, a pu jouer un rôle important. Je souligne d’autant plus son rôle que les blogs qu’il a contribué à éditer dans sa collection chez Delcourt ont pour beaucoup une dimension autobiographique.

Ces auteurs, dans leurs carnets, ont mis au point des techniques graphiques dont se servent les blogueurs bd. Le plus important de ces éléments est sans doute la banalisation de l’idée de l’autoreprésentation graphique, qui autorise un dessinateur à se représenter et surtout à se représenter comme un personnage de bd, c’est-à-dire de façon reconnaissable pour le lecteur. Baudouin, Trondheim, Sfar, Neaud, Larcenet utilisent ce type d’avatar, de façon plus ou moins directe. Je parlerais une fois de plus de Trondheim (vous allez dire que c’est une obsession chez moi…) qui est connu pour se représenter en oiseau au bec crochu, de telle façon qu’on reconnaît immédiatement le personnage-Trondheim. Les blogueurs bd ont repris le principe de l’avatar dont l’objectif principal n’est pas d’être réaliste, mais d’être reconnaissable par le lecteur en tant que personnage récurrent censé représenter le dessinateur auteur du dessin. Cet avatar se dotant, dans sa version numérique, d’un pseudonyme qui contribue à le hisser au rang de personnage.
Le second élément qui me semble important à souligner est l’exaltation d’un récit du quotidien, même dans sa trivialité. La voie dans ce sens a été ouverte par Lewis Trondheim. Neaud souligne d’ailleurs que de nombreux blogs (il a tendance à généraliser) reprennent la structure formelle de l’autobiographie humoristique qui est celle de Trondheim dans ses carnets, reprises pour son blog (vous pouvez suivre la structure en reprenant un gag du blog de Trondheim : http://www.lewistrondheim.com/blog/ ). Cette structure est la suivante : le héros-auteur est confronté à une situation surprenante mais vécue dans son quotidien qui l’amène à une réflexion intérieure. Cette réflexion donne lieu à chute humoristique dont le comique vient le plus souvent de la constation de sa propre vacuité. Le lecteur est pris à parti lors de la chute. C’est évidemment là un canevas initial sur lequel on peut broder. Mais force est de constater que les blogueurs de la première génération comme Boulet et Pénélope Jolicoeur y font appel, et que le schéma perdure dans d’autres blogs. Trondheim, avec ses carnets, a rendu possible de dessiner le quotidien, même dans sa plus grande trivialité et son absence la plus totale d’intérêt et d’exemplarité.

L’autobiographie malmenée : une vision superficielle

Le blog bd pourrait se rapprocher d’une forme particulière de l’autobiographie, le journal de bord, notamment par la forte présence de la contrainte temporelle et de l’immédiateté dans la retranscription des faits et des pensées. La forme du « blog » offre la potentialité d’un tel exercice où l’auteur se livrerait face à ses lecteurs tout en essayant de réfléchir sur lui-même (le genre du journal intime en ligne existe d’ailleurs, et a même sa revue, http://journalintime.com/archives/sites/clavint/ ). Or, cette potentialité n’a pas véritablement été saisi par les blogueurs. Je ne connais pas, à l’exception peut-être du blog d’Esther Gagné (http://lanternebrisee.net/) de blog dans lequel soit présent, de façon récurrente et même obsédante, une réflexion sur le Moi, sur l’intime… Pour cette raison, les blogs bd, tels qu’ils se sont développés, me semblent être une illusion d’autobiographie plutôt que relever véritablement du genre. Les blogueurs empruntent certes les ressources formelles des dessinateurs autobiographes, mais sans aller aussi loin dans l’introspection. On ne retrouve alors que très peu chez les blogueurs bd une exigence de vérité face aux lecteurs, d’où l’émergence du quotidien, plus superficiel, moins révélateur, avec souvent une volonté d’interpeler le lecteur : « alors, toi aussi tu as vécu ça, n’est-ce pas ? ». Les blogs bd reprennent les formes de l’autobiographie dessinée, mais avec une vacuité (volontaire ?) dans le propos. Il est davantage vécu comme un outil de communication que comme un outil de réflexion sur Soi. On ne retrouve pas la trace de ce « pacte » autobiographique théorisé par Lejeune, que l’auteur fait avec son lecteur, jurant de lui dire la vérité à la manière du Rousseau des Confessions, pour que sa vie serve d’exemple.
Il faut donc un peu d’indulgence et une définition élargie pour que le blog bd soit considéré comme une forme indirecte d’autobiographie. Dans son blog, le dessinateur livre sa personnalité, soit sous forme de récit de vie, soit par de simples dessins qui, sans rien raconter, sont porteurs de sens. De même, le graphisme du site, l’ajout éventuels d’outils d’expression face aux lecteurs (commentaires, radio blog, boutique), fait du blog une page réellement personnelle. Il y a introduction du lecteur dans la vie du dessinateur, ou du moins dans une partie choisie de sa vie.

L’autobiographie comme prétexte
Alors qu’apporte les blogs bd à la notion d’autobiographie ? Je n’ai pas abandonné ma réflexion sur un constat d’échec. Je vais donner ici deux exemples de tendance qui se sont affirmés chez les blogueurs, tendances qui témoignent d’une interrogation (souvent embryonnaire mais néanmoins présente) autour de l’écriture du Moi et de sa publication auprès du public.
Le premier exemple tient aux blogueurs qui utilisent l’autobiographie comme pretexte pour aller au-delà du quotidien. Cela peut être, d’une manière très simple, le pretexte autobiographique pour témoigner soit d’un métier (comme Martin Vidberg dans Journal d’un remplaçant, la publication de son blog), soit d’une situation politique (propos des blogs de Nicolas Wild, http://nicolaswild.blog.lemonde.fr/ ). On est alors plutôt dans le registre documentaire.
Mais surtout, dans d’autres blogs, l’exaltation du Moi est remplacé par l’exaltation de l’imaginaire créateur du dessinateur. C’est là tout le propos du blog de Boulet, et sans doute son originalité et sa force. Dans ses notes, Boulet explore son propre imaginaire, ouvre des portes, part du quotidien pour en faire de l’extraordinaire. Beaucoup de ses notes sont basées sur le principe du « et si », qui permet ensuite à l’imagination de décoller vers d’autres univers, de partir d’une situation réelle pour créer de la fiction. Comme dans cet exemple (http://www.bouletcorp.com/blog/index.php?date=20081209) où une invasion de limaces est l’occasion d’une interminable saga, ou encore dans cette brillante analyse de Noël (http://www.bouletcorp.com/blog/index.php?date=20081226 ). Romain Ronzeau, dans une de ses notes, traite aussi de la difficulté pour le blogueur de s’échapper de la narration banale du quotidien qui caractérise le blog, (http://commedesguilis.blogspot.com/2009/06/histoire-banale-du-quotidien.html ). Il y a dans certains blogs une réflexion entre la réalité et la fiction, le dessin étant vécu comme une manière d’exagérer le réel pour le rendre extraordinaire, puisqu’il autorise toute dérive par rapport au vécu.
Peut-être peut-on rapprocher ce type de développement de la notion d’autofiction, née dans les années 1970 pour qualifier des écrits ayant l’apparence de l’autobiographie (identité narrateur/auteur) mais relatant des faits inventés, parfois en partant d’une base réelle.

L’autobiographie comme jeu aux multiples lectures

Enfin, un dernier aspect mérite d’être évoqué : le cas des faux blogs bd, c’est-à-dire les blogs mettant en scène des personnages fictifs mais prétendant être des blogueurs bd. Trois exemples concrets : le journal d’un lutin d’Allan Barte (http://laviedulutin.over-blog.com/ ), le blog de Maliki par Souillon (http://www.maliki.com/), le blog des Chicou-Chicou (http://www.chicou-chicou.com/). Dans ces blogs, de vrais dessinateurs mettent en scène de faux dessinateurs et livrent une sorte de parodie de blog bd.
L’aspect parodique est particulièrement flagrante dans le journal d’un lutin, puisque l’auteur est censé être un enfant de 8 ans. Allan Barte utilise donc une esthétique enfantine : dessin simpliste, support de cahier quadrillé, humour régressif. Là aussi on retrouve une réflexion sur la différence entre fiction et réalité, poussée à bout puisque le lecteur est volontairement floué. Le blog de Maliki détourne ainsi le cliché du « blog de filles » : l’auteur supposé est une jeune fille racontant ses états d’âmes, sa vie quotidienne, (et le motif si caractéristique du « chat mignon » parodie certains blogs féminins). A partir de ce postulat de départ, Maliki s’inscrit dans tout un monde avec des personnages fictifs et magiques, tel son alter ego Ladybird possédant des superpouvoirs. Enfin, Chicou-Chicou est un blog tenu entre 2006 et 2008 par cinq dessinateurs (Boulet, Aude Picault, Domitille Collardey, Lisa Mandel et Erwann Surcouf) mettant en scène cinq amis d’enfance racontant leur vie à Chateau-Gontier. Chacun d’eux à son propre style de dessin qui reflète sa personnalité. Le blog a été édité sur papier en 2009.
Alors le blog bd devient un jeu graphique, un véritable projet construit, puisqu’il s’agit d’interpréter une nouvelle personnalité par le dessin, en imaginant comment ce personnage dessinerait. La notion d’avatar dessiné, propre à l’autobiographie graphique, est détournée pour une production ambiguë. La fille aux oreilles pointues et aux cheveux roses de Maliki pourrait correspondre à l’avatar d’une blogueuse fan de manga. La confusion est livrée telle quelle au public, sans véritable explication et rien, sur le blog, ne laisse supposer la supercherie. De même que le narrateur du Côté de chez Swann n’est pas Proust, les dessinateurs de Chicou-Chicou ne sont pas Frédé, Ella, Fern, Juan et Claude. C’est une synthèse tout à fait réussie entre le webcomic et le blog bd.

En partant d’une forme initiale de journal numérique, en utilisant les ressources offertes par leurs aînés autobiographes, les dessinateurs de blogs bd ont tantôt livré une version superficielle de l’autobiographie, tantôt dépassé l’ancrage à la réalité quotidienne qui caractérise souvent le blog pour s’en servir comme d’un tremplin vers des vies rêvées.

Quelques ouvrages cités pour aller plus loin :
Edmond Baudouin, Passe le temps, Futuropolis, 1982
Jean-Christophe Menu, Livret de Phamille, 1995
Fabrice Neaud, Le Journal, Ego comme X, 1996-2002 (4 tomes)
Lewis Trondheim, Carnet de bord, L’Association, 2001-2004 (4 tomes)
Allan Barte, La vie du lutin, Delcourt, 2006-2007 (2 tomes)
Chicou-Chicou, Delcourt, 2009
Aude Picault, Transat, 2009

Published in: on 21 octobre 2009 at 18:56  Laissez un commentaire  

Le Bien, le Mal, et les blogs bd

Avant de commencer, un petit lien vers le site d’Annaïg, http://ninonbd.over-blog.com/ qui a travaillé pendant un an sur la BD numérique et a mis en ligne ses intéressantes conclusions.

Pour aujourd’hui, un article un peu plus atypique sur les blogs bd autour d’une question que le phénomène illustre particulièrement bien : la notion de qualité est-elle pertinente dans le cas des blogs bd ? En gros, dans quelle mesure peut-on juger qu’un blog est bien, de façon absolue et pas seulement parce qu’il nous plaît à titre personnel. Non seulement cette question de la qualité des blogs est extrêmement délicate, mais elle est rendue d’autant plus aiguë par la nature des blogs. D’abord parce qu’un blog bd, je pense l’avoir démontré, ne répond pas à une seule définition, et donc à un seul critère de qualité. Ensuite parce que sur son blog, un dessinateur livre des dessins souvent plus personnels et libres que ceux qu’il pourrait publier via un éditeur, où, et c’est le rôle de l’éditeur, un jugement extérieur précède et conditionne la publication, ce qui n’est pas le cas sur le blog. Enfin, l’interactivité inhérente à Internet et surtout aux blogs, via le système de commentaires, introduit un rapport de proximité entre les lecteurs et le dessinateur, laissant les avis les plus divers s’exprimer, et en particulier des avis dont les critères de sélection sont parfois flous voire malhonnêtes. Le blog est jugé sur son contenu, sur les dessins, mais aussi parfois sur la personnalité du blogueur. Le jugement des autres est bien souvent omniprésent sur un blog, justement via les commentaires.
Je me suis efforcé jusque là dans mes articles de ne pas juger les blogs et de ne pas donner mon avis sur la qualité de tel ou tel blog… Mais je ne pourrais pas m’empêcher de terminer cet article sur quelques blogs « coup de coeur ». Une conclusion idéale, me semble-t-il.

La hiérarchisation des blogs

Pourquoi se poser la question, me direz-vous ? Elle m’est venue en constatant que, en 5 ans, une hiérarchisation s’est faite de facto entre les blogs. J’ai trouvé intéressant de réfléchir aux données de cette hiérarchisation et aux critères sur lesquels elle a pu se faire.
Le première critère, le plus évident, est lié à la publicité des blogs. La hiérarchisation se fonde sur l’audience du blog et permet de distinguer les « blogueurs connus », stars de la blogosphère comme Pénélope Bagieu, Boulet, Laurel, Martin Vidberg, des blogueurs plus anonymes et moins compétents. L’inflation incroyable de la blogosphère depuis 2005-2006 a poussé à une sélection pour orienter l’internaute.
Lorsqu’est apparu le classement wikio des blogs bd, (http://www.wikio.fr/blogs/top/bd), un nouveau critère est apparu, propre à internet, celui de l’autorité des blogs. Comme il est expliqué sur ce classement, « La position d’un blog dans le classement Wikio dépend du nombre et de la valeur des liens qui pointent vers lui. » et « De plus, la valeur de chaque lien dépend du classement du blog qui le poste. ». La liste recherche donc une certaine objectivité et une représentativité pour présenter des blogs influents au sens numérique du terme : qui ont non seulement de l’audience mais surtout qui sont reconnus comme des références par les sites du même type. Ainsi retrouve-t-on, dans ce classement, des blogs connus : Pénélope Bagieu, Martin Vidberg, Margaux Motin, Boulet, Pacco pour citer les « stars » de ce mois-ci (mais ce classement varie en général assez peu).

A partir du moment où l’on commence à classer les blogs, il faut commencer à s’interroger sur la pertinence de ce classement. Et ce d’autant plus que cette hiérarchisation à des conséquences indirectes lors d’évènements comme le Festiblog qui, forcément, sélectionne ses invités. Etre invité au festiblog est vécu pour la plupart des blogueurs comme une consécration de leur travail. Ces blogueurs connus seront ceux que l’on contactera pour des interviews, des interventions, et parfois des publications. La hiérarchisation a donc une influence sur la carrière des dessinateurs. Il faut lier ce phénomène au contexte du star-system traditionnel du monde de la culture qui confond bien souvent visibilité et qualité, à cause duquel certains talents se retrouvent masqués derrière des « stars » proclamés. C’est bien sûr moins le cas dans la blogosphère où, bien souvent, les blogueurs acquièrent une certaine notoriété justement suite à un travail régulier et susceptible de plaire.
Mais le problème de la hiérarchisation se pose de façon encore plus aiguë dans le cas de blogsbd.fr, principal site de référencement des blog bd français qui possède, lui aussi, ses propres critères. J’ai déjà amplement présenté ce site dans mes articles précédents. Régulièrement reviennent des débats sur le rôle, et surtout le monopole de blogsbd.fr, qui est, en effet le principal (car le plus utilisé, mais pas le seul) portail d’accès vers des blogsbd. Car, sans forcément le vouloir, en créant son site, Matt a offert son jugement personnel comme un critère absolu. Matt répète pourtant à chaque polémique que blogsbd.fr ne vise pas à présenter objectivement et égalitairement des blogs, mais qu’il s’agit de son site personnel, où ses goûts se réflètent. La sélection « Officielle », qui s’affiche sur la page d’accueil et est limitée à 100 blogs est présentée ainsi : « Liste de 100 blogs BD élaborée par le webmaster du site, mélange d’incontournables et de goûts personnels. ». L’idée de « goûts personnels » est suffisamment clairs, mais celle « d’incontournable » se réfère bien souvent au classement d’autorité cité plus haut (ainsi retrouve-t-on Boulet, Pénélope Bagieu, etc.). Récemment, justement, la sortie de Laurel de cette sélection officielle a conduit à des interrogations dans les commentaires de son blog, car beaucoup considère Laurel comme une « incontournable » de la blogosphère, l’une des fondatrices du mouvement. La gratuité du service fourni par Matt lui laisse le libre choix de gérer son site comme il l’entend. Or, Matt a, sans le vouloir, une responsabilité dans le succès de certains blogs. Il y a alors une forte ambiguité de blogsbd.fr : à la fois site personnel n’ayant aucune obligation d’objectivité et site de référence utilisé par beaucoup de lecteurs de blogs qui s’en servent comme un outil de sélection des blogs qu’ils vont lire.

N’oublions pas non plus que le phénomène des blogs bd a généré un cliché inversé qui représenterait le degré zéro du blog bd : un blog dont le propriétaire parlerait de ses chats, de sa vie sentimentale, de ses fringues, ou encore prendrait pretexte du moindre événement insignifiant pour en faire une note. Bastien Vives utilise ce cliché dans ce strip acide sur les « blogs de filles » : http://bastienvives.blogspot.com/2008/12/mercredi-lorsque-lon-sent-la-caresse.html ou encore dans cet autre strip sur « le gag » : http://bastienvives.blogspot.com/2009/06/dimanche-lorsque-un-peintre-surfacique.html. On peut alors en déduire qu’un des critères de qualité d’un blog bd serait de dépasser le stade du blog personnel n’ayant pas d’autre intérêt que pour soi-même, mais ayant un intérêt pour ses lecteurs.

Présence du jugement : les commentaires

Il existe justement sur les blogs un système de commentaires dont le rôle est d’autoriser un avis critique. Un argument souvent avancée par les blogueurs à la question du but de leur blog est l’idée d’avoir des retours variés sur leur travail. Via le système des commentaires, présents sur presque tous les blogs, les lecteurs peuvent, ou non, donner leur avis. Pour cette raison, le jugement est très présent sur le blog, soit uniquement dans les commentaires, parfois aussi dans les notes du blogueur, lorsqu’il prend à parti ses lecteurs ou répond directement à une question. Dans une situation idéale, donc, le dessinateur poste une note, et les lecteurs donnent leur avis de façon constructive, lui apportant des conseils.
Je parle ici dans une situation idéale, car bien souvent, les critères de jugement des commentateurs ne sont pas parfaitement constructifs. Il faut d’abord considérer les « trolls » : commentateurs agressifs qui, pour d’obscures raisons, arrosent systématiquement les notes d’appréciations négatives voire injurieuses touchant parfois à la personnalité du blogueur plus qu’à son dessin. Surtout, les remarques positives du type « c’est très bien, continue », sont certes très encourageantes mais pas forcément constructives. Il existe pour des commentaires plus construits et utiles des forums, dont le plus célèbre est celui de Cafésalé, mais le format des commentaires de blog s’avère souvent corrompu ou insuffisant pour permettre d’être toujours pertinent. Je ne connais à vrai dire pas l’avis des blogueurs sur le sujet, pour savoir s’ils tiennent comptes des commentaires…
A travers les commentaires, il y a une présence du jugement qualitatif directement sur le blog, de façon publique. Là encore, on voit bien que les blogs bd ne sont pas détachés de tout jugement. Or, ce jugement des lecteurs est profondément subjectif, lié à une impression personnelle.

Peut-on juger les blogs bd ?
Et pourtant, il me semble que plusieurs arguments viennent montrer que, malgré l’existence de hiérarchisation et de jugements, les blogs bd se prêtent mal à un jugement qualitatif.
L’argument le plus flagrant, à mon sens, est la gratuité. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : ce n’est pas parce que quelque chose est payant (a une valeur marchande) qu’il est de qualité, et inversement. La gratuité n’implique pas forcément la médiocrité, et les débats autour d’internet, parfois dressé en symbole d’une gratuité idéale, tournent souvent autour de ce point. Beaucoup de contenus internet gratuits sont d’une qualité supérieure à leur homologue payant. Mais en revanche, la gratuité n’encourage pas non plus à la qualité, ne serait-ce que pour des raisons bassement humaines. On ne peut pas demander des comptes à un blogueur qui ne poste pas régulièrement une planche complète et, bien souvent, l’argument revient selon lequel le blog étant un espace de libre expression, le dessinateur peut y mettre ce qu’il souhaite, et ceux à qui ça ne plait pas ne sont pas obligés de venir lire. Argument tout à fait recevable, justement à cause de cette gratuité : le lecteur est libre de prendre ou de laisser. Rien n’oblige un blogueur à soigner particulièrement son dessin : tout dépend de l’impression qu’il souhaite donner. La gratuité offre donc une évidente liberté au blogueur qui ne doit pas se plier à un certain nombre de contraintes ; un rapport plus sain au dessin, vécu comme une passion plutôt que comme un travail.
D’autre part, beaucoup de blogs bd existent pour un cercle restreint de lecteurs, famille et amis. Il faut donc faire deux poids deux mesures entre les différentes catégories de blogueurs bd et ne pas juger de la même manière le blog d’un dessinateur professionnel comme Boulet (voir lien sur le côté), ayant suivi une formation artistique et celui d’un jeune étudiant amateur de dessins et de mangas. Là encore, ça ne veut pas dire qu’il n’y ait pas des talents à découvrir dans les jeunes dessinateurs amateurs (c’est le but des « jeunes talents » du Festival d’Angoulême (http://www.bdangouleme.com/fibd-31-concours-jeunes-talents-2010)). Mais il est clair qu’on ne peut juger ces deux types de blogs sur les mêmes critères. S’ils étaient tous deux publiés, sans doute pourrait-on les juger, mais le format blog bd brouille les codes de lecture et rend valable à la fois un blog professionnel et un blog amateur.
Au final, il n’existe pas de véritables critères objectifs pour juger d’un blog et les seuls jugements qui interviennent sont subjectifs et personnels. Le problème du blog est que, comme beaucoup d’autres choses sur Internet, il est coincé entre la sphère publique (puisque publié sur internet) et la sphère privée (en tant qu’espace plus personnel). L’idée d’une hiérarchisation des blogs me semble absurde et dénué de sens dans la mesure où la part d’implication personnelle pousse à une trop grande diversité de formules et de choix. Un exemple frappant est celui des blogs adoptant un style relâché (et je ne veux pas dire par là que leurs auteurs passent trop peu de temps sur les notes). Le blog de Mélaka http://www.melakarnets.com/, par exemple, se présente justement comme un carnets de notes pris sur le vif et donc par essence moins travaillé qu’une véritable planche. De même, les blogs d’anonymes à l’audience restreinte peuvent difficilement être jugés, car l’intérêt qu’ils peuvent avoir et qui pourrait paraître limité est lié à un public fait avant tout d’amis, et donc à des exigences moindres. Il faut tout de même rendre hommage aux nombreux blogueurs qui dessinent de véritables planches sur lesquels ils peuvent passer des heures et les offrent au public sur internet…

La validité du critère de goût est ce qui sépare le webcomic du blog bd : un webcomic est un objet conçu comme l’aboutissement d’un travail de création rendu présentable au public ; il est sujet à un jugement sur sa qualité. Au contraire, la note de blog est un instantané dans lequel intervient la subjectivité ; chaque blogueur envisage à sa manière son blog, de même que chaque lecteur a sa vision de ce que doit être un blog. Certains blogueurs travaillent leur planche de façon approfondie, tandis que d’autres ont une conception plus libre et moins contraignantes. Et bien souvent, un blogueur tente de plaire au goût de son public, la boucle étant ainsi bouclée.
Les blogs bd se situent à la frontière entre la création artistique, de par leur lien avec la bande dessinée, et le billet d’humeur personnel. Tantôt le dessin n’est qu’un simple moyen d’expression, tantôt il est l’objet d’une attention particulière (je schématise, ici, dans la réalité, la frontière n’est pas aussi clairement définie).


Mes blogs à découvrir

Et mes goûts à moi, me direz-vous ? L’intérêt principal que je trouve au blog bd est de découvrir des styles et des créateurs originaux de façon régulière. Je privilégie en général la surprise que me procure une note et l’effet du dessin qui doit être capable à la fois de transmettre des émotions et d’exprimer un univers, celui, puissant et présent, du dessinateur. C’est selon ces critères que je vais vous présenter quelques blogs parmi mes préférés.
Je passerais sous silence le blog de Boulet, un des symboles du succès de la blogosphère, que beaucoup d’entre vous doivent connaître et qui est assurément un incontournable. Un blog que j’adore, mais dont je ne parlerais pas ici pour au contraire vous amener à des découvrir d’autres blogs dont vous êtes peut-être moins familier.
Le blog de manu xyz (http://manu-xyz.blogspot.com/ ) : Manu-xyz est une incroyable découverte de la blogosphère. Dessinateur autodidacte, il livre dans son blog de véritables billets d’humeur qui portent en eux une vision de la société, de la politique, de l’homme. Il faut ajouter à cela un trait prenant, entre l’hyperréalisme et la caricature, souvent très prenant (manu-xyz se dit inspiré par des dessinateurs comme Solé, Alexis, Will Eisner, Boucq, dont l’influence apparaît comme évidente ; source : http://www.festival-blogs-bd.com/2009/07/interview-2009-manu-xyz.html ).
Tu mourras moins bête de Marion Montaigne (http://tumourrasmoinsbete.blogspot.com/). La dessinatrice Marion Montaigne utilise le support du blog mais pour un usage tout à fait différent de son usage habituel de carnet de notes personnel. Elle met en scène le « professeur à moustaches » dans des planches d’explications pseudo-scientifiques assorties d’un humour loufoque. Son style très expressif, proche de Reiser. Au final, une alternative originale à la monotonie des blogs bd. Précisons que, au-delà de son blog, Marion Montaigne est uen dessinatrice professionnelle ayant déjà publié quatre albums.
Eliascarpe (http://eliascarpe.over-blog.com/) : Si le contenu reste plus traditionnel (anecdotes de vie, humeurs…), c’est, comme chez manu xyz, la qualité du dessin d’Eliascarpe qui m’a frappé. Le blog met en scène un personnage, Elias, inspiré de l’auteur, et son collocataire dans des histoires longues souvent très drôles et imaginatives, dans la lignée des notes de Boulet.

A suivre dans : Blogs bd, l’illusion autobiographique

Published in: on 16 octobre 2009 at 20:14  Laissez un commentaire  

La blogosphère bd comme communauté

Rejouissez-vous (ou pas), je reviens à la charge avec mes articles sur les blogs bd !

Pour lire l’intro : intro
Pour lire la première partie : définir un blog bd
Pour lire la deuxième partie : petite histoire des blogs bd français
Pour lire la troisième partie : blogs bd face à l’édition papier

Lorsque l’on considère un contenu Internet, quel qu’il soit, il ne faut pas oublier la dimension communautaire. C’est là une des caractéristiques principales du média Internet tel qu’il s’est développé, en particulier dans sa version 2.0 (notion théorisée par Tim O’Reilly, dont vous pouvez avoir une définition ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Web_2.0 ) : l’usage qui en a été fait est celui d’un espace d’échange auquel n’importe quel utilisateur peut se connecter ; échange d’idées, d’informations, de contenu, de marchandises… Il y a, à tort ou à raison, une utopie Internet qui voudrait que ce média rende possible des rencontres qui n’aurait jamais eu lieu sans lui. Voilà ce qui m’intéresse ici : la notion de « rencontre ». Le mouvement des blogs bd est indissociable de l’idée d’une reconnaissance commune. On parle de blogs bd parce que plusieurs utilisateurs, d’abord individualisés, se sont trouvés des similitudes dans l’usage fait d’un format, le blog. Puis, ils ont développés d’eux-mêmes une sociabilité propre autour de ce point commun (tenir un blog graphique), sociabilité utilisant généralement les ressources de leur média de référence, Internet, mais pas seulement. Le concept de sociabilité culturelle veut donc qu’un phénomène culturel n’existe et se développe que si ses acteurs s’identifient comme communauté, soit d’eux-mêmes, soit poussés par des facteurs externes. Selon ce processus apparaissent les grands mouvements culturels, la sociabilité ainsi formée étant, parfois (pas toujours) facteur de stimulation et d’innovation. Il est donc nécessaire, pour qu’un objet culturel puisse être identifié, qu’il y ait un espace « médiateur » qui en rassemble les acteurs et leur permettent de discuter ensemble. Avant que n’émergent les grands médias de masse aux XIXe et XXe siècle, ces espaces médiateurs étaient les cours des princes, les salons, les académies, les universités. Puis d’autres structures ont pris le relais : journaux, maisons d’édition, radio et télévision (je n’ai pas dit que cette stimulation culturelle aboutissait toujours à un résultat intellectuellement satisfaisant !) et enfin Internet à la fin du siècle dernier. Si on en reste au secteur de la BD, à d’autres époques, d’autres structures ont joué le même rôle que la blogosphère bd. Dans les années 1960, autour du journal Pilote dirigé par René Goscinny se sont rassemblés des personnalités qui ont permis la diversification et le déploiement de la BD adulte (Gotlib, Mandryka, Brétécher, Fred…). Dans les années 1990, autour de la maison d’édition L’Association se sont rassemblés des auteurs proclamant la Bd comme un art exigeant et poussant les limites du genre par les expérimentations de l’OuBaPo. La même chose se produit avec les blogs bd.
La différence essentielle est peut-être que, alors que dans les cas précédemment cités le lecteur n’avait accès qu’au résultat de cette collaboration et stimulation, Internet permet de rendre plus facilement visibles les processus communautaire pour l’internaute. Ou plutôt lui donner l’impression d’avoir accès aux structures de la communauté des blogueurs ; la blogosphère se transforme alors en un théâtre où chaque blogueur contrôle son avatar pour jouer le rôle qu’il s’est (ou qu’on lui a) assigné. Internet rend à la fois plus visibles et moins visibles les structures communautaires.
L’occasion pour moi de pointer et déchiffrer les espaces et procédés qui caractérisent la sociabilité culturelle des blogueurs bd.

Une sociabilité virtuelle, des moyens virtuels
En 2005 les flux RSS n’étaient pas encore extrêmement répandus et le meilleur moyen que les blogueurs ont trouvé pour se constituer en communauté est l’usage du lien, élément structurel de base de la navigation internet. Les blogueurs mettent donc en lien leurs collègues, ce qui facilite grandement la tâche de l’internaute qui peut ainsi, après avoir lu un blog, approfondir sa connaissance de la blogosphère (qui a dit « perdre encore plusieurs heures devant son ordinateur » ?). Le lien est le premier signe qu’une communauté se forme, même si au début ces liens traduisent des amitiés hors d’internet : Mélaka met en lien Cha et Laurel avec qui elle travaille. Certains blogs deviennent, en raison de leur audience, des blogs « d’autorité », comme celui de Boulet. (voir cette note de Ced où il explique sa tentative d’entrer dans les liens de Boulet : http://ceduniverse.blogspot.com/2006/01/voir-angouleme-et-mourir.html ).
Une étape nouvelle est franchie en matière de liens avec la création en 2006 de blogsbd.fr par Matt (http://blogsbd.fr/ ). Ce site se donne pour but de recenser un grand nombre de blogs bd, de signaler chaque mise à jour et de proposer à l’internaute une vision, certes subjective de la blogosphère mais néanmoins très complète. « Hub » de la blogosphère, le projet fonctionne, que ce soit pour les internautes qui s’en servent pour naviguer dans la blogosphère et pour les blogueurs qui y gagne une visibilité inédite. Ce qu’exprime manu xyz sur cette note d’avril 2009, à son entrée dans la base de Matt : http://manu-xyz.blogspot.com/2009/04/ho-putain.html . Beaucoup de blogueurs sont donc, à juste titre, reconnaissant à Matt de les avoir sélectionné et conservé dans la sélection dite « officielle », qui regroupe seulement une centaine de blogs et s’affiche comme page d’accueil du site. A l’inverse, être supprimé de la sélection officielle est bien souvent vécu comme un affront, le site étant vu par beaucoup comme une manne de lecteurs (comme récemment, Laurel dans cette note, http://www.bloglaurel.com/coeur/index.php/2009/10/13/2473-le-coup-de-free-n-est-plus-d-actualite-dans-cette-note, moins récemment Maadiar, http://maadiar.blogspot.com/2009/08/blogsbd-fait-chier.html ). Régulièrement ressort le débat de la fidélité du lectorat, de l’impact réel du site de Matt sur les statistiques d’audience, de la dépendance des blogueurs à blogsbd.fr (beaucoup d’internet utilisent aussi les flux RSS ou ne vont jamais sur blogsbd.fr), de la subjectivité de Matt. Ce dernier n’a jamais prétendu que son site était exhaustif et objectif, d’où une certaine ambiguité à le considérer comme une référence de la blogosphère. Blogsbd.fr n’est pas le seul portail de ce type, d’autres existent, (http://www.wikio.fr/blogs/top/bd, http://annuaireblogbd.com/ ) mais ne sont pas parvenus à s’imposer réellement face à la maniabilité de celui de Matt.
Il est naturel que les blogueurs bd utilisent les ressources directes de leur média. Si le lien est le meilleur manifestation de cet usage, d’autres espaces communautaires sont crées et investis, facebook, twitter ; mais surtout le forum La Brouette est spécialement conçu pour rassembler les blogueurs en une communauté. ( http://labrouette.org/index.php ) Les posts consacrés aux méthodes de dessin et de numérisation, ou encore à l’annonce de manifestation et aux galeries personnelles participent tout autant à l’identité du blogueur bd.

La passion commune du dessin
En dehors des ressources traditionnelles d’Internet, les blogueurs bd se sont crées d’autres moyens de rassemblement autour de leur passion commune, le dessin. La blogosphère se transforme alors en un espace de création en commun (création entendue au sens large).
Certains de ces projets communs sont de l’ordre du jeu graphique, rappelant ainsi la composante expérimentale des membres de l’OuBaPo qui, depuis les années 1990, tente d’appliquer les règles de l’OuLiPo à la création graphique. La BD, soumise à des contraintes, est alors vécu comme un moyen d’expression malléable et amusant. Dans le cas des blogueurs, la contrainte vient des caractéristiques structurelles du blog. Je citerai ici les plus marquantes de ces expérimentations qui, parfois, donnent lieu à d’intéressants dessins. Ainsi, le squat consiste en une « invasion » d’un blog en l’absence de son propriétaire par d’autres blogueurs qui dessinent tour à tour une note ; le ping-pong se fait entre deux blogueurs qui se renvoient l’un l’autre un dessin ou encore répondent en image à une suite de question posées par l’autre ; enfin, les chaînes sont un grand classique de la blogosphère : un blogueur transmet un questionnaire ou un défi à un autre blogueur qui doit y répondre et le transmettre à son tour. La « chaîne des blogbédéistes » concrétise ce dernier type de jeu en servant au passage d’annuaire (http://lachainedesblogs.canalblog.com/).
On peut opposer ces expériences ponctuelles à des projets plus ambitieux. Le site 30joursdebd, http://30joursdebd.com/, se donne pour objectif de publier une planche de bd par jour d’un dessinateur amateur. Il constitue un lieu d’échanges pour quelques blogueurs (Ced, manu xyz, Waltch, Ol Tichit, etc.). Les 24h de la BD est un projet lancé par Lewis Trondheim lors du festival d’Angoulême 2007, inspiré par un projet initial de Scott McCloud. Il se reproduit désormais régulièrement à chaque festival et a donné lieu à d’autres initiatives identiques. Sur un thème ou une contrainte donnée, des dessinateurs, amateurs ou professionnels, à Angoulême ou chez eux, doivent réaliser 24 planches de BD en 24h. Les résultats sont présentés sur le site http://www.24hdelabandedessinee.com/public/index.php. Les blogueurs sont également friands de cet événement dépourvu d’enjeu. Si la première édition n’a compté que 26 participants et a été édité sous format papier (Boule de neige, chez Delcourt), les suivantes ont accueilli près de 200 puis 400 participants. Le forum CaféSalé (http://www.cfsl.net/ ), quant à lui, regroupe principalement des illustrateurs en une « communauté créative », dont quelques blogueurs.
Enfin, une dernière exploitation très intéressante des possibilités communautaires de la blogosphère est le blog collectif, qui permet à deux ou plusieurs blogueurs de travailler ensemble via internet. Le plus célèbre est bien sûr le blog des Chicou-chicou, (http://www.chicou-chicou.com/ )faux blog dessiné depuis 2006 par Boulet, Domitille Collardey, Lisa Mandel, Aude Picault et Erwann Surcouf, récemment publié chez Delcourt. Chaque auteur garde son style et poursuit les histoires commencées par les autres. Le collectif Damned (http://www.blogdamned.com/ ) rassemble également quatre blogueurs, Clotka, Flan, Goupil acnéique et Olgasme, sur un site commun. Quelques blogs à quatre mains fleurissent également, comme Bruts (http://www.bruts.fr/ ) de Raphaël B et l’Esbroufe et le Loveblog (http://love-blog.fr/ ), de Gally et Obion. Dans les cas de Chicou-Chicou et de Bruts, le blog collectif est aussi l’occasion de sortir de l’aspect « carnet intime » du blog avec un projet plus construit et régulier, proche du webcomic.

Le blogueur bd « In Real Life » : sociabilité hors de la toile et rapport au public
Evidemment, les blogueurs ne sont pas que des êtres numériques : ils ont, comme nous, un coeur, un foie, deux reins. Ils possèdent donc une sociabilité hors de leur blog, qui leur permet parfois de rencontrer leurs lecteurs. Certaines notes font parfois écho de cette sociabilité : un classique des notes de blog est le compte-rendu de festival dans lequel le blogueur révèle ses rencontres, ses amitiés, ses coups de coeur. Je pense également aux nombreuses notes chez Mady, manu xyz, Bambii et Romain Ronzeau dans lesquelles ils mettent en scène leurs rendez-vous (http://www.destrucs.net/article-33609552.html ). Le blog devient alors un véritable théâtre, puisque chaque blogueur représente l’autre selon son avatar, laissant le lecteur dans l’expectative quant à la véracité de la scène. L’idée de communauté virtuelle, caractéristique de la toile, est encore amplifiée dans le cas des blogs bd par l’ambiguité entre l’apparente mise à nu des blogueurs qui font mine de se livrer tout en se masquant derrière un avatar dessiné. Les rapports vie publique/vie privée s’en retrouvent bouleversés et, par là, le blog donne aux lecteurs l’impression d’être proche du blogueur, croyant connaître les moindres détails de sa vie, alors qu’ils ne l’ont jamais rencontré. De la même manière, les blogueurs feignent une sociabilité, parfois vraie, parfois rêvée, cachant plus qu’ils ne révèlent. L’utilisation de l’avatar est la manière que l’auteur a de mettre un intermédiaire entre lui-même et son lectorat.
Le lecteur est d’abord vécu à travers les commentaires. Certains blogueurs, comme Lewis Trondheim et Manu Larcenet ne laissent pas à leurs lecteurs la possibilité de commenter (Larcenet en a d’ailleurs fait un album, Critixman, dans lequel il analyse et se venge des critiques venu du web). Toutefois, la plupart des blogueurs joue le jeu des commentaires. L’exercice est étrange, comme un dialogue souvent biaisé par l’apparent anonymat des commentateurs. Certains soutiennent, encouragent, donnent un avis constructif, tandis que d’autres inondent d’insultes ou partent dans d’interminables débats. Souvent arrive la réponse du blogueur ou de ses défenseurs : « si tu n’aimes pas ce blog, ne vient pas le lire », qui illustre très bien les limites de l’idéal communautaire du web, qui, bien souvent, ne fait que rapprocher des personnes qui se seraient naturellement rapprochés dans la vraie vie. Le blogueur essaye parfois d’accentuer la proximité avec son lectorat, beaucoup plus fort que chez n’importe quel dessinateur de BD non-blogueur, par une « radio-blog » à écouter, ou une boutique. Quant aux IRL, elles font partie du vocabulaire des internautes pour désigner des rencontres « in real life », et elles sont à l’occasion organisées par certains groupes de blogueurs à la fois pour se retrouver et pour rencontrer leur lectorat.
Le festiblog (http://www.festival-blogs-bd.com/ ) a été crée en 2005 par Yannick Lejeune (http://www.yannicklejeune.com/) comme la manifestation permettant de rassembler toute la communauté formée par le phénomène des blogs bd : dessinateurs et lecteurs réunis autour de séances de dédicaces gratuites. Chaque année, deux parrains sont désignés, qui dessinent l’affiche (Boulet et Mélaka furent les premiers) et tous les ans, le succès du festiblog est réel à la fois auprès des auteurs invités qui se déplacent de toute la France, et auprès des internautes. Le « fesse ton blog » est la forme alternative de ce festival, lancée en 2008 par Slo et Louna, avec comme objectif aoué une absence totale d’organisation (http://fesstonblog.blogspot.com/ ). La mise en place très rapide du festiblog, dès 2005, a sans aucun doute contribué à façonner la blogosphère, à mieux l’identifier et lui donner une visibilité médiatique, puisque l’évènement, qui se déroule à Paris (d’abord à Bercy Village puis à la mairie du IIIe depuis 2009), est évoqué par les médias. D’une quarantaine d’auteurs invités au départ, les organisateurs ont pris acte de l’expansion du phénomène et la dernière édition en accueillait 112, sans compter les nombreux dessinateurs non-invités mais malgré tout sur place pour dédicacer. Les organisateurs citent 3000 visiteurs dès l’édition 2005, autour de 6000 pour les suivantes. Si certains blogueurs bd sont également présents lors des festivals de BD traditionnels, le festiblog est devenu un passage obligé qui donne littéralement corps à cette nouvelle communauté culturelle née sur le net. Internet est d’ailleurs le seul point commun de tous ces auteurs aux parcours, aux âges, aux styles, aux motivations et aux personnalités extrêmement variés, au-delà de toute notion d’école ou de courant. D’où le terme de « communauté » qui me semble le mieux convenir pour définir ce groupe culturel.

Et le festiblog est évidemment l’occasion, pour les blogueurs, d’une nouvelle note de blog, la boucle étant ainsi bouclée. Je vous laisse avec un dessin de manu xyz, qui conclut très bien le dynamisme de la communauté des blogueurs bd : http://manu-xyz.blogspot.com/2009/09/la-bande-des-4.html.

A suivre dans : le Bien, le Mal et les blogs bd

Published in: on 13 octobre 2009 at 20:29  Laissez un commentaire  

Jul, Silex and the city, Dargaud ; Gus Bofa, Le livre de la guerre de cent ans, Cornelius, 2007

Mémoire du dessin de presse

Après mon long article sur Internet et la bande dessinée, je reviens à un article plus court que m’a inspiré la sortie récente d’un album par un jeune dessinateur de presse, Jul (Silex and the city). L’occasion rêvée pour évoquer le métier de dessinateur de presse et rappeler brièvement son histoire grâce à la figure de Gus Bofa (1883-1968), récemment redécouvert entre autres par un site internet crée par Michel Lagarde et Emmanuel Pollau-Dulian (http://www.gusbofa.com/ ) mais aussi par les éditions Cornélius qui rééditent depuis 2001 plusieurs recueils de ses dessins, Malaises, Slogans, Le livre de la guerre de cent ans. C’est ce dernier que j’ai choisi car sa thématique centrale (présenter la Grande Guerre qui vient de s’achever lorsque Bofa édite pour la première fois cet ouvrage) se rapproche, dans une moindre mesure, des enjeux de Jul dans Silex and the city qui se livre lui aussi au jeu de l’anachronisme comme procédé satirique. Et je termine avec un troisième album surprise que j’aime beaucoup, toujours autour des dessinateurs de presse.

Le comique par analogie, un procédé vieux comme l’humour
silex
Avec son album le plus récent, Silex and the city, Jul, jeune dessinateur à Charlie Hebdo, s’inscrit, consciemment ou non, dans un double héritage, l’un plus direct et plus récent et l’autre beaucoup plus ancien dont je vais parler tout de suite. Mais d’abord, qui est Jul, dont le nom n’a pas encore la notoriété de ses aînés ? Ce jeune dessinateur se fait connaître auprès du public en 2005 grâce à son premier album Il faut tuer José Bové (chez Albin Michel), satire de l’univers de l’altermondialisme alors d’actualité dans le débat public. Il est à cette époque dessinateur de presse pour Charlie Hebdo depuis 2000, mais aussi pour L’Humanité et Les Echos. Il poursuit donc une double carrière : dessinateur de presse et auteur de BD, puisque à côté d’albums liés à son activité principale (Contes de fées à l’Elysée, 2008), il publie des albums autonomes, traitant, tout de même, de l’actualité. En 2008, Le guide du moutard reçoit le prix René Goscinny (prix du scénario pour un jeune auteur).
Silex and the city se base sur le principe humoristique classique de la transposition analogique. Pour se moquer d’une situation donnée et en démontrer l’absurdité et les défauts, on la transpose (dans le temps, dans l’espace, etc.), car il est plus facile de se moquer des autres que de soi-même. Que l’on pense aux fabliaux médiévaux comme Le roman de Renart, qui mettent en scène des animaux pour se moquer de la société humaine. Plus récemment, de 1840 à 1842 paraissent sur le même principe les Scènes de la vie privée et publique des animaux, textes illustrés par le caricaturiste Grandville où, au moyen d’animaux, les auteurs raillent les moeurs de la société du temps. La transposition permet un double humour : au premier degré, on rit du décalage entre les deux univers (chez Jul, les partis politiques deviennent les néanderthaliens, les cannibales, démocratie lémurienne…) puis, au second degré, on rit de l’analyse ainsi donnée de notre propre société (ici particulièrement les luttes d’influence politiques). Si plusieurs scènes sont drôles, l’album illustre, à mon sens, une impossibilité de sortir de l’instantané qui est la difficulté des dessinateurs de presse. Le support périodique oblige en effet à une écriture de l’instant qui ne convient pas pour un album. Les deux lectures sont complètement différentes. Celle du lecteur de périodique doit être en lien avec l’actualité et attend un humour rapide, et celle du lecteur de BD exige une histoire construite. A titre d’exemple, un personnage caricatural est drôle dans un dessin unique où le stéréotype est nécessaire pour déclencher le rire, mais dans une histoire plus longue, il vaut mieux qu’il gagne en épaisseur et dépasse son statut de caricature. Dans Silex and the city, Jul ne parvient pas réellement à décoller vers autre chose qu’une suite de saynètes amusantes sur les travers de notre époque (les luttes politiques, l’art contemporain, l’éducation nationale…), et ce malgré d’excellentes trouvailles, dont beaucoup utilisent le ressort de l’anachronisme.
Le point fort de l’album est sans doute que Jul tape sur tout le monde, sans tabou ni limites. Une caractéristique laissant deviner la marque des aînés…

La génération de l’insolence, de Pilote à Charlie Hebdo
Le trait et le ton de Jul sont directement issus d’une certaine école de dessin de presse qui apparaît dans les années 1960, marquée par l’irrévérence libertaire et renouant avec une forme de satire graphique. Deux revues essentielles à cette évolution apparaissent alors : Pilote, par René Goscinny en 1959 et Hara-Kiri par François Cavanna et le professeur Choron en 1960. Le premier est davantage destiné aux jeunes tandis que le second brandit fièrement le drapeau de l’insolence, comme le montre sa devise, « journal bête et méchant ». Tous deux sont directement inspirés de Mad, un magazine américain fondé en 1952 par Harvey Kurtzman, et s’inspirent de son humour parodique et irrévérencieux, résolument moderne. Leur but est de renouveller l’humour graphique. Des pages de ces journaux vont sortir des dessinateurs qui, par la suite, se consacreront plus amplement au dessin de presse, parfois en plus de leur carrière de dessinateur de BD (c’est d’ailleurs une caractéristique ce ces deux journaux que de rassembler BD et dessins d’humour). Ainsi voit-on émerger Cabu, Gébé, Wolinski, Reiser, Brétécher, entre autres. Ils inventent un nouveau type de dessin caricatural qui, sans avoir recours systématiquement à l’outrance et au grossissement des traits (caractéristique de la caricature du XIXe), est un dessin refusant le beau pour correspondre à la noirceur et la laideur de la société dont ils entendent dénoncer les travers. Chez eux, la critique politique idéologique laisse souvent la place à une satire plus ample de la société dans son ensemble. Enfin, cette génération est indissociable du contexte de contestation des lourdeurs de la société gaulliste et de l’émergence d’une contre-culture libertaire (débouchant notamment sur mai 1968). Ainsi, en 1970, L’hebdo Hara-Kiri, version hebdomadaire du mensuel, est interdit.Charlie-Hebdo est crée pour le remplacer, se voulant plus ancré dans l’actualité, tout en gardant l’ambition libertaire et l’apolitisme. La génération suivante reste fidèle à la ligne tracée jusqu’ici, tout en recherchant son style graphique propre. Ainsi peut-on citer Lefred-Thouron, Pétillon, Charb, Tignous qui poursuivent l’idée que le rôle du dessinateur de presse est de pointer du doigt la laideur de la société, et ce au moyen d’un humour corrosif mais salvateur. Certains d’entre eux, là encore, voient dans la bande dessinée un autre support de publication (Pétillon ayant fait la démarche inverse, puisqu’il vient de la BD vers le dessin de presse). Avec les années 1990, une troisième génération arrive à maturité. Jul en fait partie, rejoignant l’équipe de Charlie Hebdo, symbole de cette génération. Petite précision tout de même : le Charlie Hebdo actuel n’est plus celui de Cavanna, Choron et Wolinski. Interrompu en 1981, il est relancé en 1992 par Philippe Val, Cabu et Gébé qui y détiennent toutes les responsabilités (Gébé est mort en 2004). La nouvelle direction est vivement critiquée de l’intérieur, notamment par Lefred-Thouron qui quitte le journal en 1996, et Siné qui, renvoyé en 2008, part fonder son propre hebdo satirique, Siné hebdo. Est-il possible que cette génération de l’insolence, formée auprès de Cavanna et du professeur Choron, commence à perdre sa verve initiale ?

Retour sur la figure de Gus Bofa
gusbofa
Ayant beaucoup parlé de la situation du dessin de presse satirique depuis les années 1960, je vais remonter largement dans le temps et voir qui sont les aînés des Cabu, Wolinski, et Jul. Ce qui me permet de parler de Gus Bofa, un dessinateur largement redécouvert lors de ces dernières décennies. L’album que j’ai choisi, La guerre de cent ans, reprend le principe de la transposition analogique précédemment évoquée. Bofa nous parle de la guerre de cent ans pour pointer l’absurdité de la première guerre mondiale qu’il vient de vivre en tant que soldat (il a 31 ans quand la guerre éclate). Le Moyen Age qu’il dessine a peu d’exactitude historique, et ce n’est pas la question. Le détournement est très habile. Les dessins sont d’abord publiés dans La baïonnette à partir 1915, puis dans un recueil au nombre d’exemplaires limités en 1921. La transposition permet de passer à travers une censure politique et militaire qui supporte mal les critiques faites à « sa »guerre ; il ne faut pas risquer de démoraliser l’arrière et le ton est plutôt au « bourrage de crâne », c’est-à-dire à une propagande clamant la nécessité du conflit. Après l’armistice, l’ambiance de célébration et de recueillement, est encore trop peu propice à la critique ouverte du conflit qui vient de s’achever. Cette première publication est un échec, malgré la notoriété dont jouit Bofa depuis le début du siècle (il a dirigé deux revues satiriques : Le Rire de 1908 à 1912 et Le Sourire de 1912 à 1914). Il devient par la suite illustrateur de romans puis écrivain et critique littéraire. L’art de Bofa est marqué par une économie de moyens (qui nous étonne peu à présent mais qui était encore rare au début du siècle), un trait souple et un expressionnisme décrivant un univers sombre, bien souvent lié à un humour noir et dénonciateur. Quand Bofa dessine des médecins aux diagnostics absurdes, des soldats désabusés, des chefs incapables, son but n’est pas de critiquer le Moyen Age ; bien au contraire, il s’agit de montrer que, par une guerre sanglante et inutile, l’homme est revenu à des temps sombres et pénibles.
Gus Bofa est une figure intéressante du dessin d’humour du début du siècle. D’abord parce que ses dessins sont terriblement efficaces, et entraînent le lecteur dans l’univers sombre du dessinateur. Mais surtout parce qu’il a bénéficié d’une redécouverte étonnante que peu de dessinateurs de sa génération, ou même des précédentes, ont connu. Il meurt en 1968, et, à cette date, son oeuvre de dessinateur est tombées dans un relatif oubli. C’est d’abord les éditions Futuropolis, alors très attachées à faire connaître des dessinateurs oubliés, qui publie Gus Bofa, l’incendiaire, une biographie illustrée. Puis, en 1983, une première exposition revient sur son travail à l’occasion du centenaire de sa naissance. Le relais est ensuite pris par d’autres maisons d’édition spécialisées dans la BD qui rééditent quelques recueils ou lui consacre quelques pages. Lapin, la revue de l’Association, livre de lui deux dessins inédits dans un numéro de 1995. Surtout, Cornélius réédite Malaises (2001), Slogans (2002), Synthèses littéraires et extra-littéraires (2003), Le livre de la guerre de cent ans (2007). De nombreux dessinateurs ont déjà déclaré leur admiration pour l’oeuvre de Bofa, comme Nicolas de Crécy, Joann Sfar, et Dupuy et Berberian. Une redécouverte qui montre bien les liens indissociables entre Bd et dessin de presse, deux facettes d’un même travail : faire parler l’image.

blotch
Je termine en vous proposant une troisième lecture pour compléter le tour d’horizon du dessin de presse. L’album Blotch de Blutch, publié en 1999-2000 chez Audie-Fluide Glacial donne une vision grinçante du métier de dessinateur humoriste. Là aussi, le jeu de la transposition est à l’oeuvre : les dessinateurs mis en scène se nomment Blotch (Blutch), Larssinet (Larcenet), Goussein (Goosens) et travaillent pour « Fluide Glacial », mais dans les années 1930. Blutch joue sur le décalage entre les ambitions du mégalomane Blotch, tâcheron se rêvant artiste, et la médiocrité de ses dessins d’humour, pourtant très proche du type d’humour en vogue à l’époque. Il démontre ainsi que l’humour change et que les gauloiseries communes de nos ancêtres nous paraissent à présent désuètes. Il laisse à penser que ce qui est drôle aujourd’hui ne durera pas forcément… Et l’on revient au défi qui se pose à tout dessinateur de presse : traiter de l’actualité, mais se donner la possibilité de durer dans le temps. Jul a choisi de s’ancrer pleinement dans son époque ; Bofa a réussi à passer les époques, peut-être parce qu’il tend à l’universel et que les défauts des hommes n’ont pas véritablement changés.

Pour en savoir plus :
Sur Jul :

Sa page sur le site de Charlie Hebdo : http://www.charliehebdo.fr/index.php?id=660
Il faut tuer José Bové, Albin Michel, 2005
Le guide du moutard, Vent des Savanes, 2007
Sur Gus Bofa :
Un très bon site lui est dédié, avec des reproductions : http://www.gusbofa.com/
Centenaire de Gus Bofa, musée de la SEITA, 1983
François San Millan, Bibliographie de Gus Bofa, La Nouvelle Araignée, 1999 (recense l’ensemble de ses ouvrages)
Sur le dessin d’humour en général :
Solo, Plus de 5000 dessinateurs de presse et 600 supports : en France, de Daumier à l’an 2000, Aedis, 2004 (réédition). Dictionnaire de référence sur le dessin de presse, mine de renseignements sur les acteurs de cet art trop peu étudié.

Published in: on 10 octobre 2009 at 21:37  Comments (2)  

Internet et la bande dessinée

La chose est entendue : Internet, apparu dans le grand public durant les années 1990 et dont l’usage s’étend de plus en plus depuis le début des années 2000, est un changement majeur de l’histoire culturelle des dernières décennies. En 1998, Lewis Trondheim publiait chez Dargaud Ordinateur mon ami, une suite de gags en une ou plusieurs pages mettant en scène les conséquences d’une importante évolution de l’espèce humaine : le passage de l’homo sapiens à l’homo informaticus. Sa lecture ferait sourire maintenant, tant les choses ont changé. Internet apporte, dans tous les secteurs de la société, un regard tout à fait nouveau, amène des comportements inédits voire, parfois, bouscule le sacro-saint ordre établi. Les débats autour de l’ilégalité des téléchargements et de la loi Hadopi ne sont que la partie la plus visible et directement perceptible d’une plus vaste évolution. En clair, Internet est un facteur d’évolution des comportements, des mentalités, et des objets culturels dont il est très difficile d’imaginer les conséquences pour le moment.
Mais revenons à ce qui occupe plus particulièrement ce blog : la bande dessinée. Ma série d’articles sur les blogs bd vous laisse deviner que le sujet m’intéresse tout particulièrement… La BD a bel et bien investie internet, au même titre que la musique, la radio, la télévision, la littérature (dans une moindre mesure). Quelle est l’image de la bande dessinée sur internet ? Qu’est-ce que le web a changé au monde de la narration séquentielle ? Peut-on cibler une ou des communautés « bande dessinée » dans le vaste magma du net ? Pour répondre à ces quelques questions, je vais tâcher de passer en revue les différentes manifestations de la bande dessinée sur Internet. Donc, au menu, tout une suite de liens sur lesquels vous serez invité à cliquer, naturellement.

Actualité, critique et présence de la bande dessinée
La présence de la bande dessinée sur internet n’est évidemment pas nouveau si l’on considère le premier rôle assigné à internet à ses débuts : transmettre des informations à grande échelle, offrir une vitrine pour héberger des sites les plus divers. Les acteurs de la bande dessinée ont rapidement profité de la visibilité offerte par le média internet. La plupart des éditeurs disposent de leur site internet, reflet promotionnel de leur activité, généralement destiné à égrener le catalogue. Le site est parfois l’occasion, pour ces éditeurs, de proposer des services en plus aux lecteurs : concours, interviews d’auteurs, avant-première, bande-annonce, newsletter… Les attitudes des éditeurs face à internet sont en réalité très diverses : simple catalogue/agenda pour Glénat (http://www.glenat.com/), absence de site internet pour l’Association. Mais dans l’ensemble, ont observe une certaine timidité à aller plus loin que des sites promotionnels. Quant aux auteurs, il serait plutôt inutile de citer tous les sites de dessinateurs. Simplement signaler à quel point internet se prête bien à la promotion d’un art graphique grâce à sa capacité à diffuser rapidement et efficacement de l’image ; un auteur peut ainsi présenter facilement son travail, et même personnaliser son site en en dessinant lui-même l’esthétique. Je citerai simplement le vieux site de Joann Sfar, http://www.pastis.org/joann/indexancien.html, à présent à l’abandon, mais célèbre pour sa section de mini-jeux vidéos !

Espace d’informations, internet accueille naturellement des sites d’actualité sur la bande dessinée ainsi que des sites de critiques. Ces derniers ont d’ailleurs leur site où ils dressent d’intéressants bilans sur le marché de la BD ( http://www.acbd.fr/ ). Ce qui m’intéresse ici est de voir qu’internet a permis l’apparition de revues en ligne qui viennent compléter l’offre papier, à une époque où la question de la survie de la presse papier se pose de plus en plus. En effet, depuis quelques années, le public se tourne vers internet pour être informé : pourquoi ne le ferait-il pas aussi pour la BD ? L’existence de sites de critiques en ligne est d’autant plus importante que le secteur des revues de critiques de BD est relativement bouché. De plus, l’apparition de revues gratuites (Zoo, Magazine Album) met également en question le secteur. La suspension de Bodoï est tout à fait symptomatiques de ce malaise et surtout de la nécessité d’une rénovation venant d’internet. Ce magazine, né en 1997, était le plus ancien périodique indépendant d’informations sur la BD ; son échec économique a poussé son directeur Bruno Bonnell à se replier sur le net en septembre 2008, via le site http://www.bodoi.com/ qui est finalement parvenu à devenir un site de référence. L’essai est donc transformé pour Bodoï et le passage, à l’origine contraint, du papier au numérique fonctionne pour le moment. (http://www.actuabd.com/Bruno-Bonnell-annonce-la-suspension-de-BoDoi-en-kiosque-et-prepare-sa-revolution-numerique ).
Les sites http://www.mundo-bd.fr/ et http://www.actuabd.com/ font partie des sites implantés mais encore traditionnels, animés par d’anciens critiques issus du monde de la presse, en premier lieu Didier Pasamonik. En revanche, l’exemple du site http://du9.org/ montre très bien comment internet permet d’aller au-delà du simple magazine de critique. Il se définit lui-même comme un « espace d’autonomie » pour évoquer la BD dite « indépendante », en cela assez proche de l’esprit exigeant d’une revue comme 9e art. L’internaute peut s’abonner à une newsletter, et le site propose des dossiers thématiques fouillés. Avec de tels sites, il semble que l’avenir de la critique de BD se trouve en grande partie sur internet.

Conservation et mise en valeur d’un patrimoine
La BD, c’est aussi un patrimoine à conserver, et Internet se place en première position en permettant la consultation de BD anciennes numérisées. Je parle ici d’albums ayant une valeur plus patrimoniale que véritablement esthétique. Le musée de la bande dessinée d’Angoulême, récemment réouvert et intégré au sein de la « cité de la bande dessinée », est bien sûr en première ligne sur la question et a commencé, doucement, la numérisation de certains de ses collections anciennes, dont l’intégrale des albums de Zig et Puce d’Alain Saint-Ogan. La numérisation des exemplaires de la revue Le Rire (créée en 1894) est encore en chantier. Le site du musée, http://www.citebd.org/ , reconstruit récemment, est la façade de la seule institution patrimoniale consacrée à la BD dans ses aspects les plus divers (musée, bibliothèque, maison des auteurs, formation…). L’onglet « ressources » propose également un nombre important de liens vers les différents sites internet consacrés à la BD. Enfin, il organise une journée de formation sur le sujet en novembre prochain (http://www.citebd.org/spip.php?article445)
Mais la cité de la BD est en réalité rattrapée par d’autres sites ayant pris l’initiative de numériser des collections anciennes. Le plus connu d’entre eux est http://www.coconino-world.com/. Crée en 1999 par Thierry Smolderen, professeur à l’école des Beaux-Arts d’Angoulême, c’est un portail très varié se voulant aussi éditeur en ligne, ce site présente dans sa partie « classics » des documents numérisés anciens. On peut y retrouver des strips de Winsor Mc Cay, des illustrations de Gustave Doré et des extraits du journal satirique allemand Simplicissimus. Le site frappe par la qualité des numérisations, mais aussi par son graphisme dynamique et moderne. Coconino est incontestablement la référence en matière de patrimoine numérique de la BD, avant la cité de la BD et avant d’autres sites proposant un même service comme http://coffre-a-bd.com/ qui réédite des albums anciens oubliées, pour les nostalgiques. Dans le domaine du patrimoine, Internet permet, à travers des supports numériques, de conserver et de diffuser au mieux l’histoire du média.

Le paradis des bédéphiles
En tant que plate-forme d’échange et de communication à grande échelle, Internet rend également service aux bédéphiles pour leur permettre d’assouvir leur passion. D’abord pour leurs achats. Outre les multiples sites de vente en ligne, qu’il s’agisse de neuf ou d’occasion (sites de grands magasins, amazon et ebay…), certaines initiatives de vente de BD numérisées peuvent être signalées. Certes, le danger est moindre que pour la musique ou les films : l’échange de BD via le peer-to-peer est moins répandu, sans doute par l’importance du support papier qui résiste bien. Il est tout de même réel, et c’est dans le but d’éviter le piratage que s’est monté en janvier 2009 le site http://www.digibidi.com/ : ce site propose des BD à lire en ligne et explore divers modalités de cette nouvelle forme de lecture. Ainsi, certains titres publiés en format papier sont proposés à la vente pour des prix modiques, ou à la location pendant 72h. D’autres albums sont disponibles en previews d’une dizaine de pages. Des éditeurs comme Soleil, Akiléos, Ego comme X, les Requins marteaux, sont associés au site pour proposer leur catalogue (dont des séries phares comme Atalante). Un système de « watermaking » numérique garantit que la BD a bien été achetée et non téléchargée.
Hors de la vente, Internet a aussi d’autres usages qui s’appliquent spécialement aux bédéphiles : le partage d’informations sur les auteurs et les séries. Ce formidable outil informatique qu’est la base de données en ligne offre des possibilités énormes, et c’est sur lui que s’est crée en 2003 le site http://www.bedetheque.com/ qui vend un logiciel de gestion de bibliothèque dont le principe est simple : l’acheteur télécharge les données sur ses BD depuis la base en ligne et remplit progressivement sa propre base. Le collectionneur peut alors gérer ses prêts d’albums, consulter de statistiques sur sa bibliothèque, gérer ses éventuelles ventes… Enfin, les collectionneurs de BD rares et anciennes ne sont pas oubliés. Les sites http://lambiek.net/ et http://www.bdoubliees.com/ se donnent pour objectif, chacun à leur façon, d’entretenir le souvenir des grands classiques de la BD. Ils sont également constitués de bases de données sur la BD. Le second recense la totalité des illustrations parues dans les revues de BD, anciennes et nouvelles, avec une recherche par auteur, par série, par revue.

Il est clair que dans le domaine de la vente et de la collection, Internet est surtout, pour le moment, un média de complément. Les expérimentations (base de données, achat en ligne) sont encore balbutiantes et récentes. Les questions liées au piratage ne sont pas encore arrivées jusqu’au monde du livre et on ne peut pas véritablement parler de concurrence. C’est sans doute pour cette raison que les sites des éditeurs se contentent de présenter leur catalogue et n’investissent pas davantage les possibilités d’internet, à l’exception notable de http://www.dargaud.com/ qui propose quelques pages de ses nouveautés en preview. Ce modèle encore dominant de la preview montre la timidité du marché de la BD à s’étendre sur la toile, par exemple par le biais de l’édition en ligne.

La difficile émergence française de l’édition en ligne

Sans aucun doute, c’est de l’apparition d’éditeurs en ligne que vient la principale innovation d’Internet en matière de bande dessinée. L’édition de BD en ligne est un problème très complexe et il faudrait un article entier pour en venir à bout. Je vais me contenter de citer les principaux enjeux qui sont apparus ces dernières années avec l’extension d’Internet.
Un point d’abord sur le domaine anglo-saxon, beaucoup plus avance que nous dans ce domaine. En 1995, la série Argon Zark apparaît sur la toile comme la référence en matière de webcomics. 2000, Scott McCloud, auteur et théoricien américain de la BD, commence à s’interroger sur les potentialités de la BD en ligne (et édite son propre webcomic : Zot). Il diagnostique la mauvaise santé du comic traditionnel et voit dans l’édition en ligne un facteur de renouveau et de diversification, notamment grâce au concept « d’infinite canvas », qui veut que la page internet soit une surface en trois dimensions (http://scottmccloud.com/1-webcomics/index.html). C’est en appliquant ses observations que des auteurs émergent nettement à partir de 2005. Cette année-là, un Will Eisner award (équivalent des prix d’Angoulême) est crée pour le webcomic, alors qu’il faut attendre 2008 pour voir la même chose à Angoulême. La Corée est également très avance en matière de e-manhua.
En ce qui concerne le mouvement des blogs bd, je ne vais pas épiloguer dans la mesure où vous pouvez retrouver mes réflexions dans cet article (https://phylacterium.wordpress.com/2009/09/25/les-blogs-bd-face-a-ledition-papier/) et cet article (https://phylacterium.wordpress.com/2009/08/24/blogsbd-partie-1-definir-un-blog-bd/). En gros, deux choses à retenir. D’une part le blog bd a pris une telle importance en France qu’il peut être considéré comme une forme artisanale d’auto-édition en ligne, il a supplanté l’émergence des webcomics. D’autre part le succès des blogs bd n’entretient pas de relations avec l’avenir de la BD numérique. Je m’explique. Il n’y a pas d’automatisme qui voudrait que les blogueurs bd se tournent, pour être édités, vers des supports numériques. Certains le font, d’autres non, mais le format papier restent le support dominant pour la majorité d’entre eux. Edition en ligne et blog bd ne sont donc pas forcément dépendants l’un de l’autre. Deux exemples tout de même :
l’expérimentation proposée par le blogueur Wandrille Leroy sur le blog http://donjonpirate.canalblog.com/ de 2006 à 2008 a fédéré de nombreux blogueurs autour de la mise en ligne régulière de planches d’amateurs sur le thème de la série Donjon de Sfar et Trondheim.
la plate-forme http://30joursdebd.com/ a systématisé ce principe et regroupe depuis 2007 un grand nombre de blogueurs (manu xyz, waltch, ced…). Elle met en ligne gratuitement une planche de BD par jour réalisée par un auteur débutant ou amateur, et les anciennes planches restent toujours en ligne. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une maison d’édition en ligne parfaitement organisée (pas de catalogue, pas de suivi, que des histoires en une planche), mais le site est populaire parmi les blogueurs.
Dans l’autre sens, les éditeurs en ligne n’éditent pas que des blogueurs bd, loin de là. Venons-en à eux. http://www.foolstrip.com/, http://www.lapin.org/ et http://www.webcomics.fr/ sont actuellement les trois principaux éditeurs, avec Coconino que j’évoquais plus haut. Ce dernier est le plus vénérable vu qu’il édite depuis 1999, d’abord destiné aux jeunes auteurs sortant des formations d’Angoulême. Lapin commence à éditer en 2005, et Foolstrip et Webcomics.fr en 2007. Le mouvement est donc très récent en France. Les stratégies sont variées.
Lapin reste assez traditionnel et encore proche du fanzinat : il met gratuitement en ligne des strips courts et reste fidèle au format papier pour des albums plus conséquents et payants.
Webcomics.fr
fait de l’hébergement et non de l’édition. Il a un objectif promotionnel plutôt que commercial et n’opère pas de sélection parmi les auteurs. Il offre surtout aux auteurs un espace de publication, et propose aux lecteurs des BD gratuites.
A l’inverse, Foolstrip se démarque par une véritable politique éditoriale professionnelle : accompagnement des auteurs, rémunération en droits d’auteurs, traduction, promotion des auteurs… Il fonctionne sur le principe de l’abonnement mensuel qui permet d’avoir accès à l’intégralité du catalogue en ligne. Les tirages papier sont davantage des compléments pour offrir une plus grande visibilité. L’édition de l’album Mon chat et moi par le blogueur Kek a contribué à faire connaître cet éditeur qui se dit « première maison d’édition de BD en ligne », ce qui n’est pas totalement faux, puisqu’il est le principal site proposant un service proche de l’édition professionnelle papier.
Enfin, un portail cherche à regrouper l’offre existant actuellement dans le domaine français : http://www.bd-en-ligne.fr/stories.

Le débat sur la BD en ligne comporte deux grands enjeux : la question de la valeur ajoutée et celle du modèle économique, (questions très tôt abordées par Scott McCloud, et dont je reprends les réflexions). Editer en ligne des BD traditionnelles est une première étape, mais un cap nouveau sera franchi lorsque ces BD seront pleinement adaptées à leur support. Le numérique et l’écran modifie le mode de lecture et favorise des innovations qui ne sont pas encore pleinement exploitées par les auteurs en ligne (mais que l’on peut trouver occasionnellement sur les blogs) : insertion d’images 3D, de sons et d’animations, mise à profit d’un sens de lecture vertical, périodicité différente, possibilités de navigation au sein d’une page. La question du modèle économique est plus douloureuse : un auteur peut-il vivre de ses BD en ligne ? Le modèle dominant pour le moment est celui du paiement direct en ligne, et les tarifs sont nettement moins élevés que celui des formats papier pour des raisons de faible coût (pas d’imprimeurs et de distributeurs à payer). Mais il est flagrant qu’en France, dans l’état actuel des choses, un auteur ne peut vivre de ses seuls travaux en ligne. Il faudra suivre l’évolution de maisons comme Foolstrip. Mais le format papier est encore trop dominant, se porte très bien et il faudra attendre quelques années (décennies ?) pour voir une véritable concurrence comme il peut en exister dans la musique et l’audiovisuel.

Je termine par une petite actualité de la BD en ligne, lancée par l’infatigable expérimentateur Lewis Trondheim : la BD nomade. Déjà présente en Asie et testée également par Foolstrip, ce principe consiste à assurer la lecture de BD sur des supports numériques mobiles (téléphones, consoles…). Par abonnement mensuel ou annuel, le lecteur reçoit tous les jours sur son smartphone un strip de sa bd Bludzee ( http://www.bludzee.com/ ). Une manière complètement nouvelle de lire de la BD, clairement ancrée dans les nouvelles technologies du XXIe siècle. Il ne s’agit que d’une expérimentation, mais dont il faudra suivre les rebondissements et l’éventuel succès.

Published in: on 6 octobre 2009 at 08:46  Comments (2)