Index des articles

Pour naviguer plus facilement dans nos archives, voici la liste des articles, classés par thèmes puis par auteur dans le cas des critiques d’albums. Sont placées en tête quelques rubriques régulières du blog si un de ces sujets vous passionnent…

Parcours de blogueurs : chaque article trace le portrait d’un blogueur bd ; essayez le blog, adoptez les albums !
Aseyn
Boulet
The Black Frog
Capucine
Gad (Ultimex)
Gagné, Esther
Guerrive, Sophie
James
Jibé
Libon
Lommsek
Long, Guillaume
Mandel, Lisa
Monsieur le chien
Monde, Geoffroy
Mourier, Davy
Pena, Nancy
Pochep
Sorel, Vincent
Surcouf, Erwann
Tanxxx
Vidberg, Martin
Vivès, Bastien
Wandrille
Wild, Nicolas
Wouzit

Golothon : un parcours chronologique dans la carrière de Golo.
Ballades pour un voyou, éditions du Square, 1979
Les années Frank, de L’Echo des savanes à Futuropolis (1981-1987)

Baruthon : un parcours chronologique dans la carrière de Baru, Grand Prix du FIBD d’Angoulême 2010, d’albums en albums.
Quéquette blues, Dargaud, 1984-1986 (3 tomes)
La Piscine de Micheville, Dargaud, 1985
La communion du Mino, Futuropolis, 1985
Vive la classe !, Futuropolis, 1987
Cours Camarade, Albin Michel, 1987
Le chemin de l’Amérique, Albin Michel, 1990
Promenades et albums collectifs
L’autoroute du soleil, Casterman, 1995
Sur la route encore, Casterman, 1997
Bonne année !, Casterman, 1998
Les Années Spoutnik, Casterman, 1999-2003 (4 tomes)
L’enragé, Dupuis, 2004-2006 (2 tomes)
Pauvres Zhéros (d’après Pierre Pelot), Casterman/Rivages, 2008
Fais péter les basses, Bruno !, Futuropolis, 2010


Science-fiction et bande dessinée
: présentation d’une série d’albums, des années 1930 à nos jours, pour retracer la place du genre « science-fiction » dans la bande dessinée
Années 30 : Alain Saint-Ogan, Le rayon mystérieux, 1937-1938 // Pellos, Futuropolis, 1937
Années 40 : Edgar P. Jacobs, Le rayon U, 1943 // Raymond Poïvet et Roger Lecureux, Les Pionniers de l’Espérance, 1945-1973
Années 50 : Hergé, Objectif Lune, 1950 // André Franquin, Le dictateur et le champignon, 1953
Années 60 : Jean-Claude Forest, Barbarella, 1962-1977 // Jean-Claude Forest et Paul Gillon, Les Naufragés du temps, 1964-1977
Années 70 : Philippe Druillet, Gail, 1977 // Moebius, Le garage hermétique de Jerry Cornelius, 1976-1979
Années 80 : Chantal Montellier, recueil Social Fiction (2006) de récits réalisés de 1977 à 1982 // François Schuiten et Benoît Peeters, La fièvre d’Urbicande, 1984
Années 90 : Jacques Lob et Jean-Marc Rochette, Le Transperceneige, 1983-1999 // François Bourgeon et Claude Lacroix, Le Cycle de Cyann, 1993-1997
Années 2000 : Max, Sombres ténèbres, 2001-2005 // Frederik Peeters, Lupus, 2003-2005

Archi et BD, on refait l’expo :
interprétation personnelle de ce qui aurait pu être fait lors de l’exposition sur l’architecture à la bande dessinée à la Cité de l’architecture et du patrimoine.
1. Villes rêvées de l’an 2000 : Robida, Saint-Ogan et les utopies architecturales au début du XXe siècle
2. Les Cités Obscures de François Schuiten et Benoît Peeters, une encyclopédie de l’architecture
3. L’architecture dans la bande dessinée historique
4. Carnets de voyages, d’un art à l’autre
5. Bruxelles 58, ville d’architecture et de bande dessinée

Réflexions sur les blogs bd et la bd sur internet
– La bande dessinée numérique : une bibliographie
Répliques : La BD numérique, enjeux et perspectives par Sébastien Naeco
– La bande dessinée numérique au défi de la conservation : partie 1 et partie 2
Une table ronde sur la bande dessinée numérique à Villeurbanne
Bouquet de bandes dessinées en ligne (février 2011)
Notes pour une histoire de la bande dessinée en ligne
Entrer dans le monde des blogs bd
Qu’est-ce qu’un blog bd ?
Petite histoire des blogs bd français
Les blogs bd face à l’édition papier
La blogosphère bd comme communauté
Le Bien, le Mal, et les blogs bd
Blogs bd : l’illusion autobiographique
Internet et la bande dessinée
Le projet Manolosanctis
(Auto)-initiation à l’univers de la BD numérique
Edition numérique : la balle dans le camp des auteurs
Les autres gens et le retour du feuilleton
Le feuilleton-bd Les autres gens, bilan de lecture
Le don, un modèle économique pour la bande dessinée numérique ?
– Interview de Yannick Lejeune, co-fondateur du festiblog, partie 1 et partie 2
– L’affaire du blog de Franquin et la gestion de l’héritage franco-belge partie 1 et partie 2
Révélation blog 2010
Révélation blog 2011 : le retour de l’article
Projets d’éditeurs dans la bande dessinée en ligne : Manolosanctis et Ego comme X
Une autre génération de blogueurs : Lewis Trondheim, Manu Larcenet, Maëster
Editeurs et bande dessinée en ligne : un état des lieux 2010
Initiatives d’auteurs dans la bande dessinée numérique (janvier 2011)
TurboMedia : un nouveau paradigme pour la bande dessinée numérique ?

Exposer la bande dessinée… à travers les âges

1. Quand les dessinateurs de presse s’exposaient : les salons de dessinateurs humoristes (1920-1950)
2. Bande dessinée et figuration narrative : une exposition fondatrice ? (1967)
3. Le rôle des festivals de fans dans le développement des expositions (années 1970)
4. La BD au musée, entre légitimation d’un medium et produit d’appel muséographique (1990-2000)
5. Le CNBDI :quant l’Etat expose la bande dessinée à Angoulême (1984-2011)
6. Le triomphe de la scénographie en trois dimensions : une nouvelle façon d’exposer la bande dessinée (années 1990-2000)
7. Les expositions scientifiques de bande dessinée (années 1990-2000)

Critiques d’albums et d’auteurs (classées par auteurs)
– (collectif) scénario Thomas Cadène), Autres gens, les, autoédition numérique, 2010
– (collectif), Fort en moto, FLBLB, 2011
– (collectif) Phantasmes, Manolosanctis, 2009
– (collectif) Les Nouveaux Pieds Nickelés, Onapratut, 2010
– Alexis, Superdupont, Fluide Glacial
– Aseyn, Abigail, Warum, 2010
– Blanchin Mathieu, Martha Jane Cannary, Futuropolis, 2009
– Bofa, Gus, Le livre de la guerre de cent ans, Cornélius, 2007 (réédition d’une première édition de 1920)
– Boilet, Frédéric, Chuban, licence Creative Commons, 2004
– Boot, Fred, Rainbow Mist, autoédition, 2010
– Boot, Fred, Chuban, licence Creative Commons, 2004 (voir Boilet, Frédéric)
– Botta, Marc, (scénario : Alex Nikolavitch), La dernière cigarette, La Cafetière, 2004
– Cadène, Thomas, voir Autres gens, les
– Calvo, Edmond-François, La bête est morte, Gallimard, 1995 (réédition, première édition chez G.P. en 1945)
– Chauvel David, Arthur, une épopée celtique, 1999-2007 (voir Lereculey Jérôme)
Christophe
– Cruchaudet, Chloé, Groenland-Manhattan, Delcourt, 2008
– David B. : les ombres chez David B.
– David B. : les faces cachées chez David B.
– Davodeau Etienne, Lulu femme nue, Futuropolis, 2009-2010 (2 tomes)
Gimenez, Carlos
– Fabcaro (dessin de James), Amour, passion et CX diesel, Fluide Glacial, 2011.
– Ferri, Jean-Yves, Les fables autonomes, Fluide Glacial, réédition de 2010 (e.o. : 1996-1998)
– Gilbert, Thomas, Oklahoma Boy, Manolosanctis, 2009-2011
– Henry, Léo, Rainbow Mist, autoédition, 2010 (voir Boot, Fred)
– Hubert, Bestioles, Dargaud, 2010
– Ikeda, Riyoko, La rose de Versailles, (Lady Oscar)
– James (scénario de Fabcaro), Amour, passion et CX diesel, Fluide Glacial, 2011.
– Jul, Silex and the city, Dargaud, 2009
– Kerascoët, Jolies ténèbres, Dupuis, 2009
– Lereculey Jérôme, Arthur, une épopée celtique, 1999-2007
Max
– Lob, Jacques, Superdupont, Fluide Glacial (voir Alexis)
– Lob, Jacques (dessin de Georges Pichard) Blanche Epiphanie, SERG, 1977
– Luz, Rouge Cardinal, l’Association, 2010
– Luz, King of Klub, Les Echapées, 2010
– Konture, Mattt, Les Contures, L’Association, 2004
– Lommsek, La ligne zéro, Vraoum, 2010
– Medley Linda, Château l’attente, Ca et là, 2007
– Montellier Chantal, Odile et les crocodiles, Les Humanoïdes Associés, 1984
– Nesme Alexis, Les enfants du capitaine Grant, Delcourt, 2009
– Nikolavitch, Alex, (dessin : Marc Botta) La dernière cigarette, La Cafetière, 2004
– Ohm, Bestioles, Dargaud, 2010 (voir Hubert)
OuBaPo
– Parme Fabrice, Panique dans l’atlantique, Dupuis, 2010
Peeters, Frederik
– Perrissin Christian, Martha Jane Cannary, Futuropolis, 2009 (voir Blanchin Mathieu)
– Pichard Georges (scénario de Jacques Lob), Blanche Epiphanie, SERG, 1977
– Place Pierre, Celle qui réchauffe l’hiver, Delcourt, 2011
– Prado, Miguelanxo, Traits de craie, Casterman, 1993
– Pratt, Hugo, Sergent Kirk, réédition de Futuropolis, 2005-2009
– Schwartz Olivier, Le groom vert-de-gris, Dupuis, 2009 (voir Yann)
Siné
– Sfar, Joann, Le chat du rabbin, Dargaud, 2002-2006
Solis, Fermin
– Tardi, Jacques, Le démon des glaces, Dargaud, 1974
– Terreur Graphique, Rorschach, Six pieds sous terre, 2011
– Teulé, Jean, Banlieue Sud, éditions du Fromage, 1981
– Tibet, Ric Hochet, Le Lombard, 1963-2010 (77 albums)
– Tirabosco, Tom, (scénario : Pierre Wazem), Monroe, Casterman, 2005
– Trondheim Lewis, Panique dans l’atlantique, Dupuis, 2010 (voir Parme)
– Tony, Prise de tête, sous licence Creative commons, 2009
– Vehlmann Fabien, Jolies ténèbres, Dupuis, 2009 (voir Kerascoët)
– Vives, Bastien, Dans mes yeux, Casterman, 2009
– Wazem, Pierre (dessin : Tom Tirabosco), Monroe, Casterman, 2005
– Yann, Le groom vert-de-gris, Dupuis, 2009
– Yslaire Bernar, Le ciel au-dessus du Louvre, Futuropolis/Louvre, 2009

La BD, son histoire et sa mise en valeur : quelques réflexions
– Le phylactère avant la bande dessinée partie 1
La naissance de la bande dessinée : panorama historiographique
Journaux d’hier : la bande dessinée dans la presse de l’entre-deux-guerres
– L’affaire du blog de Franquin et la gestion de l’héritage franco-belge partie 1 et partie 2
Spirou et le principe de série dans la bande dessinée franco-belge
Tibet, Ric Hochet et la bande dessinée populaire
Relisons le Sapeur Camember !
Pratique de la réédition dans l’édition de bande dessinée française
La numérisation du patrimoine de la bande dessinée à la CIBDI
Les expositions du FIBD 2010
Expositions sur le dessin de presse à la BnF
Evolution et crispation dans le monde du dessin de presse
L’exposition Astérix au musée de Cluny
La Bibliothèque nationale de France et la bande dessinée
L’exposition Moebius à la Fondation Cartier
Retour sur l’exposition Moebius à la Fondation Cartier
Des difficultés d’exposer la bande dessinée : Archi et BD au palais de Chaillot
Astérix à la Bibliothèque nationale de France
Traits Résistants au CHRD : une exposition d’un genre nouveau
Le Chat du rabbin : de la BD au film
Bulles à Saint-Malo
Retour à Saint-Malo
L’exposition Spirou à la galerie Daniel Maghen
Interview de Benoît Mouchart, directeur artistique du festival d’Angoulême
Evocation de la bande dessinée espagnole
Evocation de la bande dessinée argentine
Evocation de la (jeune) bande dessinée suisse

Egypte et bande dessinée : quelques lectures
Edgar P. Jacobs, Le mystère de la grande pyramide, Le Lombard, 1954-1955 (2 tomes)
Lucien de Gieter, Papyrus, Dupuis, 1974-
Jacques Martin et André Juillard, L’oeil de Khéops, Glénat, 1984
Golo, Mes Milles et une nuits au Caire, Futuropolis, 2009-2010 (2 tomes)

Vous êtes allé jusqu’à la fin de cet index ? Pour vous récompenser de cet exploit, une série apéritives d’articles réalisés durant l’été 2010 dans lesquels Mr Petch s’amuse à quelques exercices Oubapiens d’hybridation de planches de bande dessinée : « Les dimanches Oubapiens de Phylacterium »

Episode 1 : à partir d’une planche de Les formidables aventures de Lapinot
Episode 2 : à partir d’une planche de Blueberry
Episode 3 : à partir d’une planche de Watchmen
Episode 4 : à partir d’une planche des Cités Obscures
Episode 5 : à partir d’une planche de De Cape et de Crocs

Published in: on 21 décembre 2009 at 17:46  Laissez un commentaire  

Parcours de blogueur : Lisa Mandel

Avant tout, une info essentielle pour les lecteurs de blogs bd : Frantico est revenu ! (http://www.megakravmaga.com/ )

Poursuivons doucement dans la bande de l’atelier d’illustration des Arts Déco de Strasbourg, une pépinière de dessinateurs et de blogueurs. Lisa Mandel y fut la camarade de Boulet et de Nicolas Wild que j’évoquais dans de précédents articles. Née en 1977, elle est déjà une dessinatrice prolifique et complète, à l’aise aussi bien dans la BD jeunesse que dans des oeuvres pour les adultes.

Des revues jeunesse à l’édition adulte


Lisa Mandel suit d’abord un parcours classique que l’on retrouve chez ses collègues précédemment cités et chroniqués. Après ses études aux Arts Décoratifs de Strasbourg, elle s’engage dans plusieurs revues pour la jeunesse où elle dessine ses premières séries. Son style volontairement regressif la conduit dans des revues au ton moins sage, en l’occurence Tchô ! et Capsule Cosmique. Cette dernière revue, expérience éditoriale lancée en 2004 chez Milan Presse par Gwen de Bonneval, revendique la recherche d’une autre BD jeunesse, plus impertinente et autour de thématiques nouvelles et de graphismes moins traditionnels. La revue fait se cotoyer des auteurs de BD adulte talentueux, dont certains sont issus de l’Association (Stanislas, David B…) et des débutants comme Lisa Mandel, mais aussi Riad Sattouf et Mathieu Sapin (qui ont tout deux commencé à publier au début des années 2000). Elle y crée la série Eddy Milveux, jeune garçon possédant une blatte magique capable de réaliser des voeux. Malheureusement, Capsule Cosmique s’arrête en 2006. Quant à Tchô, où elle retrouve Boulet, elle y dessine les aventures de Nini Patalo, une autre histoire loufoque d’une petite fille qui, dont les parents disparaissent par magie et qui se retrouve seule avec son canard en peluche devenu vivant et Jean-Pierre, un homme préhistorique décongelé. Les deux séries lui donnent l’occasion de publier ses premiers albums. Progressivement, par ses séries et son humour original, elle s’est imposée comme une figure de l’illustration pour enfant.
Mais Lisa Mandel ne s’arrête pas là et tente aussi l’aventure de la BD adulte avec des albums plus personnels où elle montre qu’elle ne fait pas qu’elle peut aussi quitter le registre de l’humour. C’est ce qu’elle explique dans une interview donné à 20minutes à l’occasion du festival d’Angoulême : « J’étais cataloguée « petits machins rigolos ». Mais depuis quelque temps, je suis sorti du rayon jeunesse grâce à mon blog où j’abordais des thèmes différents. Avec cet album [Esthétique et filatures], j’ai atteint le statut d’auteur. Même s’il y a encore de l’absurde et du rigolo dedans. » . Commence alors pour Lisa Mandel, sans qu’elle abandonne complètement le dessin jeunesse, une nouvelle phase de son travail, moins marquée par l’humour. Les sujets qu’elles abordent sont clairement adultes, voire même graves et sérieux. Princesse aime princesse, publié en 2008, a détourne les schémas classiques du conte de fées pour raconter une histoire d’amour lesbienne. Esthétique et filatures, qu’elle scénarise avec Tanxxx, une autre célèbre blogueuse, au dessin, traite aussi, mais dans un univers plus sombre, du destin d’une jeune lesbienne. Nommé au festival d’Angoulême, l’album connaît ainsi une petite publicité. Enfin, avec HP, son dernier album sorti en septembre dernier, elle sort de la fiction pour proposer une suite d’histoires courtes où elle donne la parole à des infirmiers d’hôpitaux psychiatriques. Un album qu’elle avait, dit-elle, depuis longtemps en projet pour témoigner de l’évolution d’un métier et surtout d’un milieu peu connu du public.

Le blog de Lisa Mandel : un blog d’expatrié


Le blog de Lisa Mandel, « Libre comme un poney sauvage » apparaît sur la toile en 2005, suivant de près la première génération de blogueurs. Il ne s’agit pas pour elle de dessiner des anecdotes de vie ; ce blog a un objectif plus concret, un événement déclencheur : le long séjour qu’elle fait en Argentine en 2005. Lisa Mandel a déjà voyagé, au Sénégal et au Cambodge, mais elle décide cette fois de raconter son périple en BD, sous la forme d’un blog. Rappelez-vous Nicolas Wild : nous sommes là dans la formule du blog d’expatrié qui s’identifie au carnet de voyage, genre littéraire riche d’une longue tradition. Comme le blog de Boulet, celui de Lisa Mandel offre un graphisme étudié loin des formes plus artisanales qui sont celles des blogs bd ; le site est d’ailleurs réalisé par designfacility, un studio de création sur le web. Lisa Mandel y raconte donc son séjour en Argentine en mêlant des anecdotes classiques, impressions de voyage et réflexions sur l’écriture et la BD. Il évolue progressivement et s’enrichit de rubriques : vente aux enchères, infos sur les dédicaces… Lisa Mandel en prévoit même une version anglaise et espagnole, encore en travaux.
En 2006, le blog est édité en album dans la collection Shampooing de Lewis Trondheim, comme de nombreux autres blogs bd.
A côté de son blog principal, Lisa Mandel participe à la blogosphère par d’autres biais. Elle participe à la deuxième édition du festiblog. Elle est aussi une des cinq « chicous » du blog Chicou-chicou, où elle incarne le personnage de Juan, séducteur invétéré et bisexuel. Ayant participé aux premières 24heures de la BD en 2007, on la trouve dans Boule de neige, le collectif réuni à cette occasion par Lewis Trondheim.

Depuis novembre 2009, à la grande joie de ses fans, Lisa Mandel a réouvert son blog qui était resté en suspens après son retour d’Argentine. L’occasion en est, évidemment… son retour en Argentine jusqu’en janvier.

L’expressivité d’un style

Si Lisa Mandel fait appel à un style enfantin, assez proche de Reiser dans sa facture volontairement brouillonne, ce n’est qu’une façon de brouiller les pistes. Une esthétique très particulière, peut-être déstabilisante pour qui n’en a pas l’habitude mais que Lisa Mandel utilise aussi bien pour ses albums humoristiques pour enfants que pour des albums adultes. Elle reprend là une tradition de la BD underground du « dessin laid » qui ne recherche pas la perfection esthétique et la clarté mais vise au contraire une forte expressivité qui renforce les effets et, indirectement, humanise le dessin ; expressivité efficace aussi bien pour des scènes comiques que pour des scènes plus dramatiques. Sur son blog comme dans certains de ses albums, elle utilise une mise en page libre supprimant volontairement la traditionnelle case qui peut là encore rappeler Reiser, mais aussi les carnettistes de l’Association, Sfar et Trondheim. (note)
La richesse de Lisa Mandel réside dans cette opposition entre un style en apparence désordonné et enfantin et des réflexions qui, à bien y réfléchir, sont plus profondes qu’il n’y apparaît. C’était déjà perceptible dans ses premières séries pour enfants où le non-sens masquait un humour subtil dans son absurdité. Les albums pour adultes viennent confirmer cette capacité qui donne à son graphisme simple un fort pouvoir de suggestion qui fait passer des émotions et des idées. De véritables obsessions ressortent, tissant des liens entre le monde de l’enfance et le monde adulte : la naissance du sentiment amoureux, le pouvoir à la fois stimulant et destructeur de la folie, la force de l’imagination enfantine. Dans son dernier album, HP, édité par la très sérieuse maison l’Association, elle explore une voie documentaire tout en se servant de son graphisme pour représenter la folie et la monstruosité. Elle troque ses habituelles aquarelles pour un noir et blanc réhaussé de orange qui insiste sur les scènes critiques des étranges récits des infirmiers psychiatriques.

Bibliographie :
Nini Patalo, Glénat, 2003-2009
Chansons pour les yeux, Delcourt, (collectif) 2004
Eddy Milveux, Milan, 2004-2005
L’île du professeur Mémé, Milan, 2006
Libre comme un poney sauvage, Delcourt, 2006
Boule de neige, Delcourt, 2007
Chicou-Chicou, Delcourt, 2008
Princesse aime princesse, Gallimard, 2008
Esthétiques et filatures, Casterman, 2008
HP, L’Association, 2009

Webographie :

L’ancien blog de Lisa Mandel : Libre comme un poney sauvage (il faut passer par les archives pour lire le blog)
Le nouveau blog de Lisa Mandel : http://lisamandel.net/
Les citations sont tirées des deux interviews suivantes :
Bodoï – Lisa Mandel ausculte l’hôpital pschiatrique
20minutes – Lisa Mandel de la cour de récré à la cour des grands

Published in: on 19 décembre 2009 at 11:50  Comments (1)  

Le phylactère avant la bande dessinée

Le débat sur l’origine du phylactère (ou bulle, ou ballon…) est à peu près aussi nébuleux que celui sur l’origine de la bande dessinée. Aujourd’hui, pour définir la bande dessinée, les spécialistes privilégient en général le caractère séquentiel par rapport à la présence ou non de phylactères. Américains (Will Eisner, Scott McCloud[1]) comme francophones (Harry Morgan, Thierry Groensteen, Benoît Peeters…), suivis par les dictionnaires de référence que sont le TLF et le Dictionnaire de l’Académie française, s’accordent à dire que la bulle n’est pas ce qui permet de déterminer ce qui relève ou non de la bande dessinée. Il semblerait cependant excessif d’en négliger l’importance. Bien sûr, de nombreuses bandes dessinées sont dépourvues de  bulles, par exemple le gagnant du Fauve d’Or à Angoulême en 2008, Là où vont nos pères[2]. Il n’en reste pas moins vrai que dans la représentation que chacun de nous se fait de la bande dessinée le phylactère occupe une place privilégiée et peut-être plus nette que le côté séquentiel. S’il fallait faire deviner le concept de bande dessinée dans un jeu de devinettes ou de pictionnary, il est probable que l’on ferait appel plus spontanément à la bulle qu’au caractère séquentiel, et ce sans doute parce que ce caractère séquentiel est partagé, dans une certaine mesure, par d’autres formes de représentations (cinéma, peinture…) alors que le phylactère est rare en dehors de la bande dessinée et du dessin de presse. Il n’est pas sans intérêt de noter que parmi les langues les points de vue divergent : le français et les langues scandinaves emploient pour désigner le 9e art un vocable (bande dessinée, tegneserie) faisant peut-être référence à la séquentialité, tandis que la plupart des autres langues font plutôt allusion soit au caractère distrayant (comics, historietas, manga) soit au phylactère (fumetti).

Le Chat de Philippe Geluck

Difficile définition

Si l’on voulait tenter une définition, on pourrait dire que phylactère est un moyen de représenter les paroles de personnages à proximité d’eux à l’intérieur de la case. Le phylactère permet que les paroles puissent être attribuées avec évidence au personnage qui les prononce (lorsque les paroles sont écrites sous la case, il arrive souvent que seul le style permette d’identifier le locuteur – ce qui entraine souvent une différenciation supérieure des styles,accompagnée parfois de l’utilisation d’argots ou d’accents spécifiques, comme par exemple dans Le Sapeur Camembert ou Les pieds nickelés). Il permet sans doute aussi une lecture plus dynamique, où image et texte sont lus simultanément. Néanmoins, son statut reste flou : suffit-il que les paroles soient à proximité du personnage pour faire un phylactère ou bien faut-il qu’elles soient encadrées ? Faut-il que le phylactère soit rond ou rectangulaire pour qu’on puisse parler de bande dessinée ou bien peut-on voir dans le vitrail médiéval une bande dessinée comme les autres ?

Etymologie

Le mot phylactère vient du latin phylacterium, lui-même issu du grec φυλακτήριον. La racine grecque φυλακ- signifie « garder, protéger » et le mot phylactère a pour sens premier « poste de garde » avant de signifier « talisman ». C’est à partir de ce dernier sens que l’on en est venu à appeler φυλακτήριον les tefilim, petites boîtes de cuir portées par les juifs au moment de la prière depuis le Ier siècle au moins et qui contiennent des parchemins sur lesquels ont été calligraphiés certains passages des écritures saintes.  Ce rituel est évoqué dès le premier siècle, notamment dans l’Evangile selon Matthieu, où le Christ dit en parlant des pharisiens et des scribes : « Ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes. Ainsi, ils portent de larges phylactères et ils ont de longues franges à leurs vêtements »[3]. Ces phylactères sont des objets protecteurs parce qu’ils portent la parole divine et la calligraphie des versets copiés sur les tefilim répond à des règles extrêmement strictes dont la négligence rend le texte passoum, c’est-à-dire dénué d’efficacité religieuse[4].

La signification mystique du phylactère

C’est le même type de support qui est représenté dans les phylactères médiévaux, banderoles où sont inscrites les paroles des saints et des personnages bibliques. Ces parchemins déroulés se répandent dans l’iconographie à l’époque romane à un moment où la forme normale du document écrit est la pièce de parchemin rectangulaire (pour les actes) ou le codex (pour les livres). Le rouleau tel qu’il apparaît dans les représentations de phylactères est la marque d’un effet intentionnel d’archaïsme : le rouleau est alors depuis longtemps une forme marginale dans l’usage chrétien courant et ne sert plus que pour quelques usages très spécifiques ainsi que pour les livres sacrés des juifs. Le mot phylactère est également employé à partir du XIIe siècle par certains auteurs, notamment le poète normand Wace, pour parler d’un réceptacle contenant des reliques de saints, sens qu’il a retrouvé dans l’heroic fantasy contemporaine, où il désigne un artefact contenant l’essence d’une liche.


Dans les enluminures, les bas-reliefs, les tableaux et surtout les vitraux médiévaux, les phylactères sont souvent le support de textes courts à haute valeur religieuse. On les trouve notamment associés à saint Jean Baptiste disant « Ecce agnus dei qui tollit peccata mundi », dans la bouche de la Vierge priant le seigneur de faire venir à elle la Parole: (« Domine labia mea operies ») et surtout dans les annonciations. Dans ce dernier motif la valeur de la parole est plus essentielle que jamais puisque les paroles de l’archange Gabriel, « Ave Maria gratia plena », coïncident au moment de l’incarnation du Christ[5]. L’ange trouvant à dextre (à gauche pour le spectateur) et la vierge à senestre (à droite), le texte du phylactère va de l’ange à la vierge, du divin à l’humain, et matérialise l’incarnation du Verbe divin dans un corps terrestre. En sculpture, les phylactères sont souvent un signe d’identification des prophètes, lesquels portent dans les mains la parole divine qu’ils ont pour mission de délivrer.

On a pu repérer des motifs proches du phylactère médiéval dans plusieurs autres civilisations. Sur les bas-reliefs de l’Egypte ancienne, il arrive que l’on écrive les paroles des personnages à proximité de leur représentation (même si ce n’est pas la norme : on écrit en général plutôt leur nom, leur titre, leurs hauts faits ainsi qu’une bénédiction). Une des occurrences les plus remarquables est sans doute leur présence dans l’art méso-américain précolombien. On peut en contempler quelques exemples en ce moment à l’exposition du Musée du Quai Branly sur Teotihuacan.

Un peu de lexicologie

En français le terme de phylactère désigne à la fois cet élément iconographique ancien et la bulle de bande dessinée. ; dans la plupart des autres langues, les deux termes sont distincts : ainsi l’anglais sépare-t-il speech scroll et speech bubble ou speech balloon, l’allemand Spruchband et Sprechblase et l’espagnol filacteria et globo ou bocadillo. Et même en bande dessinée française on parle plus facilement de bulle que de phylactère, ce dernier terme étant assez rare en dehors des bandes dessinées de Philippe Geluck et des écrits spécialisés. Les réalités auxquelles fait référence le terme employé sont assez diverses : si en anglais comme en français on fait allusion aux bulles et aux ballons, en Allemand le terme de Blase signifie au moins autant « vessie » que « bulle ». En italien on parle de balloon ou de nuvoletta (petit nuage), et le terme utilisé pour désigner la bande dessinée (fumetto, littéralement « petite fumée ») fait aussi référence au phylactère, semblable à une fumée s’échappant de la bouche des personnages. Enfin, le japonais fukidashi (吹き出し) signifie « souffle qui sort ».

Prochain épisode : la naissance du phylactère en bande dessinée entre le XVIIIe et le XXe siècle.

Antoine Torrens

(suite…)

Published in: on 15 décembre 2009 at 00:19  Comments (3)  

Internet et l’édition de bande dessinée : le projet Manolosanctis

Comme Yannick Lejeune nous l’expliquait en novembre dans cet interview, la Bd numérique est une notion qui recouvre de nombreuses et hétérogènes réalités qui, pour la plupart, ne sont encore que des projets en devenir. Celle qui nous intéresse aujourd’hui tient à la façon dont Internet a amené à la création de maisons d’édition qui s’approprient les potentialités d’Internet à travers des projets, des choix éditoriaux et des méthodes commerciales. Internet commence à autoriser quelques changements dans le petit monde de l’édition de bande dessinée, changements encore assez peu perceptibles pour le grand public, mais néanmoins significatifs. J’illustrerais mon propos par l’exemple des éditions Manolosanctis (http://manolosanctis.com/), ce qui me permettra de vous présenter un chouette album, Phantasmes, sorti ce mois-ci, et qui révèle les talents de nombreux blogueurs bd…

Manolosanctis et l’édition de BD en ligne

La maison d’édition Manolosanctis a été créée en septembre 2009 par trois fondateurs (Arnaud Bauer, Maxime Marion, Mathieu Weber) dans le sillage de nombreuses autres éditeurs et hébergeurs de bande dessinée sur internet comme les éditions Lapin (2005) Foolstrip (2007) ou Webcomics.fr (2007) (des noms que j’évoquais dans un ancien article, Internet et la bande dessinée). Elle se situe dans le même crêneau éditorial que Foolstrip, à laquelle elle emprunte d’ailleurs certaines caractéristiques : l’accompagnement des auteurs par une rémunération en droits d’auteur, un intérêt porté aux blogueurs bd débutants, une politique d’édition de beaux albums papier qui vient s’ajouter à l’édition, courante, de BD en ligne. Quelques différences apparaissent toutefois : Manolosanctis se veut moins traditionnelle que Foolstrip, plus clairement orientée sur les potentialités et les ideaux du web. Là où Foolstrip se limite à l’édition numérique ou papier, mettant en avant un souci de qualité constante et de meilleur contrôle des contenus disponibles, Manolosanctis est aussi un simple hébergeur dans la mesure où n’importe quel dessinateur peut y publier ses dessins à la communauté de membres inscrits sur le site. Dans l’idéal, le système fonctionne comme suit : les auteurs postent leurs albums, puis les lecteurs et les autres auteurs donnent leur avis et font ainsi buzzer certains albums qui deviennent plus accessibles à partir de la page d’accueil. Les lecteurs laissent des commentaires sur les albums qu’ils lisent pour faire éventuellement progresser le jeune dessinateur. Les fondateurs utilisent pour ce mode de fonctionnement le terme de « comité de lecture permanent », dans le sens où les internautes sont de fait invités à participer aux choix éditoriaux. Une expérience semblable existe depuis 2007 aux Etats-Unis, sous le nom de Zuda Comics. Fondé à l’initiative de DC, un des grands éditeurs de comic books américains, le site organise tous les mois une compétition entre dix comics mis en ligne par des auteurs débutants. Les internautes sont invités à voter et les gagnants peuvent signer un contrat et voir leur comics publié. La différence notable est que l’accent y est véritablement mis sur la notion de « compétition », plus ouvertement que sur Manolosanctis.
L’accent est mis, on l’aura compris, sur les potentialités « communautaires » d’internet. Un forum et un blog viennent compléter le site principal, ainsi qu’une inscription dans les réseaux sociaux Facebook et Twitter. C’est bien sûr là une des utopies d’Internet : l’idée que le web favoriserait les contacts humains, le partage des opinions et des contenus, la « démocratie » au sens large du terme. Comme il est indiqué dans la présentation : « [Manolosanctis] permet à ses membres de participer activement à ses choix éditoriaux ». Il faut aller chercher le modèle du côté de Dailymotion qui, d’hébergeur vidéo, s’est mué en promoteur de vidéastes et de créateurs. Une pierre de plus dans le jardin de ceux qui veulent qu’Internet favorise la création artistique est restreignant au maximum les contraintes économiques. Manolosanctis emprunte d’ailleurs à Dailymotion l’idée d’un label de créateur, « creative contents », ici appelé « creative commons » qui garantit à l’auteur un respect de ses droits d’auteur conforme à la loi.

Personnellement, je suis toujours un peu réticent face à l’excès de « participativité » de ce type de projet. Ne serait-ce que parce que l’emploi inconditionnel des termes « participatifs » et « communautaires » a tendance à m’agacer. Ce qui est bien avec une maison d’édition, c’est aussi lorsque les choix éditoriaux sont clairs et reconnaissables, et faire confiance aux internautes bédéphiles est une solution qui m’apparaît un peu dangereuse. A sa décharge, Manolosanctis semble vouloir équilibrer les choses par une double politique d’édition qui sépare publication en ligne libre et moins contrôlée et édition papier plus exigeante, car comme il est précisé plus loin : « Le choix des ouvrages publiés en version papier s’effectue par un processus original combinant préférences de la communauté et sélection éditoriale. ». L’édition papier reste ici la garantie d’une qualité plus élevée.
Je trouve que la comparaison avec Dailymotion est d’autant plus intéressante qu’elle révèle un dilemme qui est celui de la célèbre plateforme de vidéos et qui pourrait bien arriver à Manolosanctis. Dans les deux cas, il y a une séparation entre deux objectifs certes complémentaires, mais néanmoins différents : l’hebergement et l’édition. Manolosanctis est d’abord hébergeur : il accueille des planches de BD, y compris des extraits d’albums édités chez d’autres éditeurs indépendants (Onapratut, Les enfants rouges, Bakchich, Le moule à gaufres), de la même manière que Dailymotion héberge des vidéos de France Inter ou Rue89. Le travail d’hébergeur suppose un suivi et une exigence moindres vis à vis des contenus qui doivent surtout être investis par la communauté de fans. Le travail d’éditeur, deuxième facette de Manolosanctis, est très différent puisqu’il s’agit cette fois d’insuffler une politique éditoriale, de garantir la rémunération des auteurs, d’assurer la publicité des albums. C’est un travail beaucoup moins passif et qui suppose cette fois une sélection et des choix. Dailymotion a trouvé une solution intermédiaire, son label « creative contents » qui empêche un trop grand n’importe quoi.
Dernier détail : le travail d’éditeur suppose aussi des moyens financiers. Contrairement à Foolstrip, qui demande au lecteur un abonnement mensuel, l’accès à Manolosanctis est entièrement gratuit. Il se rattrape donc sur les albums papier et sur les subventions du Centre National du Livre. Reste donc à voir si le projet tiendra sur la longueur et pourra notamment assurer une rémunération suffisante aux jeunes auteurs pour rester à la fois attractif et compétitif.

Que lire sur Manolosanctis ?

Vous l’aurez compris, la possibilité pour n’importe quel dessinateur de publier ses dessins oblige le lecteur à concevoir son propre degré d’exigence et ses propres choix. Quelqu’un qui ne chercherait que des bandes dessinées abouties pourrait être un peu perdu : un grand nombre de planches publiées sont des travaux certes honorables pour des débutants, mais qui n’aurait pas forcément leur place dans une librairie. Doit-on par exemple se diriger vers les « buzz du jour » en faisant confiance à l’avis des internautes ? Doit-on au contraire lire transversalement des dizaines de pages avant qu’une d’entres elles nous accroche le regard ? Ou bien doit-on se contenter d’aller voir les planches d’auteurs que l’on connaît déjà, par leur blog, par exemple ? Au final, chaque utilisateur dessine son propre modèle d’utilisation du site.
Ayant très certainement compris que le site ne pouvait fonctionner que si un maximum de choix était laissé à la disposition lecteur, le site multiplie le nombre de portes d’accès vers des albums : par thèmes, par auteur, par albums les plus plébiscités… Chaque internaute doit ainsi avoir le sentiment de sélectionner lui-même ce qu’il pourra aimer, d’être guidé dans ses choix propres. L’interface de lecture plein écran est plutôt bonne et simple d’utilisation.
J’ai particulièrement apprécié la possibilité de lire des extraits d’albums d’autres maisons d’éditions. De nombreux éditeurs de BD, y compris les plus grands, y viennent progressivement. Bien sûr, on peut aussi donner son avis, soit par un vote, soit par un commentaire plus complet et se voulant constructif, exercice toujours très délicat à manipuler. Enfin, Manolosanctis édite en format papier les auteurs qui recueillent le plus de suffrages et correspondent à la ligne éditoriale.
Une dernier chose : le projet Manolosanctis ne fait que commencer, on ne trouvera donc que trois albums papiers édités pour le moment… Dont un que j’ai testé pour vous.

Phantasmes
ou les espoirs de la blogosphère


Si je vous parle de Manolosanctis, ce n’est ni parce qu’ils m’ont payé pour le faire, ni par caprices, mais parce que j’ai découvert chez eux, récemment, un album qui mérite une attention toute particulière. Il s’agit d’un collectif édité en format papier et livré par Manolosanctis en 48h (ce que je peux confirmer ?). Cet album m’a intéressé pour deux raisons : d’abord parce qu’il est réussi, ensuite parce qu’il révèle quelques dessinateurs talentueux de la blogosphère.
Il s’agit d’un recueil réunissant les contributionss d’un concours lancé en septembre-octobre et parrainé par une des plus célèbres blogueuses bd, Pénélope Bagieu. Des centaines de blogueurs bd y ont répondu et parmi eux, une vingtaine de récits courts (à chaque fois environ huit pages) ont été sélectionnés pour composer le recueil intitulé Phantasmes, épais volume de 176 pages. Le thème était donc ce même titre mystérieux qui pouvait laisser libre cours à tout type de récits : humoristiques, tragique, fantasmagoriques… C’est ce qu’on trouve dans le recueil final et qui fait l’une de ses qualités : une grande diversité de thématiques et de traitement graphique et narratif. On trouvera bien sûr des histoires légèrement érotiques, mais pas uniquement. Tout ne m’a pas absolument plu mais force est d’avouer que, pour des débutants (la plupart des auteurs n’ont jamais publié d’albums), le niveau est bon et le recueil réserve de bonnes surprises.
J’y ai retrouvé quelques noms connus de la blogosphère bd et j’en ai découvert d’autres. J’attendais avec impatience les contributions de certains de mes blogueurs préférés : Manu xyz, Esther Gagné, Eliascarpe, Lommsek. Ce sont tous des blogueurs de la deuxième génération, qui débutent leur blog à partir de 2007-2008. Manu xyz nous livre avec L’antichambre un hommage velouté à l’hédonisme et au plaisir des sens, dans son style hyperréaliste proche de Solé et Alexis, avec une ambiance retro-IIIe République. Eliascarpe reste fidèle à ses deux personnages fétiches, Elias et Zack, et à son humour efficace.
Beaucoup de ces récits souffrent malheureusement du format réduit et on aimerait souvent en voir plus. Chez Esther Gagné ou Lommsek par exemple, on sent que le format de huit pages est un peu contraignant, et on espère une suite, un développement qui n’existe pas. Le récit d’Esther Gagné se veut avant tout psychologique, progressif, pour s’immerger dans l’esprit d’une fan dont la vie finit par tourner autour d’un acteur célèbre. Son style sobre et réaliste inspiré par Miyazaki, tout en noir et blanc, s’accorde parfaitement avec l’histoire.
Je découvre aussi des talents dont j’ignorais l’existence. Parmi eux Léonie dont le récit Smog met en images l’invasion de l’horreur dans le quotidien, opposant un style plus traditionnel à un traitement plus gothique de cauchemars abjects et innommables. Les couleurs oppressantes et déstabilisantes y sont bien utilisées. C’est le même sujet que traite Thomas Gilbert : l’irruption de l’horreur dans le quotidien, mais avec un trait plus fin. Ce dernier auteur a à son actif deux albums édités que je n’ai pas lu, mais dont je vous donnerais des nouvelles si j’en ai l’occasion : Bjorn le Morphir chez Casterman et Oklahoma Boy chez Manolosanctis.

Soyons honnêtes : j’ai aussi apprécié le recueil pour son caractère expérimental. Je ne l’aurais sans doute pas acheté en librairie, face à des milliers d’autres albums d’auteurs que je sais extrêmement talentueux et reconnus. Sans que je sache si je suis représentatif des utilisateurs d’objets culturels via internet, j’ai le sentiment qu’Internet donne une certaine marge de manoeuvre à la qualité : on n’est davantage enclin à se montrer indulgent. J’ai de moins en moins de doutes sur le fait qu’Internet favorise l’éclosion et la valorisation de jeunes talents qui auraient eu, en temps normal, plus de mal à se faire un nom. Le défi que les acteurs d’Internet ont à relever à présent, dans la BD comme dans les autres secteurs culturels, et d’être capables de suivre la carrière de ces jeunes auteurs et de ne pas s’arrêter à la seule découverte.

Pour en savoir plus :
Sur les maisons d’éditions en ligne :

Zuda comics
Les éditions Lapin
Foolstrip
Webcomics.fr
Manolosanctis
Sur l’album Phantasmes et ses participants :
Consulter les récits courts de Phantasmes : http://manolosanctis.com/theme/phantasmes
Le blog d’Eliascarpe : Comme un poisson hors de l’eau
Le blog d’Esther Gagné : La lanterne brisée
Le blog de manu xyz : Coins de carnets
Le blog de Lommsek : Schaïzeuh
Le blog de Léonie : On the road to nowhere
Le blog de Thomas Gilbert : Profondville

Published in: on 13 décembre 2009 at 16:18  Comments (2)  

Parcours de blogueurs : Nicolas Wild

Les blogs bd racontent des anecdotes de vie en BD, certes. Mais ceux de Nicolas Wild, ainsi que ses albums, racontent des anecdotes de vie en direct de l’Afghanistan ou de l’Iran. Présent depuis longtemps sur internet, il a encore peu d’albums à son actif mais la sortie de son blog en format papier en 2007 sous le titre Kaboul disco l’avait fait connaître auprès du public. S’inscrivant dans la mouvance récente des récits de voyage en BD à visée documentaire, les travaux de Nicolas Wild ont sur les autres blogs bd ont l’avantage incontestable du dépaysement.

Nicolas Wild se forme dans l’atelier d’illustration des Arts Décoratifs de Strasbourg, où il se trouve en compagnies d’autres futurs éminents blogueurs : Boulet, Reno, Lisa Mandel et Erwann Surcouf. Comme beaucoup de dessinateurs, il commence par l’illustration pour enfants en réalisant en 2004 quelques dessins pour Fleurus Presse. Sa toute première bande dessinée est éditée en 2000 chez un tout petit éditeur, les Oiseaux de Passage (elle peut se lire ici : Le Bourreau, très influencée par Lewis Trondheim). Puis, avec Boulet et Lucie Albon, il co-scénarise un album, Le voeu de Marc, publié, à plus grande échelle cette fois, à La boîte à bulles en 2005.

Le blog comme carnet de voyage

Entre temps, Nicolas Wild s’est installé sur la toile avec son site internet, comme de nombreux dessinateurs. En 2003, à l’occasion d’un séjour de six mois en Inde, il publie régulièrement, sur ce site, des dessins et des photos, comme des impressions de voyage (Six mois dans le sud de l’Inde ). C’est le début d’une des principales thématiques de ses travaux suivants : le voyage, car Nicolas Wild adore voyager. Internet est alors un moyen de communiquer avec la France et de raconter une expérience, de donner des nouvelles ; c’est un autre aspect du « blog » (même si les blogs n’existaient pas encore à l’époque) qui se dévoile ici, quittant les rivages du quotidien qu’on lui connaît habituellement. Mais paradoxalement, c’est en rentrant en France qu’il se lie au mouvement des blogs bd en lançant son propre blog fin 2004 sur la plateforme 20six (une plateforme bien connue des blogueurs de la première génération). Sur ce blog intitulé « Pangolin », il romance sa vie quotidienne à Paris, un peu à la manière de Boulet (le blog n’existe plus mais quelques extraits ici http://n.wild.free.fr/BD/paris.htm ).
Et puis, en 2005, il reçoit une proposition de travail dans une agence de communication en Afghanistan. C’est le début d’un long séjour dans ce pays qui donnera naissance à l’album Kaboul Disco. Il trouve là le pretexte à un album qui, comme il l’explique lui-même, dépasse le simple stade du blog par une scénarisation plus complexe. L’album sort en 2007, toujours à la boîte à bulles qui, décidément, s’intéresse aux jeunes blogueurs. Un second tome sort en 2008.
Nicolas Wild retrouve le format du blog en avril 2008 pour évoquer cette fois un séjour en Iran, mais où il revient aussi sur l’Afghanistan (From Kabul with blog). Ce blog est abrité sur la plate-forme de blogs du Monde, lui donnant ainsi une visée journalistique et documentaire. Dans ce domaine aussi les blogs sont, pour des journalistes, un bon moyen de renouer avec l’instinct du reporter vivant au jour le jour l’actualité que l’on entend à la radio, se posant en témoin. (le site du Monde accueille de nombreux blogs de voyage, mais, par exemple, je vous conseille le blog de Justine Brabant, Dakar entre quatre yeux ). Le blog est une forme renouvellé du carnet de voyage, plus rapide, plus efficace, et permettant de toucher un plus vaste public. Et le voyage donne un sens au blog, à plus forte raison à un blog bd où l’image et le récit se mêlent pour approfondir les impressions de voyage.

Bande dessinée et carnet documentaire
En lisant Kaboul Disco, on ne peut s’empêcher de penser aux nombreux albums récemment publiés traitant, eux aussi, de la vision d’un dessinateur dans un pays lointain. Emmanuel Guibert est un des principaux représentants de ce courant qui se développe particulièrement dans les années 2000 avec sa série Le Photographe, publiée chez Dupuis de 2003 à 2006. Mais Nicolas Wild, graphiquement, se rapproche davantage du Canadien Guy Delisle et de sa série de carnets de voyage (Schenzhen en 2000, Pyonyang en 2003, Chroniques birmanes en 2007). Notons aussi un album du Suisse Pierre Wazem, Presque Sarajevo, paru en 2002, traitant là encore du même thème avec le même trait synthétique. Mais rappelons-nous aussi que l’un des premiers à se servir de la BD pour témoigner de la réalité quotidienne d’une situation difficile est Joe Sacco qui publie ses carnets de voyage dans des zones sensibles du continent européen : la Palestine en 1992-1993, la Bosnie en 1994-1995. Joe Sacco ouvre ainsi la voie à un travail de dessinateur qui se rapproche de celui du journaliste-reporter.
C’est dans cette mouvance des dessinateurs globe-trotter qu’il faut replacer Kaboul Disco. Nicolas Wild a peut-être en tête les travaux de Delisle lorsqu’il commence son blog. Il partage avec les titres cités de nombreux points communs, et en particulier une volonté didactique : l’enjeu est de présenter au lecteur un pays mal connu en France en insistant à la fois sur les aspects du quotidien et sur l’expérience personnelle de l’auteur. La dimension autobiographique est utilisée pour faire du dessinateur un témoin, le plus souvent passif par rapport à l’action et véhiculant un regard étranger et curieux proche de celui du lecteur. (C’est là tout le propos du Photographe de Guibert : être dans l’oeil du photographe, l’image devenant ainsi dépendante du commentaire propre au narrateur). L’exotisme est évacué au profit d’un récit du quotidien qui s’intéresse davantage aux personnes et ne prétend pas à la beauté des paysages. Le but n’est pas non plus politique : les dénonciations sont présentes, mais pas violentes ou dramatisées. Bien au contraire, ce sont des récits parcourus par les incertitudes de l’auteur qui pose la question de son rôle sur place, de ses convictions et de ses hésitations (dans la boîte de communication où il travaille, Nicolas Wild hésite à . Il est là non pas pour se battre mais le plus souvent pour exercer son travail de dessinateur. Nicolas Wild est en Afghanistan pour réaliser une BD didactique à destination des petits afghans, Yassin et Kâkâraouf. Son seul objectif est de témoigner, au sens le plus neutre du terme, sans pathos, de raconter une expérience qui sort de l’ordinaire mais colle à la réalité.
La réduction du trait vers le schématisme accentue cet effet, chez Nicolas Wild, mais aussi chez Delisle ou Wazem, en concentrant le lecteur sur les dialogues et les situations et en donnant une large place au dialogue intérieur de l’auteur. On trouve donc finalement ces deux dimensions dans Kaboul Disco et dans les blogs de Nicolas Wild : un récit autobiographique par la forme (suite d’anecdotes, vie quotidienne, récit intérieur) mais où la vie de narrateur est dépassée par l’enjeu documentaire d’une situation politique hors norme pour nos civilisations occidentales.
Il faut bien l’avouer, on ne retrouve pas chez Nicolas Wild le dynamisme synthétique et l’humour de Delisle. Kaboul Disco n’est pas exempte de défauts et de longueurs, se concentrant surtout sur le milieu des expatriés et n’exploitant pas toujours tout le potentiel de ses histoires. Mais le récit reste sympathique et instructif ; on y trouve de belles trouvailles et le trait de Nicolas Wild permet une lecture rapide. Son blog tenu en 2008-2009 sur l’Iran montre aussi que le carnet de voyages s’adapte très bien à une lecture de petits épisodes au jour le jour, peut-être davantage qu’à un album. Personnellement, je trouve que les notes sont l’Iran montrent un progrès dans l’écriture de Nicolas Wild, la narration est mieux gérée, les notes sont plus inventives, mêlant textes, dessins et photographies (et en plus disponible gratuitement sur Internet !). Peut-être est-ce là le début d’une nouvelle carrière de dessinateur-reporter…

Bibliographie :
Le voeu de Marc (co-scenario de Boulet, dessin de Lucie Albon) La Boîte à Bulles, 2005
Kaboul Disco, La boîte à bulles, 2007-2008 (2 tomes)

Webographie :
Le blog actuel de Nicolas Wild, From Kabul with blog
Le site internet de Nicolas Wild (pas récemment mis à jour) : http://n.wild.free.fr/
Les premières pages à lire de Kaboul Disco sur le site de l’éditeur : Kaboul Disco
Une interview de Nicolas Wild sur bdencre : rencontre avec nicolas wild

D’autres titres de dessinateurs-reporters à découvrir :

Joe Sacco, Palestine, Vertige Graphic, 1996 (2 tomes)
Joe Sacco, Gorazde, Rackham, 2004 (traduction de l’anglais)
Guy Delisle, Schenzhen, L’Association, 2000
Guy Delisle, Pyonyang, L’Association, 2003
Pierre Wazem, Presque Sarajevo, Atrabile, 2002
Emmanuel Guibert, Le photographe, Dupuis, 2003-2006 (2 tomes)

Published in: on 10 décembre 2009 at 21:54  Laissez un commentaire  

Parcours de blogueurs : Libon

Après l’art décoratif retro et savant de Nancy Peña, retour vers un registre plus léger mais non moins complexe : l’humour. Parmi la fine équipe de blogueurs regroupés autour de Boulet au début du mouvement, on trouve l’un de ses collègues dessinateurs de Tchô !, Libon. Graphiste avant de devenir auteur de bande dessinée, Libon, qui a encore assez peu d’albums à son actif, pratique un humour idiot et joyeusement régressif. C’est avec sa compagne Capucine, elle aussi dessinatrice, qu’il tient depuis le début de l’année 2005 le blog turbolapin, amas hétéroclite d’anecdotes, de roman-feuilleton, d’annonces de dédicaces et de projets…

Du graphisme à la BD

Avant d’arriver à la bande dessinée, Libon, né en 1972, est infographiste, travail qu’il exerce après des études aux Beaux-Arts de Beauvais puis dans une école de graphiste. Il se démène donc dans l’industrie du jeu vidéo pendant cinq ans puis décide de se tourner vers la bande dessinée.
Il commence d’abord dans le Psikopat, un célèbre fanzine dirigé par Carali, le père de Mélaka, une autre blogueuse, fanzine qui publie surtout des dessinateurs débutants voire des amateurs. Puis, doucement, il trouve sa place dans des revues de bande dessinée. C’est dans Spirou qu’il publie sa première série en 2004, Jacques le petit lézard géant. Depuis cette date, il est un collaborateur régulier de ce journal et ajoute à son palmarès une participation dans Tchô !pour Le Miya de Boulet et surtout une première série adulte en 2006 dans Fluide Glacial, Hector Kanon. Là encore, il participe depuis, régulièrement, à cette revue. En quelques années, Libon s’est fait une petite place dans le domaine de la BD humoristique. Il se joint au mouvement des blogs dès 2005, à ce moment où la blogosphère était encore composé de collègues dessinateurs désireux de donner des nouvelles dessinées à leurs amis et à d’éventuels lecteurs anonymes.

Turbolapin, le blog de Capu et Libon
Ce blog, appelé aussi Mouton-Benzène Luxe, fait partie des quelques blogs bd à quatre mains qui peuplent la toile (citons aussi le Loveblog de Gally et Obion et Bruts de Raphaël B. et L’Esbroufe. Il est peuplé par Libon, Capu, deux dessinateurs aux styles très différents, par leur fille Lenka et par leur chat Lapin. Ce blog n’a jamais eu une régularité exceptionnelle et les notes soignées y sont rares ; il faut le situer comme le bric à brac personnelle du couple Capu et Libon, leur espace d’expression et de dialogue sur la toile.
On y trouve tout de même, en cherchant bien, l’humour de Libon et les pin-up de Capu, ainsi que des expérimentations étranges dans l’esprit décalé du couple. Le roman-feuilleton Sophia, parodie d’une sorte de film d’espionnage de série B à tendance érotique est un objet totalement non identifié dans la blogosphère et mérite certainement le coup d’oeil (Sophia, les poumons de la capitale). Il y a aussi les 2160 gags automatiques générés aléatoirement, expérience loufoque au possible, réminiscence de l’Oubapo (2160 gags de Popo et Lolo Poche ). En somme, le genre de blog bd dont on attend pas forcément des notes impeccables, mais qu’on se plait à parcourir.

Enfance et humour regressif

Mais revenons plus précisément à Libon et à ses albums car heureusement pour les fans de Mouton Benzène, si le blog n’est que trop peu mis à jour, plusieurs des séries que Libon dessine dans divers magazines sont sorties en album. A première vue, on pourrait dire qu’il oscille entre la BD d’humour jeunesse et la BD d’humour adulte, entre Spirou et Fluide Glacial… A première vue seulement car, fondamentalement, Libon emploie un humour détaché des âges et des générations, cet étrange humour dont la BD a le secret, l’humour regressif. L’avantage de l’humour regressif, c’est qu’il marche aussi bien sur les enfants que sur les adultes… Si les thématiques changent d’un public à l’autre, l’humour, lui, est toujours le même, souligné par le trait caricatural et outrancier de Libon qui rappelle parfois Pétillon.
Qu’est-ce que l’humour regressif, me direz-vous ? Pour reprendre une analyse de Thierry Groensteen dans La bande dessinée mode d’emploi (Impressions nouvelles, 2007), c’est une forme d’humour qui a élu domicile dans la bande dessinée et qui consiste à raconter les aventures d’un ou deux plusieurs personnages risibles, bêtes mais généralement innoffensifs. Libon poursuit ainsi une tradition dont Daniel Goossens est un des principaux représentants dans la génération précédente. Il est un des piliers de Fluide glacial et Libon voit en lui une de ses influences. On pense aussi à un auteur moins connu mais tout à fait drôle qui s’est fait une spécialité de l’humour crétin : Charlie Schlingo. Il est lui aussi passé par Fluide Glacial, mais aussi par les grandes revues renovatrices de l’humour adulte : Charlie Hebdo, Hara Kiri, L’Echo des savanes, Le Psikopat. C’est un peu de cet héritage d’un humour gratuitement provocateur que l’on trouve chez Libon. Le comique est alors basé sur l’impression que les personnages, adultes, se comportent comme des enfants. Hector Kanon, le héros de la série éponyme, est un beauf moderne complétement irresponsable dont les combines provoquent toujours des catastrophes. Quant à Jacques, le petit lézard géant de la série toujours éponyme, ce n’est pas forcément lui qui est bête (il n’est, après tout, qu’un lézard qui a grandi après avoir reçu une mini-bombe atomique), mais les gens qu’ils rencontrent, policiers, scientifiques, militaires. (on peut lire le début de ses aventures sur cette page ). Avec ses albums, Libon reprend bien le flambeau du loufoque et de l’incohérent. Humour enfantin et humour adulte sont réunis dans une seule et même forme où la bêtise humaine est poussée à des extrêmes délirants. Si vous aimez cette forme d’humour graphique, Libon devrait être votre prochaine lecture.

Un article plus court cette semaine, mais je vous mets des références de lecture en plus en bas pour me faire pardonner !

Bibliographie :
Hector Kanon, Fluide Glacial, 2008-2009
Jacques, le petit lézard géant, Dupuis, 2008-2009
Tralaland, Bayard, 2009
Le blog Mouton-Benzène Luxe : http://www.turbolapin.com/blog/
interview de Libon : http://www.planetebd.com/BD/interview-123.html
Et si vous voulez devenir un connaisseur de l’humour idiot de ces dernières décennies :
Daniel Goossens, Georges et Louis romanciers, 1993-2006 (6 tomes), Audie-Fluide Glacial
Charlie Schlingo, Josette de rechange, Le Square, 1981, réédité cette année par L’Association.

Published in: on 7 décembre 2009 at 22:47  Laissez un commentaire  

Parcours de blogueur : Nancy Peña

Pour poursuivre le même chemin déjà emprunté avec l’article sur Boulet, je vais vous présenter aujourd’hui une autre blogueuse déjà connue comme auteur de bandes dessinées avant d’ouvrir son blog, Nancy Peña. La comparaison avec Boulet s’arrête là ; elle possède un style extrêmement différent, très personnel et reconnaissable, et ses albums ne sont pas humoristiques mais se rapprochent de l’univers du conte. Elle diffère aussi par l’utilisation de son blog, davantage espace personnel hétéroclite que carnet d’anecdotes dessinées. En réalité, elle n’appartient que périphériquement à l’univers de la blogosphère BD. Néanmoins, Nancy Peña a su utiliser l’outil internet à la fois pour mieux faire connaître son travail et pour étendre ses expériementations. Sans aucun doute une auteur à découvrir.

La passion de l’art

Nancy Peña naît en 1979 à Toulouse et développe très tôt un goût pour les disciplines artistiques. Dès 1995, elle suit des cours de dessin à l’atelier Catherine Escudié à Toulouse ( une artiste qui dispense des cours de dessin : http://www.atelier-catherine-escudie.com/index.html). Elle poursuit ensuite un cursus universitaire classique en arts appliqués (licence, maîtrise) jusqu’à obtenir, en 2002, l’agrégation qui lui permet d’être enseignante dans cette discipline, métier qu’elle exerce actuellement.
Mais à côté de cette carrière académique, Nancy Peña met en oeuvre ses talents de dessinatrice et d’illustratrice dans divers projets, dont des albums de bande dessinée. Par l’intermédiaire de Vincent Rioult, illustrateur, graveur et maquettiste à la Boîte à Bulles, elle publie en 2003 son premier album, Le cabinet chinois, chez cet éditeur indépendant encore jeune, fondé cette même année 2003 par Vincent Henry, un journaliste BD. Ce premier album reçoit auprès des critiques un bon accueil. Elle devient alors un des auteurs réguliers de La Boîte à bulles où elle continue de publier ses nouveaux albums, dont Le chat du kimono en 2007, étrange conte onirique illustré, entre le Japon et l’Angleterre et La guilde de la mer en 2006-2007, série d’aventures maritimes plus traditionnelle à base de personnages animaliers. Toujours au sein de la Boîte à bulles, elle participe aux albums collectifs Dieux et idôles et Amour et désir.
D’autres projets occupent encore Nancy Peña, qu’il s’agisse d’albums chez d’autres éditeurs (elle travaille actuellement à la suite de la série Les nouvelles aventures du chat botté commencée en 2006 chez 6 pieds sous terre), de projets d’illustration jeunesse chez Bayard et Milan ou d’autres collectifs de bande dessinée (Drozophile n°7, revue de la maison d’édition du même nom).

Présence sur la toile


Nancy Peña n’est pas une blogueuse bd au sens où on l’entend d’habitude : son blog n’est pas un journal, une suite d’anecdotes de vie, mais plutôt un carnet de croquis sur lequel elle tient ses lecteurs au courant de l’avancement de ses projets. On n’y trouvera donc pas de courtes planches de bd mais plutôt des illustrations inédites et des motifs qui traduisent bien l’univers et l’humeur de l’illustratrice. Elle entretient pourtant des liens avec le monde des blogs bd : elle fait partie de la vague des premiers blogs de dessinateurs et sa coloriste pour La guilde de la mer n’est autre que Miss Gally, une célèbre blogueuse « historique ». (http://missgally.com/blog/)
Nancy Peña utilise très tôt le net pour se faire connaître et étendre son champ d’action. Faire la « webographie » de sa présence sur la toile en dit long. Outre son blog principal (le blog actuel est le deuxième), elle possède un site internet plus ancien encore, puisqu’il date de 2003 (et n’est plus guère mis à jour depuis, d’ailleurs). Il faut encore à ajouter le site de sa série La guilde de la mer, où l’on peut se balader dans l’univers de la série ; son book en ligne ; un blog commun avec son compagnon Guillaume Long, autobiogriffue (fermé depuis). Nancy Peña a pleinement investi internet dans sa vie professionnelle et son exemple montre bien les potentialités qu’un illustrateur peut y trouver. Chacun de ses sites a une identité graphique propre et se propose comme une invitation au voyage plutôt que comme une page internet.
Et puis Nancy Peña participe activement à la sociabilité des blogueurs bd. Elle est invitée au premier festiblog en 2005 et en 2006, elle fait partie des auteurs participant, dans le cadre du festiblog, aux « miniblogs », une petite collection d’albums édités par Danger Public où l’histoire dessinée trouve un prolongement sur le net. N’oublions pas non plus que Nancy Peña est l’une des « pirates » du site Donjon Pirate, mené par Wandrille, qui a présenté sur internet, en 2006-2007 des planches de dessinateurs encore peu connus autour de la célèbre série Donjon de Sfar et Trondheim. Elle est enfin, en 2008, avec d’autres blogueurs, au sommaire de Soupir, la revue des éditions Nékomix.

Exotisme de l’espace et du temps

Le style de Nancy Peña nous fait radicalement changer d’univers, avec un petit côté retro et exotique. On sent chez elle une bonne connaissance de techniques et de périodes artistiques assez inhabituelles dans le milieu de la bande dessinée, et cette originalité est déjà une grande source de plaisir. Du point de vue narratif, ses albums ressemblent généralement à des contes, où les évènements s’enchaînent implacablement. Ses histoires se situent dans des univers bien identifiés, soit qu’ils se rapprochent d’une Europe en pleine Renaissance (La guilde de la mer, Le cabinet chinois), soit qu’ils s’ancrent dans un Orient fantasmé (Le chat du kimono). Souvent sont présents les thèmes du voyage exotique, du rêve et de l’aventure.
Du point de vue graphique, et c’est là sa grande originalité, Nancy Peña a recours à plusieurs influences très variées qui se mêlent les unes dans les autres, sans doute le fruit de sa formation d’enseignante en art. L’Orient émerge, et en particulier le style graphique des estampes japonaises… (Combat de chats) Mais pointe aussi le spectre l’illustration anglaise du XIXe siècle, gothique et victorienne à souhait (on pourra rapprocher certains de ses dessins des illustrations d’Arthur Rackham pour Alice in Wonderland)… (Deux girafes sous Louis XVIII ) Ou encore les expérimentations optiques du graveur virtuose Maurits Cornelis Escher… Ou enfin les exubérances géométriques et colorées de l’Art déco du début du siècle… (Conduite Art déco ). Toutes ces influences ont un parfum exotique, appartenant soit à des époques éloignées, soit à des pays éloignés. Elles se mélangent, offrant ainsi des images totalement inédites, et c’est là tout l’art de Nancy Peña.
Je pourrais vous parler encore d’autres caractéristiques du style de Nancy Peña pour vous donner envie de lire ses albums et suivre son blog : son goût prononcé pour l’ornement décoratif, souvent floral et envahissant ; sa connaissance des diverses techniques de gravure (sur bois, sur gravure) dont elle chercher à se rapprocher dans ses albums noir et blanc, leur donnant ainsi un aspect vieillot ; les innombrables chats qui parcourent les pages de ses travaux… Mais j’espère déjà vous avoir convaincu !

Bibliographie :
Le cabinet chinois, 2003, La boîte à bulles
La guilde de la mer, 2006-2007 (2 tomes), La boîte à bulles
Les nouvelles aventures du chat botté, 2006-2007 (2 tomes), 6 pieds sous terre
Dieux et idoles, 2006, La boîte à bulles (collectif)
Kitsune Udon, 2006, Danger public (miniblog)
Le chat du kimono, 2007, La boîte à bulles
Drozophile n°7, 2008 (collectif)
Amour et désir, 2008, La boîte à bulles (collectif)
Soupir, 2008, Nékomix (collectif)
Tea party, 2008, La boîte à bulles
Mamohtobo, 2009 (dessin de Gabriel Schemoul), Gallimard

Webographie :

Blog : http://nancypena.canalblog.com/
Premier site, Nancity : http://nancipena.free.fr/ (2003)
Site de la guilde de la mer : http://www.la-boite-a-bulles.com/guildedelamer/
http://www.autobiogriffue.com (fermé)

Published in: on 4 décembre 2009 at 07:35  Comments (2)  

Bernar Yslaire, Le ciel au-dessus du Louvre, Louvre/Futuropolis, novembre 2009

Au début de cette année 2009 eut lieu au musée du Louvre une brève exposition intitulée Le Louvre invite la bande dessinée. Cette phrase volontairement provocatrice en ouvre la présentation : « Qui aurait pu imaginer qu’un jour le Louvre exposerait des planches de bande dessinée ? ». En effet, qui aurait pu l’imaginer, nous sommes tous bien en peine de répondre à cette question. Et on ne le peut le comprendre que si l’on connaît le projet sous-jacent : le partenariat entre le musée du Louvre et les éditions Futuropolis pour l’édition d’une série d’albums de bande dessinée mettant en scène le musée, justement réinterprété par des auteurs. Au moment de l’exposition, trois auteurs avaient déjà publié leur album : Nicolas de Crécy, Période glaciaire en 2005, Marc-Antoine Mathieu, Les sous-sols du révolu en 2006, Eric Liberge, Aux heures impaires en 2008 et le quatrième sort justement cet automne, Le ciel au-dessus du Louvre, par Bernar Yslaire, coscénarisé par l’écrivain Jean-Claude Carrière. D’un point de vue purement bédéphilique, l’expérience est réussie : les quatre albums sont de bons albums, voire pour certains de très bons au sein même de la carrière de leur auteur. Un pas de plus dans ce rapprochement entre la bande dessinée et les musées que de nombreuses institutions culturelles, depuis quelques années, souhaitent absolument opérer pour conquérir de nouveaux publics ?

Yslaire, la Revolution française et le grandiose

Rappel rapide de la carrière singulière d’Yslaire, auteur aux multiples visages. Il est, à la fin des années 1970, Bernard Hislaire, né à Bruxelles en 1957, dessinateur au journal Spirou, un début de carrière classique pour un jeune belge. Puis, en 1986, il devient Yslaire et se lance dans une grande saga historico-romantique aux accents balzaciens, Sambre, où il va singulariser son graphisme autour de la couleur rouge et d’un réalisme virtuose. Puis, dans les années 1990, il se lance dans l’épopée numérique avec le site xxeciel.com (lancé dès 1997) qui donne naissance à une série d’albums expérimentaux, rassemblés sous le cycle XXe ciel, tentative d’analyse aux accents psychanalytiques du XXe siècle qui s’achève. (l’un des titres de ce cycle est d’ailleurs Le ciel au-dessus de Bruxelles, titre auquel ce dernier album fait référence).
A l’invitation du Louvre, il transpose donc son univers si étrange dans un album réalisé en collaboration avec le prolifique scénariste de film Jean-Claude Carrière, connu pour avoir scénarisé le Danton d’Andrzej Wajda en 1983. Si je cite ce film spécifiquement, c’est que Le ciel au-dessus du Louvre en reprend le cadre : l’année terrible, 1793, les luttes révolutionnaires. Ici, elles sont vues sous l’angle du peintre Jacques-Louis David qui se mit au service de cette fragile révolution avant de trouver avec Napoléon un mécène plus solide. L’album raconte l’histoire de la réalisation de deux tableaux : La mort de Bara, tableau inachevé actuellement au musée Calvet d’Avignon, et un autre tableau jamais réalisé devant représenter l’Etre suprême, commande de Robespierre au peintre.
Yslaire, devenu Bernar Yslaire, revient à l’exaltation romantique de la saga des Sambre et traite, à travers les états d’âme de David, de la question de la représentation picturale sous la période révolutionnaire. L’album tend vers le grandiose à tous les niveaux : le contexte héroïque de 1793 donne le ton, où l’on retrouve Danton, Marat, Robespierre, Saint-Just, illustrés par les tableaux des maîtres de l’époque (David et Girodet principalement). Le scénario, scandé implacablement par une voix narrative, aborde des questions presque métaphysiques, sur la représentation de Dieu et le rôle politique des symboles. Et surtout, le dessin d’Yslaire apporte une contribution non négligeable. Il renoue avec une alternance de deux couleurs : le rouge sang et le gris. Il joue sur les crayonnés, comme pour mettre en avant l’art en train de se faire, sujet même du volume. Et il semble nous suggérer sa propre virtuosité graphique en la mettant en lien avec celle des peintres du Louvre.

Le ciel au-dessus de Bruxelles est un album graphiquement beau, qui vient s’ajouter aux trois albums qui l’ont précédé dans la collection Louvre/Futuropolis. Il apporte une dimension mythique qui manquait peut-être jusque là et s’accorde davantage avec l’idée d’un musée fier de ses collections et de son identité historique de premier musée de France.

Rapprochement n°1 : voir l’auteur de bd comme un artiste

L’objectif de la collection de Futuropolis est d’opérer un rapprochement entre l’univers de la BD et celle du musée, a fortiori du plus illustre représentant des musées des Beaux-Arts, le musée du Louvre. L’initiative est dûe à Fabrice Douar, reponsable des éditions au Louvre, qui présente le projet par ces mots : « L’intérêt et le principe de cette collection reposent sur le libre échange entre l’auteur, avec ses souhaits et ses envies personnels, et le musée mis à sa disposition. Carte blanche est donnée à la création et à l’imaginaire afin d’instaurer un dialogue, un jeu de regards croisés, entre les œuvres, le musée et l’artiste qui invente son « histoire » en partant, au choix, d’une œuvre, d’une collection ou d’une salle du musée, ou de l’ensemble… », puis poursuit, et cette phrase m’intéresse : « il semble logique d’imaginer une collection de bande dessinée où différentes sensibilités, différents styles d’expression selon les auteurs trouveraient naturellement leur place ». C’est là une des caractéristiques de la collection : avoir choisi des auteurs qui répondent à deux critères essentiels : être des auteurs complets (scénariste/dessinateur) et mettre en oeuvre (au sens propre !) un style graphique singulier. Chacun des auteurs transpose son propre univers graphique : on reconnaît bien le trait tremblant et les couleurs pâles de de Crécy, le noir et blanc implacable de Mathieu, les effets lumineux flamboyants et les superpositions de Liberge…
Le critère de choix des auteurs et leur invitation dans une exposition tend à rapprocher l’identité de l’auteur de BD, envisagé comme un artiste complet, de celle des artistes reconnus exposés dans les autres salles du musée pratiquant ces arts nobles que sont la peinture et la sculpture. D’autres faits concourent à ce rapprochement. L’absence de contraintes éditoriales, puisque les auteurs sont libres du nombre de page, du format, de la mise en page, du sujet, transmet à l’auteur l’idéal de libre création artistique, conception qui est celle de l’artiste du XXe siècle (et qui, paradoxalement, n’était pas celle des artistes exposés au Louvre en leur temps !). Et puis, il faut avouer que la présence d’oeuvres d’art au sein des albums pousse à une comparaison entre la peinture et la BD, comparaison que font Marc-Antoine Mathieu et Nicolas de Crécy dans leurs albums respectifs en théorisant pour l’un et en réalisant pour l’autre un art séquentiel qui utiliserait des tableaux pour raconter une histoire. La BD, par cette opération magique, deviendrait-elle un des Beaux-Arts ? Mais est-ce réellement sa destination ? Un vaste débat s’ouvre ici, trop grand pour cette humble note.

Rapprochement n°2 : attirer au musée un nouveau public « amateur de bd »

J’ai observé depuis quelques années une tendance de certains musées, parisiens ou non, à entrer en relation avec le monde de la BD. L’expérience du Louvre en est certainement l’exemple le plus abouti et le plus réussi dans la mesure où il donne lieu à la fois à une exposition et à plusieurs albums de qualité. Mais elle n’est pas la seule. En ce moment, le musée de Cluny accueille une exposition sur Astérix ; en 2008, le musée Granet d’Aix-en-Provence a lancé une exposition intitulée La Bd s’attaque au musée ; le musée du Quai Branly a présenté dans l’exposition Tarzan toute une série d’originaux du comics de Burne Hogarth ; en 2009 les musées royaux de Bruxelles ont proposé Regards croisés sur la bande dessinée belge, et encore au-delà de ces deux dernières années, rappelons : l’évènement Toy comix où musée des Arts décoratifs de Paris qui invitait en 2007-2008 des auteurs de l’Association, l’exposition Hergé au Centre Pompidou en 2006, celle sur le monde de Franquin à la Cité des Sciences de La Villette en 2005… Voilà pour une lourde énumération des exemples datant des cinq dernières années, durant lesquelles le mouvement s’est acceléré. On peut aussi remonter un peu dans le temps et évoquer l’album Le violon et l’archer édité en 1990 chez Casterman, pour lequel le musée Ingres de Montauban avait invité six auteurs à donner leur vision du musée. Cet intérêt soudain soulève des questions…
Je pense là non pas tant aux questions que posent les expositions de bd en général, pour lesquelles il existe des lieux spécialement consacrés (musées de la BD à Angoulême et Bruxelles, musée Hergé à Louvain), ou qui investissent parfois des espaces d’expositions sans collections permanentes (Moebius et Miyazaki à la Monnaie de Paris en 2005, Vraoum à la Maison Rouge l’été dernier) ou liées de fait au monde du livre (Maîtres de la bande dessinée européenne à la BnF en 2004). Je pense plutôt au fait que des espaces dont la vocation première n’est pas d’accueillir ou de traiter de la BD s’intéressent au medium. En d’autres termes, les musées cités n’ont pas de BD, quelle qu’en soit la forme (originaux, albums, crayonnées, archives, etc…) dans leurs collections (la collection étant ce qui fait l’identité d’un musée). Faire venir des « objets-Bd » est donc une démarche étrangère, presque une transgression qui nécessite souvent de passer par l’institution de référence en la matière, le musée de la BD d’Angoulême, ou de solliciter des collectionneurs privées, comme ce fut le cas en partie pour Tarzan. (le Centre Pompidou a d’ailleurs acquis à l’occasion de l’exposition de 2006 une planche originale d’Hergé). Les musées ont généralement l’habitude de proposer des expositions qui se basent sur leurs collections ou, à tout le moins, qui entretiennent avec elle un rapport évident. Démarche étrange, donc, que d’inviter la BD, mais pas totalement incompréhensible.

Le Louvre s’explique : « L’appropriation du Louvre par l’univers de la bande dessinée permet de « dépoussiérer » l’image de ce dernier auprès du public amateur de BD ; et réciproquement, de faire découvrir au public du musée une forme d’expression artistique plus contemporaine. ». Voilà donc une raison : faire venir un nouveau public. Pour comprendre le présupposé que contient cette phrase, à mon sens en partie fausse, il faut se souvenir de l’exposition La BD s’attaque au musée du musée Granet d’Aix-en-Provence. Le parti pris de cette exposition était le suivant : étudier les rapports entre la BD et musée, et en particulier les représentations du musée dans la BD, en partant du principe que ce sont deux mondes étrangers voire antagonistes. Ouvrages théoriques à l’appui qui disent que la séquentialité et la reproductibilité de la BD s’opposent . Tant que l’on reste sur le plan théorique, l’idée me semble juste. Mais lorsqu’arrive cette affirmation que les lecteurs de BD et le public des musées sont deux groupes distincts, je m’interroge. Il me semble pourtant que la BD a suffisamment évolué depuis ces trente dernières années pour qu’on cesse d’opposer le monde de la « grande » culture à celui d’une culture « mineure ». Il y a, dans la BD, à côté des auteurs « grand public », des auteurs que l’on peut qualifier d’élitistes, au sens noble du terme, s’adressant à un public recherchant des albums exigeant graphiquement et littérairement ; il y a aussi tout un nuancier d’auteurs ni grand public ni élitistes qui démontrent l’inutilité d’un tel classement. On pourrait de la même manière caricaturer le public des musées : il y a un public cultivé, voire élitiste, venant avant tout pour s’instruire, qui achète tous les catalogues d’exposition et a un abonnement à l’année, et un grand public venant là en touriste curieux pour voir la Joconde et repartir. Et là encore, tout un nuancier. Il me semble terriblement injuste d’opposer les lecteurs de BD aux visiteurs de musée et de rester sur cette image de deux mondes à part. Et par ricochet, injuste aussi d’utiliser la bande dessinée comme un argument commerciale.
Que les musées concernés partent d’un a priori faux ne préjuge pas forcément de la vacuité de leurs expositions. Pour reprendre l’exemple de l’exposition du Louvre début 2009, une véritable réflexion avait été menée sur ce que doit être une exposition de BD. Depuis les années 1980, la vogue est à l’exposition des planches originales. Quoiqu’amateur de Bd, j’ai tendance à m’ennuyer devant ce type d’exposition, me disant qu’il aurait été tout aussi bien de mettre des bancs et des albums, on aurait au moins pu s’asseoir. Sans doute n’ai-je pas le respect de l’original. Le parti pris des commissaires de l’exposition du Louvre, Fabrice Douar et Sébastien Gnaedig, est de dépasser l’admiration béate et sacralisée de l’original pour une démarche plus didactique portant sur les conditions de création d’une BD. Ils ont choisi de présenter les oeuvres en train de se faire, à différents stades de leur réalisation. Il s’agissait de saisir la démarche de créateur qui sous-tend le travail de l’auteur de BD, en présentant par exemple, des planches aquarellées de De Crécy, les croquis de composition de Liberge et les étapes de l’élaboration assistée par ordinateur des planches d’Yslaire (que travaille énormément avec des outils numériques). A cet égard aussi, le projet du Louvre m’est apparu réussi. Je reviendrai surement un jour sur la question du rapport de la BD au musée et aux expositions. En attendant, même si l’expo du Louvre n’est à présent plus à l’affiche, je vous invite à lire les albums, et tout particulièrement celui de De Crécy qui reste mon préféré !

Pour en savoir plus :
Sur Yslaire et sur l’album :

Bernar Yslaire et Jean-Claude Carrière, Le ciel au-dessus du Louvre, Futuropolis/musée du Louvre, 2009
Site internet d’Yslaire : http://www.yslaire.be/
Interview en ligne des deux auteurs : http://backstage.futuropolis.fr/debat/blog/le-ciel-au-dessus-du-louvre

Sur la collection Louvre/Futuropolis :
Nicolas de Crécy, Période glaciaire, 2005
Marc-Antoine Mathieu, Les sous-sols du révolu, 2006
Eric Liberge, Aux heures impaires, 2008
Présentation de la collection sur le site de Futuropolis : http://www.futuropolis.fr/fiche_titre.php?id_article=717006
Présentation de l’exposition sur le site du Louvre : Le Louvre invite la bande dessinée
Autres références :
Le violon et l’archer, Casterman, 1990 (Baru, Boucq, Cabanes, Ferrandez, Juillard, Tripp)
La BD s’attaque au musée, Images en manoeuvres éditions/musée Granet, 2008

Published in: on 1 décembre 2009 at 11:00  Comments (2)