Phylacterium déménage

Chers lecteurs de Phylacterium,

Comme nous vous l’avions annoncé pendant l’été, le blog Phylacterium se transforme en site. Vous pouvez à présent nous retrouver à l’adresse :

www.phylacterium.fr

Published in: on 15 septembre 2011 at 09:24  Comments (2)  

Avis aux lecteurs de Phylacterium !

Chers lecteurs de Phylacterium, anciens ou nouveaux, fidèles ou de passage, amateurs de lecture numérique ou spécialistes des journaux d’hier… Votre blog de réflexions sur la bande dessinée part en vacances jusqu’au début du mois de septembre. Et il se prépare à quelques changements de cap après deux années d’existence ; des changements qui interviennent tant pour de bonnes que pour de mauvaises raisons.

Je commence par les mauvaises raisons.
Après deux années intenses, votre serviteur, Mr Petch (aussi connu « irl » et à l’état civil sous le nom de Julien Baudry), principal fournisseur pour Phylacterium d’articles à la longueur légendaire, a besoin de faire une pause. Ce n’est pas par manque de motivation, mais par manque de temps, rattrapé que je suis par quelques obligations professionnelles et universitaires. La traduction concrète de ce manque de temps est que la parution d’articles sur Phylacterium s’arrête, du moins dans sa version actuelle qui s’est construite en près de deux années, au gré de mes envies et de mes cogitations de lecteurs.
Certes, je pourrais décider de ralentir le rythme d’écriture, de passer à un article par mois au lieu des deux articles par semaine, rythme auquel je me suis tenu depuis les débuts du blog… Mais il me semble que ce qui fait, pour ses lecteurs, tout l’intérêt de Phylacterium est justement l’ampleur de ses mises à jour, qui est synonyme de variété. Ralentir le rythme me conduirait à choisir entre la bande dessinée numérique et le patrimoine, entre les critiques d’albums et les parcours de blogueurs, et ce sont là des obligations qui me frustreraient profondément.
Plutôt que d’opter pour ce compromis, et pour assurer une seconde vie au blog le temps que mon emploi du temps se calme doucement, nous avons préféré, Antoine Torrens (mon camarade fondateur) et moi, modifier Phylacterium en profondeur, pour qu’il ne meure pas lentement dans les limbes du webinvisible. Le phénix renaît de ses cendres, et c’est parce que survient ce besoin de faire une pause que nous saisissons l’occasion d’améliorer certains points noirs du blog.
En conclusion, la parution d’articles s’interrompt momentanément, et pour une durée indéterminée, mais Phylacterium demeure, dans une nouvelle version qui sera lancée début septembre, si le temps le permet.

Et on en arrive aux bonnes raisons…
Aux débuts de Phylacterium, Antoine et moi n’avions pas la moindre idée de la manière dont le blog évoluerait et du type d’articles qui y serait publié. Le format blog s’est imposé par facilité, comme chez beaucoup d’autres auteurs-internautes. Or, après deux ans, nous en arrivons à constater plusieurs problèmes dans le rapport entre le contenu de Phylacterium et son format. En effet, contrairement à d’autres de nos collègues blogueurs, comme Sébastien Naeco du comptoir de la BD, nous publions peu d’articles d’actualité et davantage de réflexion de fond dont la pertinence n’est pas limitée dans le temps. Mais, comme certains de nos lecteurs l’ont déjà signalé ailleurs, la navigation est peu pratique et la loi du blog est dure : les vieux articles sont noyés dans la masse, condamnés à l’oubli.
A partir de ce constat, il nous a semblé nécessaire de passer du blog au site et de favoriser une lecture de tous les articles selon des dossiers thématiques. Phylacterium deviendra ainsi à la rentrée une sorte de base documentaire, à son échelle modeste mais relativement honorable, des environ 160 articles parus jusqu’à présent. Vous y retrouverez (ou découvrirez) les thèmes explorés de septembre 2009 à juillet 2011 : parcours de blogueurs, bande dessinée et science-fiction, exposer la bande dessinée, histoire de la bande dessinée numérique, etc.
Bien sûr, la parution de nouveaux articles ne s’arrêtera pas complètement ; seulement n’aura-t-elle plus la régularité si ponctuelle que je réussissais à maintenir jusqu’alors. Elle consistera surtout à compléter les dossiers en cours (notamment sur la bande dessinée numérique, un sujet que j’espère bien approfondir), et comportera sans doute des articles publiés simultanément dans du9.org, comme c’est déjà le cas depuis mai.
Dans le fond, l’honnêteté m’oblige à dire que, si nous avons bien en tête la nouvelle forme que prendra Phylacterium en septembre, je n’ai pas la moindre idée de la manière dont va évoluer son contenu. Il n’est pas impossible qu’une rechute miraculeuse finisse par me pousser à la rédaction frénétique d’articles, tout comme il est possible que Phylacterium se fige en son état actuel. Cela évoluera selon les envies des deux fondateurs et des autres contributeurs. Quoi qu’il en soit, il ne s’agit surtout pas de « fermer » Phylacterium, mais plutôt de nous offrir les meilleures conditions pour pouvoir continuer à y publier quand les temps seront moins durs.
L’amélioration de la navigation dans les articles anciens et nouveaux est aussi là pour répondre à votre éventuelle frustration de ne plus avoir ce rendez-vous régulier et, peut-être, à redécouvrir des articles qui vous auraient échappés. Pour anticiper les nouveautés de la rentrée, je vous invite à aller voir dans l’index des articles, mis à jour pour l’occasion.

Une dernière chose : nous allons prendre un peu de temps cet été pour accomplir la métamorphose de Phylacterium. Si vous avez la moindre suggestion, ou le moindre conseil, n’hésitez pas à nous écrire (phylacterium@hotmail.fr).

Published in: on 24 juillet 2011 at 15:12  Comments (3)  

Poésie et bande dessinée

Published in: on 18 juillet 2011 at 20:54  Comments (2)  

Ichtyoscopie printanière : lapin et bande dessinée

Franchement, qui s’intéresse à l’histoire des expositions de bande dessinée ? Et la bande dessinée numérique, tellement à la mode, c’est déjà de l’histoire ancienne (et qui comprend quelque chose à ces articles abscons sur le TurboMachin ?) ! Non, Phylacterium a décidé de se pencher sur des sujets qui intéressent vraiment les amateurs de bande dessinée. Voilà pourquoi, en collaboration avec la Société Protectrice des Animaux et le magazine Le Chasseur français, nous avons décidé d’un commun accord avec moi-même de consacrer un article au sujet brûlant du lapin dans la bande dessinée. Parce que, sur Phylacterium, on a pas peur des polémiques !

Un vrai héros français : le lapin

J’aimerais pouvoir vous le prouver parce que j’en suis persuadé : le lapin est à l’origine de la bande dessinée. Je suis sûr que si on regarde avec attention quelques unes des vignettes de Rodolphe Töpffer pour Les amours de monsieur Vieuxbois, on trouvera bien un petit lapin qui se promène. En tout cas, dans L’idée fixe du savant Cosinus de Christophe, il y en a. Et regardez le Yellow Kid, première véritable bande dessinée©, comme chacun le sait (sauf les cuistres) : rajoutez-lui des oreilles, et c’est un lapin.

L'idée fixe du savant Cosinus : déjà Christophe se préoccupait des lapins.

Mais il me faut sans doute préciser ma pensée. Que le lapin soit à l’origine de la bande dessinée mondiale, ce n’est peut-être pas très sûr. En revanche, il ne fait aucun doute que le lapin est un héros de bande dessinée authentiquement français ! Regardez les anglais : ils ne surent que l’utiliser dans Peter Rabbit de Beatrix Potter en 1902 : il n’y a même pas de bulles mais du texte sous l’image, forme primitive qui précéda la véritable bande dessinée©, comme chacun le sait (sauf les cuistres). Alors qu’en France, on savait très bien que cette forme primitive était mieux adapté à, disons, un éléphant. Autre preuve du particularisme cuniculophile de la bande dessinée française : il n’y a pas de lapin dans Mickey, de Walt Disney, mais des souris, des chiens et canards.Quant à Tintin et Spirou, deux héros belges, ils sont accompagnés respectivement d’un chien et d’un écureuil, et non d’un lapin. Alors bien sûr, Benjamin Rabier aussi s’est abaissé à employer le lapin dans une forme primitive de texte sous l’image, dans Les Contes du lapin vert. Mais toute l’originalité du plus grand dessinateur animalier de son époque était de saisir l’anormalité de ce procédé en teignant en vert le lapin en question.
Il faut attendre les années 1940 pour qu’Edmond-François Calvo (le Walt Disney français) se rendre compte de tout le potentiel narrativo-séquentiel du lapin (Des esprits chagrins vont me dire que Calvo n’utilisait pas de bulles… C’est parce qu’ils n’y connaissent rien.). Il créé en 1943 le personnage de Patamousse pour la Société Parisienne d’Edition, un charmant petit lapin frondeur qui va dans l’espace. N’oublions pas non plus que dans son chef-d’oeuvre, La bête est morte, puissante satire des ambitions démesurées d’Hitler, dessiné pendant l’Occupation et diffusé sous le manteau (Hé oui ! Quelle audace ! Voilà un vrai résistant, pas comme ces collabos d’Alain Saint-Ogan et d’Auguste Liquois.), Calvo choisit pour représenter les français le personnage du lapin. Son dessin admirable, plein de vie, venant en droite ligne de Peter Brueghel l’Ancien, est une véritable réussite. La bonhomie optimiste des lapins est célébrée dans de célèbres doubles pages fourmillante de détails.

Un autre dessinateur de la génération de Calvo, Sirius, a su faire du lapin un excellent ambassadeur de la fiction française (les mêmes esprits chagrins que précédemment me diront que Sirius est belge… C’est une grossière manipulation.). Avec Niki Lapin (1941), quoi de mieux qu’un lapin-mousquetaire pour héroïser notre animal dans un genre mis à l’honneur par le grand Alexandre Dumas : le récit de cape et d’épées. Assurément, dans la France de ces années 1940, la bande dessinée permet de mobiliser la jeunesse contre l’occupant par l’impact métaphorique de subtiles animaux anthropomorphisés. Symbole du courage, de la bravoure, de l’honneur, le lapin acquiert un sens qui ne qu’émouvoir le coeur meurtris des petits Français.

Le lapin, Poulidor de la bande dessinée

Après la Libération, l’emploi du lapin dans la bande dessinée subit un étrange phénomène : là où Rabier, Calvo et Sirius étaient capables d’en faire un héros, il est curieusement relégué à des rangs subalternes, voire hostiles.
N’est-ce pas un belge, Hergé, qui enclenche cette triste déchéance dont les conséquences, dans les années 1990, seront bien funestes ? Qui se souvient de son Popol et Virginie au pays des Lapinos ? Outre l’ignoble jeu de mots de ce titre qui ridiculise l’héritage littéraire de Bernardin de Saint-Pierre, cette histoire, publiée en 1934 dans Le Petit Vingtième, met en scène deux genres d’ursidés pris dans les mailles de lapins-indiens belliqueux. L’histoire est rééditée en 1952 par Casterman : là réside peut-être l’explication de la malédiction qui touche alors le lapin dans la narration figurative.
Fort heureusement, ce n’est pas dans une fonction d’antagoniste que le lapin connaîtra un destin le plus régulier. Et tous les belges ne ridiculisent pas traitreusement ce noble animal : Macherot en fait un ami du héros dans Chlorophylle, et Serpolet le lapin combat vaillamment les vilains rats noirs dans Chlorophylle contre les rats noirs, premier épisode de la série (1954 dans Tintin). Un univers animalier sans lapin n’est pas envisageable. Plus tard, Philippe Coudray retiendra cette leçon dans L’Ours Barnabé (Hachette, 1989). Mais, là encore, ô funeste décadence, le lapin n’est que le compagnon du héros éponyme.
Le lapin est-il dès lors condamné à cette secondarité ontologique ? Est-il trop petit ? Si cette théorie fonctionne face au gros ours Barnabé, elle n’a pas de sens face à Chlorophylle, lérot visuellement diminué. Certes, mettre en avant un représentant d’une minorité mammifère peu usitée dans la bande dessinée, et qui plus est menacée et, ici, en situation de handicap, est fort remarquable (quoique bien pensant) de la part de Macherot. Mais on ne me fera pas croire que le lapin ne méritait pas plus que cette créature joufflue et pataude ! Trop commun, diront certains progressistes peu attachés à la tradition… Non, ce n’est définitivement pas charitable de traiter ainsi un digne habitant de notre belle campagne française.
Il n’y a pas que les bandes dessinées animalières qui s’en tiennent à la subalternité graphique intrinsèque au lapin. On retiendra ainsi la présence d’un lapin dans Yakari, de Derib et Job. Dans cette série, les animaux sont justement à l’honneur et le petit indien Yakari rencontre Nanabozo le grand lapin (Yakari et Nanabozo, Casterman, 1978) . Est-ce à dire que Derib et Job avaient lu Popol et Virginie et, dans leur bienveillance toute helvétique, voulu redorer le blason des lapins-indiens ? Nanabozo est un lapin magicien d’essence divine qui laisserait presque croire à la résurrection de la tradition du lapin-héros des années 1940.

Yakari et Nanabozo, une saine tentative de restaurer l'honneur séquentiel du lapin


Mais le temps n’a guère confirmé cette tendance… Dans De Cape et de crocs, Masbou et Ayroles font une référence directe à Sirius en intégrant un lapin dans un récit de cape et d’épées. Mais Eusèbe, quoiqu’assurément brave, n’est qu’un petit lapin blanc une fois de plus réduit à une comparsitude totalisante.

Des lapins mis en cage ?
Dans les années 1990, le personnage du lapin s’est fait kidnapper par une pseudo-avant-garde composée d’artistes ratés. C’est là la dernière étape de la déchéance cunicole durant tout le XXe siècle, préparé par sa réduction au niveau de personnage secondaire.
Dès avant les années 1970, des versions alternatives et déformées du lapin se font jour chez des « auteurs » peu soucieux de la tradition. Jean-Claude Forest, connu pour ses faiblesses scénaristiques, se permet d’utiliser le lapin dans Comment décoder l’etircopyh (1972 dans Pilote) en mettant en scène des gangsters ridiculement grimés en lapin, et se faisant appeler les « grands lapins noirs de l’AMFFFPA ». Il ne s’agit plus d’honorer l’animal en l’humanisant, mais d’en faire un costume de carnaval. Régis Franc utilise certes un anthropomorphisme de meilleur aloi, mais les lapins de cet auteur typique de la bande dessinée intellectuelle des années 1970 ont tous les défauts de l’homme, ce qui n’aide guère à renouer avec l’héroïsme. Et ne parlons pas des Etats-Unis, qui démontrent ici leur volonté de se moquer des valeurs françaises : j’ai entendu parler d’un certain Robert C. (??), sans doute fort peu connu en dehors de sa contrée d’outre-atlantique, qui invente en 1975 le personnage de Fuzzy, transportant un lapin dans son monde si graveleux et malsain.
A partir des années 1990, c’est comme une invasion de lapins de la part d’auteurs issus de ladite « bande dessinée alternative ». Quelle mouche les a donc piqués ? Lewis Trondheim ouvre le bal avec son Lapinot et les carottes de Patagonie (L’Association, 1995). Il récidive en faisant de ce « Lapinot » un personnage récurrent : goût vestimentaire incertain, tension suspecte vers l’individualisme, facheuse tendance à changer opportunément de genre comme de chemise dans des scénarios absurdes, rien n’est fait pour le transformer en héros à part entière. Heureusement garde-t-il une certaine tenue morale (dans une certaine mesure, puisqu’il s’oppose à l’ordre naturel en se reproduisant avec une souris !). Et Trondheim d’exporter encore sa volonté de colporter une mauvaise image du lapin dans Donjon, la série qu’il crée en 1998 pour Delcourt avec Joann Sfar (les esprits chagrins, décidément bien décidés à ne pas me laisser ma liberté d’expression, vont me dire Delcourt n’est pas un éditeur alternative… Mais voyons, c’est une stratégie d’entrisme caractérisée !). Il nous laisse le choix entre les lapins xénophobes de Zootamauksime (tournant en plus violemment en dérision des opinions démocratiquement acceptées dans le jeu politique) et la brute sanguinaire anarchiste qu’est Marvin Rouge, dont la couleur fait naturellement référence à des tendances gauchisantes.

Lapinot, suppot de l'extrêmisme bédéistique


Trondheim n’est pas le seul à avoir corrompu la belle image du lapin dans notre bande dessinée française (si tant est qu’on puisse appeler cela « bande dessinée »). Récemment, le sommet de l’horreur a été atteint par Le Lièvre de Mars avec Henri le Lapin à grosses couilles, odieux pamphlet fort irrespectueux d’un bien facheux handicap. Le pseudonyme de l’auteur laisse à penser qu’il travaille en sous-main pour le puissant lobby des lièvres, ces lapins dévoyés. James et la tête X ont imaginé un monstre, Zzzwük, celui qui ressemble à un lapin, laissant là une approximation bien malheureuse qui ne va pas aider nos enfants à identifier les animaux en ce temps où la campagne fait partie du passé.

L’OPA de ce groupuscule qui complote contre la véritable bande dessinée© doit être dénoncée : l’Association, maison d’édition confidentielle et connue des seuls initiés (ou plutôt devrais-je dire des « adeptes » de cette secte de philistins), utilise le nom du noble lapin pour titrer sa revue, et ce depuis 1992 ! Et encore de nos jours ! Cela doit cesser : rendez-nous nos lapins !chronique des jours anciens
Et, pis encore, on m’annonce maintenant que la prétendue « bande dessinée numérique », qui défait le si beau marché patiemment conçu de la véritable bande dessinée©, s’intéresse aussi aux lapins ! Par exemple, cela fait plusieurs années que dure le strip Lapin de Phiip (http://www.lapin.org/index.php), où, une fois de plus (car telle est la coutume chez ces gens-là), le lapin est complètement ridiculisé, réduit à quelques traits et à un humour attaquant avec insistance nos entreprises françaises créatrices d’emploi. Et je passe sur le Wonder Lapin de Dranéouf, triste concession à l’américanisation galopante de notre société (http://wonderlapin.blogspot.com/).

Lapin, ta déchéance dans le domaine de la bande dessinée est à l’image de la déchéance de la bande dessinée elle-même… D’abord populaire héros français, tu es devenu l’étendard d’éditeurs de peu de foi, méprisant le public, qui te tournent en ridicule. Il est grand temps que l’image du lapin soit restaurée dans ce média populaire qu’est la bande dessinée !

Published in: on 1 avril 2011 at 12:13  Laissez un commentaire  

La dernière cigarette, Alex Nikolavitch et Marc Botta, La Cafetière, 2004

La dernière cigarette nous est offerte par Messieurs Alex Nikolavitch (scénario) et Marc Botta (dessin) aux éditions La Cafetière. Le récit court, au rythme maitrisé, se déroule dans la deuxième moitié de la seconde guerre mondiale, sur le front de l’est de l’Europe, et dans les cendres encore chaude de l’après-guerre en Allemagne. En toute subjectivité, le graphisme d’un flou élégant est associé à un texte simple et incisif, dont le traitement sobre et sombre fait ressentir la mélancolie qu’ont pu vivre les acteurs de ces évènements.

Séduit par cette bande dessinée, le propos de ce billet est de livrer quelques raisons expliquant pourquoi ce récit si court et sobre m’a autant plu. Attention, il serait dommage de lire ce commentaire avant de lire l’œuvre.

 

Forces d’un graphisme qui sert la narration.

Sur des planches à peine plus grandes que du A5, le récit est partagée entre du noir et blanc et des passages en « couleur ». En fait de couleur il ne s’agit que d’un dégradé d’ocres ajouté au noir et blanc, mais cela suffit à donner une fraîcheur aux passages ainsi marqués, qui se rapportent aux évènements se déroulant après l’arrêt officiel des combats. Le lecteur, ainsi guidé de manière plus ou moins inconsciente par ce code et par d’autres indices graphiques (les uniformes, en particulier), n’est jamais perdu dans la chronologie. Cela permet au narrateur de faire alterner deux temporalités qui avancent en parallèle et se font écho, l’une pendant la guerre et l’autre dans une paix dont la saveur n’est pas plus douce, sans toutefois que le texte se retrouve alourdi par des précisions chronologiques devenues inutiles. Ce procédé fonctionne d’autant mieux qu’il est utilisé de manière discrète. Sur le trait et la texture du dessin, je dois préciser que je suis admiratif du style adopté, mais les avis divergent probablement, en particulier sur ce qui peut être un abus de flou pour les visages et silhouettes des personnages. Cela permet en tout cas à chacun de plaquer les expressions qu’il imagine, là où un dessin précis ne pourrait pas convenir à l’imaginaire de tous en exprimant des émotions trop figées.

La dernière cigarette utilise une des principales forces de la bande dessinée : combiner l’image et le texte et, dans ce cas, ne garder qu’un texte efficace.

 

 

Comment un monologue descriptif peut-il maintenir l’attention du lecteur ?

Une grande part du récit suit le monologue d’un soldat-narrateur. Ce procédé facile peut parfois manquer d’intensité, mais cela n’est pas le cas ici grâce deux ressorts. Le premier consiste à se reposer sur une culture préexistante sur cette période de l’histoire et à utiliser le graphisme pour se contenter d’ouvrir des portes en ne s’attardant que très peu sur chaque point. Le résultat est un tableau dense d’évocation. Le second ressort consiste à distiller dans ces tableaux des éléments cyniques sur des réécritures de l’histoire par les alliés vainqueurs.

 

De la bonne utilisation des coïncidences.

Dans beaucoup de récits, on trouve des coïncidences en grand nombre, qui sont souvent amenées sans aucun effort de justification et qui surtout n’apportent pas grand-chose. Un défaut de ce procédé est que l’on finit par perdre les effets que pourraient apporter certaines de ces coïncidences (à commencer par la surprise). Par exemple, quand deux personnages se retrouvent contre toutes probabilités, l’esprit critique peut être réveillé par les grosses ficelles du scénario, aux dépens des émotions ou du message. Dans le récit proposé par Nikolavitch, les deux protagonistes se croisent à deux reprises, chaque fois contre leurs volontés. Cela apparait ici comme le résultat d’une fatalité digne d’un mythe, dont certains apprécieront l’ironie tandis que d’autres pourront trouver qu’elle s’insère bien dans l’absurdité de la guerre. Par ailleurs, le lien utilisé pour forcer la seconde rencontre, s’il reste une coïncidence de faible probabilité, est loin d’être invraisemblable et, surtout, il apporte une charge symbolique riche sur le dernier tiers du récit.

Un deuxième exemple de coïncidence bien utile permet à un soldat russe de converser avec un allemand russophone pendant la guerre puis avec un américain russophone dans l’après guerre, à une époque où il n’était pas forcément fréquent que deux soldats ennemis puissent se comprendre. Ces brefs échanges bilatéraux entre les trois camps apportent de la matière au récit et, encore une fois, le scénariste se débrouille pour que cela n’apparaisse ni comme une surprise artificielle, ni comme une banalité sans crédibilité.  La justification qu’il offre dans le second cas apporte même matière à penser sur la notion d’ennemi.

Sans qu’il s’agisse vraiment d’une coïncidence, on peut aussi saluer l’utilisation de la cigarette comme point fixe commun à deux scènes qui se font écho, donnant un sens ex-post très fort au titre au récit.

 

Sur la richesse des thèmes évoqués.

Concernant, la guerre, La dernière cigarette aborde des thèmes qu’il est toujours intéressant de revisiter ou même d’effleurer, pour se souvenir comme pour comprendre :

  • La justice des vainqueurs, avec l’un des procès d’anonymes éclipsés dans la mémoire collective par les procès de Nuremberg.
  • La capacité d’un homme conditionné à faire un choix.
  • La proximité avec l’ennemi pour un soldat.
  • Le malheur d’appartenir à un pays en guerre pour un soldat, un peu comme le fait de n’avoir pas choisi ses parents.
  • Le front de l’est de l’Europe et certaines actions perpétrées par les armées du Reich et de l’Union soviétique pendant, respectivement, la fuite et la marche vers Berlin.

 

Pour terminer, une dernière approche : la Description par référence à des œuvres connues.

Il n’est pas question, dans ce paragraphe, de juger si une modeste bande dessinée est digne d’être comparée à l’une ou l’autre des références suivantes. En revanche, il est possible de positionner en quelques mots son contenu par rapport à d’autres œuvres afin de définir les contours de ce que nous offrent Nikolavitch et Botta.

  • De la même manière que Les bienveillantes de Jonathan Littell met en perspective la folie de la guerre et la folie d’individus qui en sont acteurs, cette bande dessinée illustre une vision sans espoir de la guerre et de l’après-guerre par les témoignages de personnages désabusés.
  • L’intensité de la mélancolie et du cynisme rappelle le roman Kaputt de Curzio Malaparte (l’absurde et l’humour en moins).
  • Les passages sur l’armée allemande en déroute rappellent l’atmosphère donnée dans le film La chute (Der Untergang) d’Oliver Hirschbiegel.
  • Contrairement aux personnages-héros du scénario de Stalingrad de Jean-Jacques Annaud, les protagonistes de La dernière cigarette ont des rôles plus anonymes et l’identification n’en est plus forte.

 

Theoden Janssen

Published in: on 28 mars 2011 at 07:17  Laissez un commentaire  

Exposer la bande dessinée… à travers les âges (3)

Avec toutes ces sorties et ces articles sur la bande dessinée numérique, j’en viendrais presque à oublier la série en cours sur ce blog. Mais si rappelez-vous : voilà quelques semaines que je m’interroge sur les différentes manières d’exposer la bande dessinée au fil du temps. Après un bref aperçu des premières tentatives d’exposition par les artistes eux-mêmes dans la première moitié du siècle, après une présentation de la fameuse exposition « Bande dessinée et figuration narrative » de 1967, je vais cette fois évoquer l’apparition des premiers festivals de bande dessinée et le rôle de ces derniers dans la généralisation de la mise en exposition de la bande dessinée.

Du fandom au festival de fans

Le précédent article nous avait permis de voir comment une partie spécifique du petit monde de la bande dessinée s’était emparé de la question de l’exposition : le « fandom », c’est-à-dire la communauté d’amateurs désireux de légitimer cet art « injustement méconnu », pour reprendre une formule à la mode. Plus spécifiquement dans le cas de l’expo 67, les fans en question étaient des nostalgiques dont l’un des buts étaient de présenter leurs lectures enfantines, d’en montrer (et de démontrer) au plus large public la valeur. La domination des « nostalgiques » est toutefois une phénomène davantage présent dans les années 1960 et la décennie suivante voit la diversification du fandom, avec en particulier un véritable intérêt porté à l’égard de la production contemporaine plutôt que passée. Ce tournant se produit autour de 1970 avec la multiplication de revues publiées par des amateurs (non-auteurs, non-éditeurs) : Schroumpf de Jacques Glénat (1969), Haga (1972), pour citer les deux plus connues en France. Ils sont le plus souvent l’oeuvre de structures associatives de lecteurs de bande dessinée, de collectionneurs ou de libraires spécialisés (ainsi la célèbre librairie Futuropolis possède sa propre publication au début des années 1970) qui cherchent moins à publier de la bande dessinée qu’à construire autour d’elle un discours, et la faire mieux connaître. C’est la grande époque des fanzines et revues d’étude et d’information, qui coïncide avec le développement d’une nouvelle presse de bande dessinée pour adultes (Métal Hurlant, Fluide Glacial, L’Echo des savanes). Beaucoup de ces fanzines sont inspirés par de grands ancêtres comme Rantanplan en Belgique et Phénix en France qui, bien que nés pendant la vague nostalgique, ont su s’en détacher en partie.

Dans ce contexte de multiplication des revues d’étude se produit également un renouvellement des moyens d’expression du fandom, tant interne (les fans parlent aux fans) qu’externes (les fans parlent à des non-fans). C’est tout au long des années 1970 et 1980, que le festival va s’imposer en France comme un moyen d’expression privilégié des associations bédéphiliques, à côté des réunions, conférences, revues, rééditions, expositions. Il est souvent le fait d’associations implantés localement et colore pour longtemps des politiques culturelles régionales. Sur le plan chronologique, le modèle européen des festivals de bande dessinée est celui de Bordighera en 1965 (qui se déplace ensuite à Lucca). S’il se déroule en Italie, il n’en est pas moins un produit du fandom français puisque les membres du CELEG font partie du comité d’organisation. Pour la France, il faut attendre les années 1970 pour que les premiers festival apparaissent : tout d’abord en 1973 à Toulouse, sous l’impulsion de l’association des Amis de la bande dessinée, puis en 1974 à Angoulême, grâce aux membres de la SOCERLID. Le troisième festival de la décennie sera celui de Chambéry, fondé en 1977 par l’association Chambéry-BD. Il ne faut pas oublier non plus que dès 1962 se tient à Epinal un festival de l’Image au musée de l’Imagerie, qui existe encore, et qui accueille à l’occasion de la bande dessinée. Il ne s’agit pas dans ce dernier cas d’un festival du fandom bédéphilique, toutefois.
Un mot sur la bédéphilie des années 1970 : même s’il ne faut pas perdre de vue qu’elle est diverse, certaines de ses caractéristiques, ou plutôt des caractéristiques de son discours sur la bande dessinée, ont pu être critiquées a posteriori. Nous reprenons ici une analyse de Charles Ameline pour du9.org. Cette bédéphilie porte d’abord en elle une partie des stigmates laissés par la première génération des « nostalgiques ». Il faut d’abord leur faire crédit d’une érudition qui va de pair avec le goût pour la collection et « l’encyclopédisme », cette manie de compiler, de classer, d’énumérer, de ranger, de s’interesser aux faits plutôt que d’aborder la bande dessinée de façon globale et théorique. Mais le fait le plus durable est sans doute l’héritage du militantisme de la légitimation, qui conduit les fans à adopter un discours volontairement non-critique, laudatif et lissant à l’égard de la bande dessinée. Le « discours fanique » mythifie des périodes (durant les années 1970 se construit la légende d’une toute-puissance de la bande dessinée belge dans l’après-guerre), des auteurs plus que des oeuvres. Dans la mesure où aucun autre discours (universitaire, institutionnel, par les auteurs eux-mêmes), n’émerge, le discours fanique domine largement le paysage critique de la bande dessinée. Il est susceptible d’influencer le contenu des expositions, comme je vais essayer de le montrer.

Le festival comme moyen privilégié du fandom ?
La notion de festival n’est-elle pas pleinement adaptée à cette conception dominante de la bande dessinée ? Il s’agit bien de « célébrer » la bande dessinée, dans une « fête » (pour reprendre l’étymologie du mot) fédératrice. A bien des égards, il me semble que le festival est, pour les fans, l’occasion de rassembler, dans une unité de temps et de lieu, l’ensemble des évènements et expérience jusque là disséminés dans le temps et l’espace pour faire parler de la bande dessinée : espaces de vente (librairies), conférences, expositions, rencontre avec les auteurs, remise de prix (les fans s’étant adjugés un rôle de découvreurs de talents jeunes ou étrangers) ; avec un double objectif ambitieux de rassembler les fans de bande dessinée et d’attirer des non-fans vers la bande dessinée. Peut-être peut-on le voir aussi comme une adaptation d’autres manifestations du même type, bien plus anciennes, comme le Salon de l’automobile (1898) ou le Salon du Bourget pour l’aéronautique (1909) : des évènements qui sont à la fois des espaces de vente géants et des espaces d’information grandeur nature.
En cela, le « festival » est un objet bien plus complexe que les méthodes employées jusqu’ici par le fandom, car multiforme : il demande davantage d’organisation, et souvent le soutien des mairies des villes concernées. L’exposition y est un objet parmi d’autres, et l’influence de la partie commerciale sur l’exposition informative n’est pas négligeable.

Quelles expositions dans ces premiers festivals ?
Pour évaluer la place des expositions dans les premiers festivals, je vais d’abord détailler les contenus des manifestations de Toulouse (1973 et 1974) et Angoulême (1974 et 1975).
A Toulouse, l’évènement organisé du 27 mai au 4 juin par les Amis de la bande dessinée comprend une grande exposition intitulée « Des incunables à Zig et Puce » par André Daussin, qui se tient à la bibliothèque municipale. Outre cet évènement isolé, le festival de Toulouse est conçu comme une « exposition-vente-échange », le terme d’exposition étant ici interprété au sens le plus large possible de présentation de stands d’éditeurs et d’associations bédéphiliques. Enfin, deux plus petites expositions ont lieu parallèlement : un panorama des illustrés français d’après-guerre et une exposition des planches originales des Six voyages de Lone Sloane de Philippe Druillet (Dargaud, 1972). La presse, reprenant sans doute un dossier de presse, nous renseigne sur le contenu de la grande exposition-panorama « Des incunables à Zig et Puce », ainsi, La Dépêche du Midi : « A la bibliothèque nationale [probable erreur pour « municipale »] une exposition ravira les amateurs : des éditions rares de Rodolphe Töpffer, Benjamin Rabier, Christophe, etc, voisineront avec l’oeuvre d’Alain Saint-Ogan. ». Lors de l’édition 1974, les expositions se multiplient, dans divers espaces culturels de la ville : « La bande dessinée dans la presse quotidienne française », « L’aviation dans la bande dessinée », « Les dessinateurs français de western d’après-guerre » et enfin une retrospective de l’oeuvre de Pellos, et une, plus modeste visiblement, sur Jean Ache.
Le premier salon d’Angoulême en 1974, oeuvre du SFBD, associé à d’autres groupements internationaux, est l’occasion de poursuivre la politique d’expositions de cette association dont les membres étaient à l’origine de l’expo 67. Ainsi Pierre Couperie, l’historien du groupe, monte-t-il une exposition intitulée « L’esthétique du noir et blanc dans la bande dessinée », au musée d’Angoulême. Il s’agit, d’après le programme, de la seule exposition. Ce déficit par rapport au festival de Toulouse sera comblée l’année suivante lors de l’édition 1975 puisque, outre « le noir et blanc dans la bande dessinée » qui est reprise dans une variante intitulée « les hachures », on trouve trois autres expositions : au musée, « Histoire de la bande dessinée, classements par courants », de Pierre Pascal et Pierre François, accompagnée d’une projection de diapositives ; au théâtre, une exposition organisée par le spécialiste espagnol du cinéma Luis Gasca sur « Les 100 visages de Frankenstein », et une exposition de bandes dessinées réalisées par les enfants des écoles.

Une grande partie de ces expositions reprennent des partis pris théoriques et des obsessions esthétiques du fandom des années 1960, se basant sur un existant, certes encore limité, en matière d’exposition de bande dessinée. Tout d’abord, il y a de part et d’autre une volonté de dresser des panoramas historiques de la bande dessinée. Deux visions s’affrontent : celle de Toulouse, qui intègre plus largement la bande dessinée à l’histoire de l’imagerie imprimée en utilisant pour cela les collections de la bibliothèque (manuscrit, ouvrages du fonds ancien, incunables, presse illustrée du XIXe) et celle d’Angoulême, qui semble davantage fidèle à la logique de classements propre à l’encyclopédisme de la SOCERLID (qui est en train de travailler à une encyclopédie de la bande dessinée à la mêm date). Dans les deux cas demeure l’idée d’investir des institutions de la culture officielle (bibliothèque et musée), comme cela avait été le cas lors de l’expo « Bande dessinée et Figuration narrative » au musée des arts décoratifs. Ensuite, certaines obsessions des revues d’études des années 1960 sont présentes, comme « l’esthétique du noir et blanc » et « l’aviation » et « le western », approches thématiques maintes fois étudiées. Enfin, les thèmes de ces expositions, à l’exception de celle sur Druillet, sont très axés vers une approche historique du medium qu’il est facile de relier au phénomène de constitution d’un marché de l’édition ancienne et d’un « collectionnisme » souvent nostalgique. Les noms de Saint-Ogan (né en 1895), Pellos (né en 1900), Jean Ache (né en 1923) sont bien ceux d’auteurs qui ont commencé leur carrière dans la première moitié du siècle, et dont la notoriété date d’avant 1970.
En revanche, on va trouver du côté de Toulouse quelques nouveautés dans le choix des thèmes d’exposition. Je remarque d’abord le lien à l’actualité éditoriale, avec l’exposition d’originaux des Six voyages de Lone Sloane de Philippe Druillet dont l’album est paru en 1972 chez Dargaud. Cette idée d’exposer des originaux d’un album (ou d’une réédition) qui fait l’actualité fait partie de celles qui connaîtront un grand succès lors des festivals suivants, car elle mêle l’impact commercial et l’intérêt du collectionneur pour l’objet rare et, à la rigueur, l’analyse scientifique de la génèse de l’oeuvre. C’est aussi à Toulouse que l’on va trouver des expositions consacrées à un auteur en particulier : Saint-Ogan, Pellos et Jean Ache, donc. Enfin, comme l’a démontré l’évocation de ces trois noms, Toulouse se démarque d’Angoulême par son intérêt porté à l’égard du domaine strictement français (dans les expositions : « Les dessinateurs français de western d’après-guerre », « panorama des illustrés français d’après-guerre » et « La bande dessinée dans la presse quotidienne française »), là où la bédéphilie des années 1960, dont la SOCERLID, préférait mettre en avant des auteurs américains. Dans les deux expositions « panorama des illustrés français d’après-guerre » et « La bande dessinée dans la presse quotidienne française », je souligne aussi le choix de traiter du support comme élément thématique, démarche plutôt absente des études critiques précédentes. Il correspond aussi aux attentes du public des collectionneurs de domaines spécialisés.

Bien sûr, il m’est impossible de décrire le détail de ces quelques expositions, dont le contenu m’est connu grâce aux cahiers d’Alain Saint-Ogan numérisés par la CIBDI (cahiers 79 et 80 reprennent les programmes respectifs des deux festivals). Dans cette mesure, je ne m’avancerai évidemment pas sur la qualité des expositions, sur la pertinence des documents exposés et les choix scénographiques. Je vais donc me contenter de quatre conclusions pour achever cet article, en attendant des études plus fouillées :
1.Par l’intermédiaire des festivals, le fandom s’approprie pleinement la notion d’exposition de bande dessinée en les multipliant, mais sur une durée plus réduite et avec la garantie d’un public présent. Par les festivals, on assiste à une forme de généralisation des expositions de bande dessinée. L’ambiguité de la bande dessinée comme objet d’exposition demeure toutefois en partie car elle est circonscrite dans le temps et l’espace, et destinée et organisée par une communauté de fans.
2.L’exposition « Bande dessinée et Figuration narrative » de 1967 semble avoir perdu sa valeur d’étalon dans la mesure où, tout particulièrement à Toulouse où les organisateurs sont différents, d’autres choix sont faits quant aux thèmes (abandon du seul « panorama », du tropisme américain, et des obsessions de la première génération de fans), tout en conservant une ambition historique très marquée, presque « archéologique ». D’autre part, l’original tend à devenir un critère dominant, en même temps que le phénomène de la collection et du marché de l’ancien.
3.La proximité des stands commerciaux commencent à avoir un effet sur la tenue des expositions dont certains, en l’occurence celle du Lone Sloane, acquièrent une valeur promotionnelle.
4.Par la suite, les festivals de bande dessinée vont intégrer des scénographies de plus en plus variées, et les réflexions portées ici valent surtout pour les premières manifestations. J’aurais sûrement l’occasion d’y revenir dans les articles suivants.

Published in: on 17 mars 2011 at 15:59  Laissez un commentaire  

Le FIBD 2011 sur Phylacterium

Pour accompagner, ou prolonger (ou même suppléer, soyons audacieux !), la programmation du festival international de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême (http://www.bdangouleme.com/), le blog Phylacterium vous propose de vous replonger dans ses archives…

Cela ne vous aura pas échappé, le Grand Prix du FIBD 2010, subséquemment président du FIBD 2011, est le dessinateur Baru. Depuis février dernier, je me livre à un « Baruthon » qui consiste à chroniquer tous les mois un album de cet auteur peu connu du public, et pourtant essentiel témoin du monde contemporain. Pour les plus courageux qui veulent avoir un solide aperçu de son oeuvre : avanti, Baruthon !

Bien sûr, le concours Révélation blog, dont le prix sera remis vendredi a lui aussi eu droit à un récent article, qui revient sur les trois lauréats.

Au bar Le Cinq sens sera exposé plusieurs planches originales du collectif Les Nouveaux Pieds Nickelés édités pour Onapratut comme un hommage à l’oeuvre de Forton qu’on ne cesse de ranger dans les « classiques » du neuvième art. Prémonitoirement, je l’avais chroniqué dès sa sortie en mai 2010 : Des anciens aux nouveaux Pieds Nickelés

Une exposition sur l’Egypte et la bande dessinée au musée des Beaux-Arts d’Angoulême… L’exposition se concentre sur trois séries d’Isabelle Dethan : Le Tombeau d’Alexandre dessinée par Maffre, Sur les terres d’Horus et Khéti, fils du Nil par Mazan et J’avais déjà rédigé quelques chroniques apéritives sur ce thème en décembre : La mystérieuse pyramide d’Edgar P. Jacobs, l’aventure didactique de De Gieter, l’épopée napoléonienne de Jacques Martin et André Juillard et les milles et une nuits de Golo.

Enfin, dans la sélection officielle se trouvent deux albums que je vous recommande ardemment : Pour l’Empire de Bastien Vivès et Merwann Chabanne et Château de sable de Frederik Peeters et Pierre Oscar Lévy. Je vous invite à lire, pour en savoir plus sur ces auteurs, le Parcours de blogueurs sur Bastien Vivès et l’article consacré au suisse Frederik Peeters (sobrement intitulé Pourquoi lire Frederik Peeters ?).

Bon festival à tous !

Mise à jour le 30 janvier : le palmarès du FIBD 2011 : (source : Lemonde.fr)

Grand Prix de la Ville d’Angoulême
: Art Spiegelman

Fauve d’or du meilleur album
: Cinq mille kilomètres par seconde (Atrabile), par Manuele Fior

Prix spécial du jury : Asterios Ployp (Casterman), par David Mazzucchelli

Prix de la série
: Il était une fois en France, tome 4 : Aux armes, citoyens ! (Glénat), par Fabien Nury (scénario) et Sylvain Vallée (dessin)

Prix révélation : Trop n’est pas assez (Cà et Là), par Ulli Lust et La Parenthèse (Delcourt), par Elodie Durand

Prix Regards sur le monde
: Gaza 1956 (Futuropolis), par Joe Sacco

Prix de l’audace
: Les Noceurs (Actes Sud BD), par Brecht Evans

Prix Intergénérations
: Pluto (Kana), par Naoki Urasawa et Osamu Tezuka

Prix du Patrimoine
: Bab El Mandeb (Mosquito), par Attilio Micheluzzi

Prix de la bande dessinée alternative : L’arbitraire, volume 4 (périodique édité à Lyon)

Prix Jeunesse : Les Chronokids, tome 3 (Glénat), par Zep, Stan & Vince

Prix du public : Le bleu est une couleur chaude (Glénat), par Julie Maroh

Published in: on 29 janvier 2011 at 08:44  Comments (2)  

10 réflexions sur l’exposition Mœbius à la Fondation Cartier

L’exposition Moebius Transe-Forme à la Fondation Cartier commence aujourd’hui, mardi 12 octobre 2010. Le vernissage avait lieu avant-hier et il nous a inspiré quelques réflexions, moins sur l’auteur et son œuvre que sur le cadre de l’exposition, dans la lignée de la réflexion engagée avec Mr Petch sur les manières d’exposer la bande dessinée.

1. Comme souvent, exposer un auteur de bande dessinée pose le problème de l’équilibre entre l’image et le texte, entre le graphisme et la narration, entre l’auteur et l’artiste. On a ici tenté de concilier les deux aspects tout en les séparant dans l’espace d’exposition : le rez-de-chaussée contient la partie narrative et présente une série de planches dans une sorte de vitrine-serpent, tandis que le sous-sol abrite le côté plus artistique, tout en couleurs et en effets visuels. Clairement, c’est cette seconde partie qui est la plus réussie.

2. L’exposition des planches au rez-de-chaussée est, une fois de plus, complètement ratée. Il s’agit, au fond, de faire la queue pour lire une bande dessinée répartie sur la longueur d’une vitrine. N’aurait-il pas été plus simple et plus pertinent de mettre simplement des bandes dessinées de l’auteur à la disposition des visiteurs ?

3. Mœbius fait partie de ces auteurs de bande dessinée qui sont reconnus comme artistes depuis longtemps1, un peu à la manière de Bilal ; il était donc aisé de mettre l’accent sur l’aspect graphique de son œuvre. On peut même ajouter que l’artisation de son œuvre a été intelligemment menée, notamment grâce à la société que dirige sa femme Isabelle Giraud (Stardom -Mœbius Production). Cet élément a sans doute aidé à ce que Jean Giraud soit connu par un plus vaste public. On a parfois l’impression que les œuvres sont créées en vue d’un format commercial dès le départ, mais cela n’est pas un défaut : la série La faune de Mars, qui semble faite pour le format carte postale, est une des œuvres les plus belles et les plus émouvantes de l’exposition.

Mœbius Transe-Forme à la Fondation Cartier

 

4. La grande réussite de l’exposition est de parvenir à ne pas lasser le regard : la diversité des formes, des tailles, des techniques, des teintes et des supports permet d’éviter l’écueil de la monotonie. A ce choix judicieux s’ajoute une disposition originale : les modes d’accrochages sont nombreux et souvent assez originaux. Par exemple, sur le mur consacré au thème du désert, les tableaux ne sont pas accrochés de manière purement horizontale mais avec un léger décalage vertical, ce qui permet de rompre habilement la linéarité sans pour autant gêner le regard. Sur le mur opposé, des planches monochromes en très grand format donnent une profondeur à la pièce. Au milieu de la salle, des colonnes lumineuses présentent des œuvres en petit format. Il est manifeste que la Fondation Cartier s’est donné les moyens de travailler la présentation avec minutie. Rien que le carton d’invitation au vernissage, reprise en relief de l’affiche de l’exposition, était un ravissement visuel et tactile.

5. Certains des objets dérivés que l’on peut trouver dans la boutique sont extrêmement bien faits, en particulier le cahier de coloriage pour les enfants : refaire la colorisation de L’Incal, c’était un vieux fantasme.

6. Les thèmes de l’exposition sont assez bien mis en valeur par la diversité d’accrochage : le mur du désert se distingue assez bien de celui des monstres, qui est clairement différencié de l’espace des rêves, etc. Bref, l’articulation thématique est claire sans que l’on ait eu besoin de surcharger les murs d’indications.

7. Le thème général de l’exposition (la métamorphose) a, paraît-il, été voulu par l’auteur. Il n’est pas franchement présent et il semble qu’il permette surtout de mettre l’accent sur la période la partie la plus graphique et la plus onirique de l’œuvre de Mœbius : on a beaucoup d’images du Monde d’Edena, de L’Incal, et presque rien des Aventures du lieutenant Blueberry.

8. On ne peut pas dire qu’il y ait un véritable propos dans cette exposition. Cela ne ressemble pas à une exposition-recherche (la chronologie est d’ailleurs totalement ignorée), mais cela n’a rien à voir non plus avec une simple exposition de planches. On a visiblement préféré éviter de saturer les murs de texte et on a réservé la réflexion pour le catalogue. C’était plus ou moins le choix qui avait été fait par l’exposition Astérix au Musée de Cluny : peut-être, après-tout, est-ce pertinent à long terme, mais c’est frustrant pour le visiteur.

9. Le court-métrage en 3D qui est présenté dans l’exposition est plutôt convaincant. Le scénario est assez fidèle à l’esprit de Mœbius puisqu’il reprend des motifs du Monde d’Edena. Du point de vue graphique, on aurait sans doute préféré quelque chose de plus granuleux, mais certaines séquences sont tout de même très réussies et réellement enthousiasmants.

10. Au milieu de la salle d’exposition du sous-sol se trouve un grand cristal de quartz, un vrai. C’est un motif récurrent dans les œuvres de science-fiction de Mœbius et l’effet est très réussi. Tout aurait été parfait s’il y avait eu également un lapin géant, un major, une paterne et quelques autres gadgets de ce genre.

Antoine Torrens

(suite…)

Published in: on 11 octobre 2010 at 23:24  Comments (5)  

Palmarès du festival d’Angoulême 2010

En direct du théâtre d’Angoulême, le falvarès de la 37e édition :

– Fauve d’or (meilleur album) : Pascal Brutal 3 – Plus fort que les plus forts (Riad Sattouf)
– Grand prix : Baru
– Prix du public : Paul à Québec (M. Rabagliati)

Autres prix : L’Esprit perdu (G. de Bonneval et M. Bonhomme), Rosalie Blum (Camille Jourdy), Dungeon Quest 1 (Joe Daly), Rébétiko (David Prudhomme), Jerome K. Jerome Bloche 21 – Déni de fuite (Dodier), Alpha…directions (Jens Harder)

Published in: on 31 janvier 2010 at 17:08  Laissez un commentaire