Yann et Olivier Schwartz, Une aventure de Spirou et Fantasio : Le groom vert-de-gris, Dupuis

Loin de la polémique : un album référentiel et provocateur
Pour ce premier article, je vais revenir quelques mois en arrière. En mai dernier sort un nouvel album de Spirou dans la collection « Spirou vu par… » nouvellement créée par Dupuis au début de l’année 2006. Il a pour titre Le groom vert-de-gris, pour dessinateur Olivier Schwartz et pour scénariste Yann. L’intrigue est alléchante : on retrouve le jeune groom dans le Bruxelles occupé des années noires, dans un rôle d’espion au service de la Résistance belge. Très vite, l’album fait polémique sur le net, le scénariste Yann se retrouvant suspecté d’antisémétisme… Pour ma part, dans la mesure où rien ne m’a particulièrement choqué dans cet album, je préfère en faire une critique purement esthétique. Car le grand tort de la polémique a été d’oublier qu’il s’agit avant tout d’un album de bandes dessinée devant être traité comme tel ; et ce d’autant plus qu’il m’a paru extrêmement intéressant à commenter.
Il n’est pas inutile de rappeler les termes de la polémique. Le 11 mai 2009, Joann Sfar, sur son blog, rédige un article sur l’album en question, article mi-figue mi-raisin où il dit sa fascination et en même temps sa répulsion, et où il laisse affleurer une accusation d’antisémitisme. (www.toujoursverslouest.org/joannsfar/blog.php?p=19). Puis, le 20 mai, sur le site de Bodoï, Yann répond à Sfar et se défend ( www.bodoi.info/magazine/2009-05-20/yann-saventure-a-nouveau-du-cote-de-spirou/16397 ). C’est ensuite le critique Didier Pasamonik qui, sur le site de actuabd le 11 juin, dresse un point intéressant de la situation, mais sans réellement résoudre la polémique. (www.actuabd.com/Spirou-et-Fantasio-Une-polemique-vert-de-gris ). Enfin, Sfar rédige le 13 juin un dernier billet sur le sujet. ( www.toujoursverslouest.org/joannsfar/blog.php?p=20 )
Mon objectif n’est bien sûr pas de participer à la polémique (qui, n’oublions pas de le signaler, s’est déroulé uniquement sur internet !) mais justement d’en sortir et de profiter de l’album pour éclaircir le maquis de références qu’est Le groom vert-de-gris.
Sortons-en, donc.

Yann, le provocateur de la BD franco-belge
Le groom vert-de-gris, c’est donc soixante-deux pages d’aventures durant lesquelles Spirou lutte contre l’Occupant allemand. Le Moustic hôtel, où il officie comme groom, a été réquisitionné et il y joue les espions. Ce qui m’a le plus frappé à la lecture de l’album, c’est le traitement léger, non pas d’un prétendu sujet grave qui serait les années d’Occupation, mais de la tradition de la série « Spirou » de Dupuis. Yann, le scénariste brise les codes de la série, encore plus qu’il n’avait pu le faire dans le précédent album Le tombeau des Champignac. Par exemple, cette aventure de Spirou ne se déroule pas dans un univers fictif mais dans un lieu et surtout à une époque identifiable et réelle, et ce alors que, si Spirou avait déjà depuis longtemps visité des lieux réels, il évoluait jusque là le plus souvent hors du temps, de l’Histoire, de l’actualité. Ce premier tabou avait déjà été brisé par Emile Bravo dans l’album Journal d’un ingénu en avril 2008, album où le jeune Spirou apprend la vie dans le Bruxelles de la fin des années trente. Autre tabou, sans doute plus important encore : le sexe et la violence. Dans tous les précédents albums de Spirou, la violence était masquée et les personnages non-sexués ; Spirou accusait un peu de romantisme dans certains albums de Tome et Janry comme Luna Fatale (1995). Dans Le groom, Fantasio couche explicitement avec une officier allemande. Quant à la violence, on notera cette scène p.41 où Spirou brûle vivant ses poursuivants allemands et ajoute « Pouah ! Ça pue la saucisse SS grillée. » tandis que Spip précise : « Sacré Spirou ! Il vient d’inventer le Hot-Boche. ».

Pour mieux comprendre ces écarts à la tradition franco-belge en général et à l’esprit de Spirou en particulier, il faut apporter deux précisions. La première sur le mode de publication de l’album et la seconde sur le scénariste Yann.
L’album Le groom ne s’inscrit pas dans la suite des aventures de Spirou et Fantasio (désormais entre les mains de Yoann et Velhmann) mais dans une série parallèle, « Une aventure de Spirou et Fantasio par… » dont il est le cinquième album. L’objectif de la collection est de laisser libre cours à des auteurs de livrer « leur » Spirou.( www.dupuis.com/servlet/jpecat?pgm=VIEW_SERIE&lang=FR&SERIE_ID=1276 ). Yann se permet ainsi des libertés avec la série d’origine.
Or, la provocation est une caractéristique essentielle de l’oeuvre de Yann. Il fait justement ses débuts au journal Spirou en 1978 avec le dessinateur Conrad et se fait connaître en tant que scénariste avec Les Innommables, toujours dessiné par Conrad. Le ton de la série choque l’éditeur Dupuis qui la supprime en 1982 : les héros sont trop mal élevés et la série trop provocatrice pour la revue pour enfants fidèle à sa tradition. De plus les « hauts-de-page », gags courts que les deux auteurs livrent pour le journal sont souvent cruels et méchants à l’encontre de certains de leurs collègues de la rédaction. En clair, ils introduisent dans Spirou, journal gentil et naïf, le second degré, l’ironie voire le cynisme, inspiré par ce qui s’est passé en France autour de Pilote. Par la suite, durant les années 1980, Yann diversifie sa production de scénariste en publiant de nombreux albums pour des dessinateurs très variés. Il aime aborder des sujets sensibles sur un mode provocateur, comme le sida (Nicotine Goudron en 1988) ou le nazisme (La patrouille des libellules en 1985, dessiné par Marc Hardy). Dans ce dernier album, l’une des scènes représentant un instituteur juif portant un gros nez lui vaut les attaques d’association juives. Dans une interview par Gilles Ratier publiée dans Avant la case, il déclare ainsi : « J’ai toujours aimé prendre les lecteurs (et parfois les dessinateurs) à rebrousse-poil. J’adore mettre mes personnages en porte-à-faux. Déranger le public dans ses petites habitudes. »
Mais son autre caractéristique est l’attachement à la parodie des classiques de la bande dessinée. Il pratique ainsi une bande dessinée référentielle trouvant ses origines dans les années 1950 et 1960 mais qui ne cherche pas à rendre un hommage mais plutôt à bousculer les règles. Il est ainsi, avec Conrad, le scénariste de Bob Marone (1983-1985) ; et avec Jean Léturgie et toujours Conrad il participe à la série Kid Lucky (1995-1997) qui raconte l’enfance d’un autre héros belge des années 1950. Par ailleurs, il scénarise les albums 3 à 9 du Marsupilami (1989-1994) et co-scénarise avec Jean Léturgie un album de Lucky Luke dessiné par Morris (Le Klondike, 1996). L’album Le groom trouve donc naturellement sa place dans cette carrière dont l’horizon de référence principal reste la bande dessinée franco-belge traditionnelle, mais traitée sur le mode de la dérision.


Ligne claire et « autoréférentialité » dans la bande dessinée

Le scénariste Yann porte déjà en lui le goût pour les références à la bande dessinée belge qui est la caractéristique principale du Groom vert-de-gris qui les accumule d’une manière presque jubilatoire. L’article Wikipédia recense la plupart des références présentes dans l’album.( fr.wikipedia.org/wiki/Le_Groom_vert-de-gris ). Inutile donc de les reprendre ici, analysons-les plutôt. L’omniprésence des références dans Le groom contient en réalité une double référence : au premier degré on trouve les références à la BD franco-belge des années 1940-1950 dont est justement issu le héros. Le Bruxelles de 1942 que nous présente Yann et Schwartz n’est pas un Bruxelles réaliste mais plutôt un Bruxelles rêvé où les personnages de BD seraient réels. Mais à un autre niveau, l’album se situe dans la continuité du mouvement de la Ligne Claire de la fin des années 1970.
Qu’est-ce que la Ligne Claire ? Il s’agit d’un courant de bandes dessinées qui trouve son origine en 1977 en Hollande, sous le nom de Klare Lijn, à travers le dessinateur Joost Swarte, et qui est suivi en France par Ted Benoît, Floc’h, Yves Chaland, Jean-Louis Tripp et quelques autres auteurs. Une revue Klare Lijn est créée mais le mouvement reste plus théorique qu’institutionnel. Il regroupe un ensemble d’auteurs adoptant et réinterprétant une esthétique inspirée de l’âge d’or franco-belge symbolisé par Hergé, E.P. Jacobs, Jijé, Jacques Martin, Bob de Moor ; il s’agirait en terme artistique d’un néoclassicisme nostalgique marqué par la citation. Thierry Groensteen propose justement cette définition du trait dit de « ligne claire » : « Elle résume l’idéal de lisibilité et de transparence qui était celui d’Hergé, et qui se traduisait par le refus de l’ombre, la linéarisation du trait de contour, le réalisme schématique des décors, la simplification chromatique. ». Le mouvement connaît son plein développement autour de 1980 avec des titres comme Le rendez-vous de Sevenoaks de Floc’h et Rivière (1977), L’art moderne de Joost Swarte (1980) ou la série Freddy Lombard de Yves Chaland (1981-1989). Il ne faut pas oublier que la Ligne Claire porte en elle une ambiguité de départ, étant à la fois hommage respectueux et parodie reservée aux initiés. Elle marque un moment clé d’autoréférentialité qui participe sans doute durant les années 1980 à la légitimation de la BD qui affirme ainsi posséder une histoire. Yann ne s’est jamais réellement associé au mouvement mais il commence lui aussi sa carrière au début des années 1980 et travaille avec Chaland pour quelques épisodes de Freddy Lombard.
Dans l’album Le groom la référence à la Ligne Claire passe par deux procédés qui entendent imiter l’école de la Ligne Claire : l’un est justement un constant besoin de se raccrocher à des références anciennes. Lorsque Yann insiste lourdement sur la présence des personnages du Trésor du Rackham le Rouge ou utilise le personnage du jeune boxeur Poildur crée en 1948 dans Spirou sur le ring, il se situe parfaitement dans la lignée du mouvement des années 1980.
L’autre tient au dessin. En effet, le style du dessinateur Olivier Schwartz (surtout connu pour être le dessinateur de la série jeunesse Inspecteur Bayard publiée dans Astrapi depuis 1993 et scénarisée par Jean-Louis Fonteneau) répond aux exigences de la Ligne Claire : clarté du trait, synthèse des silhouettes, décors réalistes… On retrouve également chez lui le goût pour les scènes de rues et de foules fourmillantes de détails amusants qu’affectionnait Hergé. Il ne se revendique cependant pas du tout du mouvement. Dans deux interviews données sur le site Klare Lijn International, (klarelijninternational.midiblogs.com/archive/2007/04/08/olivier-schwartz.html et klarelijninternational.midiblogs.com/archive/2009/04/26/olivier-schwartz.html ), il dit être surtout inspiré par le style d’Yves Chaland, son principal modèle. Spécialement pour l’album, il est aussi allé voir du côté de Jijé et Franquin. Pour ce jeune dessinateur, Le groom vert-de-gris constitue un premier pas hors de la bande dessinée jeunesse.
Sans doute faut-il terminer en précisant que, comme l’explique Yann dans les interviews, le scénario de base du Groom avait été prévu dès les années 1980 pour être dessiné par Chaland. Il ne vit jamais le jour et, Chaland mort en 1990, le projet ne ressort qu’en 2009, Yann profitant de la nouvelle collection lancée par Dupuis. Chaland, près de vingt ans après sa mort, hante donc encore largement les pages de cet album !

Les références les plus diverses et les plus complexes se multiplient pour cet album qui est avant tout un hommage amusé à la tradition de la série Spirou. C’est un album d’héritier mais traité par un professionnel de la provocation, ce qui multiplie les niveaux de lecture et aboutit à une aventure au contenu extrêmement riche, quoiqu’un peu trop dense en citations. Le ton iconoclaste de Yann, presque jouissif, mêlé à un trait volontairement lisible et dynamique font du Groom vert-de-gris un album très agréable à lire.

Pour en savoir plus :
Ouvrages généraux :

Patrick Gaumer, Larousse de la BD, Larousse, 2004
Thierry Groensteen, Astérix, Barbarella et Cie, Somogy, 2000
Sur Yann (Yann Le Pennetier, né en 1954) :
Les innommables (dessin de Conrad), 12 albums, Dargaud, 2002-2004 (réeditions)
Gilles Ratier, Avant la case, PLG, 2005
Yann et Conrad, une monographie, Mosquito, 2007
Sur Yves Chaland (1957-1990) :
Les inachevés de Chaland, Champaka, 1993
Oeuvres complètes, 4 tomes, Les Humanoïdes associés, 1996-1997
www.yveschaland.com/index.php
Sur Olivier Schwartz (né en 1963) :
Les enquêtes de l’inspecteur Bayard, (scénario de Jean-Louis Fonteneau) 17 albums, Bayard éditions, 1993-2009
Sur la Ligne Claire :
Rencontres Chaland à Nérac (Lot-et-Garonne) les 3 et 4 octobre 2009
klarelijninternational.midiblogs.com/
François Rivière, L’école d’Hergé, Glénat, 1976
Floc’h et François Rivière, Le rendez-vous de Sevenoaks, Dargaud, 1977
Ted Benoît, Vers la ligne claire, Les Humanoïdes associés, 1980
Joost Swarte, L’art moderne, Les Humanoïdes associés, 1980
Un article de Didier Pasamonik explique en détail l’aventure du mouvement sur le site MundoBD : www.mundo-bd.fr/?p=1167

Published in: on 29 août 2009 at 10:10  Laissez un commentaire  

Blogsbd partie 1 : Définir un blog bd

Pour lire l’intro : introduction

Pour commencer cette série d’articles, je vais tenter de définir la nature d’un blog bd et surtout la place qu’il tient dans le monde de la bande dessinée française.
Analysons d’abord le nom, « blogsbd », qui contient déjà en grande partie la définition :
Dans la lignée de la floraison des blogs sur le web français à la fin des années 1990 et surtout durant les années 2000, il répond à la définition classique du blog : un site web constitué d’une suite de posts ou notes considérés par son ou ses auteurs comme un espace de libre expression à la façon d’un journal intime. On trouve ainsi généralement sur les blogsbd des anecdotes de vie ou des réflexions personnelles. De même, la possibilité laissée à l’internaute de mettre des commentaires inscrit pleinement le blogbd dans la démarche plus générale du web communautaire des années 2000. En clair, le blogbd prend au blog sa structure. Malgré l’appellation courante de blogbd, ce type de contenu n’a toutefois pas toujours la forme éditoriale d’un blog : il n’est pas systématiquement rattaché à un hebergeur de blog et peut parfois être un véritable site.
Contrairement aux blogs classiques, l’image tient une grande place dans le blogbd, c’est ce qui en fait sa spécificité. L’auteur utilise alors les ressources narratives et les codes d’expression de la bande dessinée (séquentialité, phylactère…) au sein de ses notes, soit en plus du texte mais plus généralement à sa place. Bien souvent, image et texte sont clairement distincts, le texte jouant généralement un rôle purement informatifs où l’auteur auto-commente sa note ou laisse un message à l’internaute. L’usage de l’image est cependant extrêmement fluctuante. Il peut s’agir simplement de présenter le travail de l’auteur, à la façon d’un art book virtuel, ou plus directement de raconter une anecdote sous la forme d’une bande dessinée. Voire de publier un véritable histoire complète, même si l’on parle plutôt dans ce cas de webcomic. Les deux termes sont assez fluctuants, mais le blogbd est le plus souvent un ensemble d’anecdotes et de dessins sans lien entre eux alors que le webcomic a pour ambition de livrer une histoire complète. Ce qui n’empêche pas des blogueurs bd de publier aussi des webcomics !
Les blogueurs, un nouvelle génération d’auteurs ?
Bien que son existence soit encore très récente, le phénomène des blogsbd a déjà laissé des traces dans l’histoire de la bande dessinée française. En effet, les auteurs de blogsbd se conçoivent généralement comme des auteurs de bande dessinée, ou du moins comme des auteurs débutants et beaucoup expriment dans leur blog leur aspiration à percer dans cette voie. On peut situer trois grandes familles de blogueurs… Je n’aime pas forcément les classifications, mais disons que c’est pour la clarté de la démonstration :
1.Les auteurs confirmés déjà sur le marché parfois depuis longtemps qui tentent l’aventure du blog pour enrichir leur champ d’action. Lewis Trondheim est un symbole de cette catégorie. Auteur depuis les années 1990, il a déjà un palmarès prestigieux (co-fondateur de la maison d’édition L’Association en 1990, Grand Prix d’Angoulême en 2006) quand il lance en 2006 le blog « Les petits riens », en marge de son site internet. Mais d’autres auteurs se sont lancés dans le blogbd, comme Maester, Manu Larcenet et Guy Delisle. Il ne faut pas oublier non plus que beaucoup d’auteurs de bande dessinée possèdent soit un site, soit un blog non-bd (comme celui de Sfar) et ne sont donc pas totalement absents de la toile.
2.Les jeunes auteurs et dessinateurs n’ayant réalisé que quelques projets et qui profitent de leur blogbd pour se faire connaître plus largement et pour se soustraire à la contrainte de la commande, se livrant ainsi à des dessins plus personnels. Beaucoup de jeunes dessinateurs ont agrandi leur public grâce à un blogbd et sont connus à la fois comme auteur de BD et comme blogueur. Boulet, Cha, Mélaka et Laurel, tous trois dessinateurs pour Spirou depuis le début des années 2000 sont les plus connus.
3.Les dessinateurs hors de la bande dessinée, les non-professionnels, voire même des jeunes fans de dessins constituent la grande masse des blogueurs bd depuis trois ou quatre ans. Il s’agit dans l’ensemble de personnes n’ayant pas ou très peu percé professionnellement dans le domaine de la BD (certains n’ont d’ailleurs jamais cherché à le faire). Ils voient le blogbd comme une manière de donner libre cours à leur passion du dessin et de la partager. Certains d’entre eux sont d’ailleurs parvenus à publier des albums. Pénélope Jolicoeur et Miss Gally (respectivement « Ma vie est tout à fait fascinante » et « le blog de Gally » sont tout à fait représentatives : jeunes illustratrices, elles ont pénétré le monde de la BD grâce à leur blog.
Du point de vue du monde de la bande dessinée, le phénomène des blogsbd a principalement contribué à lancer une génération de jeunes auteurs âgés de 20 à 35 ans d’une manière complètement inédite et inattendue. Certaines maisons d’édition se montrent particulièrement attentives au monde des blogsbd et accueille des auteurs dont le succès est venu grâce au blog, voire édite leur blog : la collection Shampooing chez Delcourt, dirigée par Lewis Trondheim, les éditions Warum fondé par Wandrille Leroy et Benoît Preteseille, les éditions Jean-Claude Gawsewitch dont la collection BD est dirigée depuis 2009 par Pénélope Bagieu. Ces maisons d’édition sont encore assez rares et les grandes maisons n’ont pas encore intégré l’apparition de cette nouvelle génération, à l’exception de Delcourt, mais ce surtout grâce à Lewis Trondheim.
La bande dessinée comme langage
En tant que moyen d’expression, les blogsbd montrent l’adaptation de la bande dessinée française dans un monde où internet est devenu un espace culturel de référence. En effet, le blogbd implique une lecture renouvelée de la bande dessinée dont la principale conséquence est de confirmer sa qualité de moyen d’expression total indépendant de l’écrit traditionnel. Les auteurs de blogsbd ne se contentent pas de raconter des histoires en images, ils expriment aussi des pensées et des sentiments plus complexes. En cela, ils contribuent à la diffusion du langage bande dessinée (de « l’art séquentiel », pour employer un terme savant) et témoignent de son fort ancrage dans la société française, du moins au sein d’une large génération.
Une autre évolution de taille tient au rapport au lectorat. Les notes ne sont pas des objets édités ni des oeuvres durables mais des billets spontanés ; elles ne sont pas vendues mais gratuites. Le blogueur a donc généralement davantage de liberté puisqu’il est moins soumis au goût du public et aux exigences de l’éditeur. En d’autres termes, le blogbd permet le développement d’une libre bande dessinée qui reste tout de même informelle puisque immatérielle. Cela n’empêche pas que des liens se créent entre le public et le blogueur, mais les visiteurs, qui laissent des commentaires et sont parfois invités à participer à la vie du site (par des concours, des radioblogs ou des boutiques), sont davantage considérés comme un groupe d’amis que comme des acheteurs potentiels. Le blog est souvent l’occasion pour le blogueur d’exprimer sa reconnaissance ou au contraire de réagir directement à un commentaire désobligeant.
Si, la plupart du temps, les blogueurs se contentent de calquer la forme de leur billet sur les codes habituels de la bande dessinée et de ne pas en sortir, certains les détournent et renforcent ainsi la singularité du blogbd. Raphaël B., par exemple, est un adepte des dessins qui utilisent le défilement de la page web dans leur mode de lecture (raphaelb.canalblog.com/archives/2009/04/01/13217890.html ). Il spatialise la page web par le dessin et conçoit un dessin ne pouvant être lu que sur un blog. Il démontre que le blogbd peut réellement apporter quelque chose à la bande dessinée, en plus d’une nouvelle génération : si certains restent des carnets de notes quotidiennes (parfois admirablement dessinée, d’ailleurs), d’autres se présentent comme de véritables projets graphiques aboutis.

A suivre dans : Petite histoire des blogs bd français

Les blogs cités dans cet article :
Lewis Trondheim : http://www.lewistrondheim.com/blog/
Manu Larcenet : http://www.manularcenet.com/blog/
Guy Delisle : http://www.guydelisle.com/WordPress/
Boulet : http://www.bouletcorp.com/blog/
Cha : http://blog.chabd.com/
Mélaka : http://www.melakarnets.com/
Laurel : http://www.bloglaurel.com/coeur/index.php
Pénélope Jolicoeur : http://www.penelope-jolicoeur.com/
Miss Gally : http://missgally.com/blog/

Published in: on 24 août 2009 at 14:01  Laissez un commentaire  

Les faces cachées chez David B.

On dit que Charles Baudelaire tenait particulièrement à ce que l’on vît dans ses Fleurs du mal non pas un recueil de poésies, mais un livre de poésie ;  non pas un rassemblement, mais un ensemble cohérent de poèmes reliés les uns aux autres par des correspondances. On pourrait en dire autant de l’œuvre de David B., où des motifs singuliers apparaissent de manière récurrente et où, régulièrement, « les parfums, les couleurs et les sons se répondent ». Il ne s’agit pas seulement d’une question de style : on retrouve naturellement d’un livre à l’autre certains aspects, certaines images, certaines tournures langagières, mais il y a aussi des motifs plus précis et plus complexes, des motifs que la comparaison peut nous aider à apprécier. L’un de ces motifs est celui de l’homme au visage caché.

Les lecteurs de la série des Chercheurs de trésor[1] et ceux du Jardin armé[2] se souviendront du personnage du Prophète voilé. C’est une figure étrange que ce prophète, comme un syncrétisme entre d’un côté la représentation traditionnelle du prophète Mahomet dans les enluminures persanes, au visage couvert d’un voile blanc, et de l’autre côté l’Imam caché, le Mahdi des chiites, qui s’est occulté en l’an 939 et reparaîtra à la fin des temps. David B. développe toute une mythologie autour de ce Prophète voilé et il en fait toujours un personnage négatif : c’est le partisan de l’ombre, l’autocrate ennemi de la confrérie disparate des Chercheurs de trésors, celui qui présente toujours la menace de l’invasion, de la contagion : par lui la terre risque de se couvrir de morts, par lui l’ombre se répand sur la ville, par lui tout ce qui était clair devient obscur et indécis.Le prophète voilé (© David B.)

D’autres personnages au visage caché sont plus positifs : paradoxalement c’est le cas de l’Ange de la mort, ennemi du  Prophète voilé. Son visage n’est pas à proprement parler caché mais il est abstrait, géométrique et détaché du corps ; cela le rend très semblable au personnage du Roi du Monde décrit dans Babel[3]. Cette séparation entre le visage et le reste du corps n’est pas sans donner à tous ces personnages une connotation divine : ainsi de la représentation égyptienne des dieux, reprise par Bilal dans La trilogie Nikopol[4] et par David B. lui-même pour représenter le fantôme de son grand-père dans L’Ascension du Haut mal[5]. Il en va de même, dans une moindre mesure, du dieu de la Bible, dont la face ne doit jamais être vue dans l’Ancien Testament[6] mais devient dans le christianisme la récompense éternelle qui attend au paradis les membres de la Cité de Dieu[7].

Le grand-père du narrateur (© David B.)

David B. représente aussi très souvent des personnages qui changent de tête : c’est en général l’attribut des dieux ou des demi-dieux, tel l’Ange de la mort dans Les Chercheurs de trésor ou bien la Renarde dans Le Tengû carré[8]. Bien qu’elle soit séparée du corps et présente souvent des traits plus simples que ce corps, cette face de certains personnages supérieurs de David B. est parfois d’un grand intérêt graphique : le visage simplifié à l’extrême de l’Ange de la mort et du roi du monde ont déjà quelque chose d’un masque tribal, d’un fétiche primitif, et cette impression se confirme au vu du masque du Capitaine écarlate[9]. Une fois encore, on touche au domaine de l’ésotérique. Ce visage primitif a également des traits communs avec un autre visage, humain celui-là, de l’œuvre de David B. : celui de Jean-Christophe, le frère épileptique, tel qu’on le découvre au début et à la fin de L’Ascension du Haut Mal. Le visage au cercle presque parfait, la bouche aux deux lèvres épaisses, les yeux vides : tout cela fait que Jean-Christophe ressemble beaucoup aux masques du Capitaine écarlate, de l’Ange de la mort et du Roi du Monde.

Le Capitaine Ecarlate (© Emmanuel Guibert et David B.)

Au cours des 6 tomes de L’ascension du Haut Mal, David B. dessine Jean-Christophe de manières diverses mais ce visage si particulier n’apparaît qu’au début du premier tome et à la fin du sixième. Dans ces deux passages, le narrateur explique l’étonnement qui l’a saisi le jour où il a découvert ce visage de son frère : « Il n’est pas devenu comme ça du jour au lendemain, mais je n’ai pas voulu le voir »[10]. Cette idée que certaines choses évoluent lentement mais ne se révèlent que brutalement est une idée qu’on retrouve dans plusieurs autres oeuvres de David B. : le jardin d’Eden des adamites dans Le jardin armé, qui se révèle être un enfer et une porcherie, ou bien les danseurs du sabbat de Léonora, dont l’héroïne dit « Tu vois, quand on regarde bien, ils ne s’amusent pas, ils dorment »[11]. La bande dessinée est peut-être le mode d’expression le plus apte à rendre ce type d’idées dans la mesure où elle permet mieux que jamais de passer sans transition de l’image voilée à l’image révélée : il suffit au dessinateur de conserver les caractéristiques essentielles de la première case tout en modifiant dans la seconde les traits qui l’intéressent.

Ils ne s'amusent pas, ils dorment (© David B.)

La ressemblance du visage de Jean-Christophe avec des figures de la divinité nous fait prendre conscience de ce qui était finalement assez discret dans les 6 tomes de L’Ascension du Haut Mal : le caractère divin de l’épileptique. Ce caractère divin accompagne, d’une certaine manière, le caractère monstrueux évoqué par Renaud Pasquier dans son article « David B., le sommeil de la raison ». Le titre de la série n’est naturellement pas innocent : le haut mal, c’est l’appellation qui a été donnée à l’épilepsie depuis l’époque médiévale en raison du rapprochement entre les crises d’épilepsie et les délires prophétiques (on a souvent supposé que Jules César ou Mahomet étaient épileptiques). Les multiples et inépuisables moyens employés pour guérir Jean-Christophe du Haut Mal, une fois qu’on a pris conscience du caractère sacré de ce personnage, deviennent semblables à des rituels de conjuration accomplis pour calmer la fureur du Dieu.

Jean-Christophe (© David B.)

Antoine Torrens

(suite…)

Published in: on 23 août 2009 at 21:53  Comments (1)  

Entrer dans le monde des blogs bd

Cette courte introduction, avant une série d’articles consacrés au mouvement des blogs bd francophones qui s’étend de plus en plus sur la toile depuis 2004-2005, est destiné à ceux qui, égarés ici, ne sont pas forcément familiers avec le concept et cherchent des portes d’entrée vers cet univers étrange. Pour tous ceux qui sont curieux de nature et souhaitent en savoir plus sur les blogs bd, voici quelques moyens de pénétrer dans la blogosphère séquentielle :

Le moyen le plus efficace et rapide est évidemment le site http://blogsbd.fr/ de Matt, en ligne depuis 2006. Il consiste en une base de données de plus de 500 blogs (576 au dernier décompte), avec une sélection dite « Officielle » en page d’accueil qui réduit ce nombre aux 100 blogs incontournables, selon les goûts du webmaster. Les blogs apparaissent au fur et à mesure de la mise à jour des posts, avec un petit aperçu. A partir de ce site, il suffit de papilloner sur les blogs présentés, d’en lire quelques extraits et de se faire une idée. Les blogs bd sont de nature extrêmement variés, tant du point de vue de la structure, du contenu que du style. Vous serez donc peut-être interpellé par tel blog, tandis que tel autre vous répugnera profondément. (je rédigerais en temps utile un article plus complet sur blogsbd.fr, qui reste la meilleure annuaire des blogs francophones).

Si vous avez peur des listes toutes faites, l’autre solution consiste à se rendre sur un blog dont vous avez entendu parler sur tel ou tel média, puis de suivre les liens. Je m’explique. Les blogs bd font parler d’eux et commencent (doucement) à être présents dans les médias. L’un des blogs de Martin Vidberg est hebergé sur la plate-forme du Monde.fr. Le magazine BD en ligne Bodoï publie régulièrement des interviews de blogueurs (http://www.bodoi.info/a-la-une/2009-07-13/best-of-bodoi-les-interviews-des-meilleurs-blogueurs-bd/18735). De nombreux blogs bd sont publiés sous forme papier et ainsi potentiellement mis à la disposition d’un autre public… Ainsi, rendez-vous sur ce blog dont vous avez fortuitement eut connaissance et visiter, grace à la rubrique « liens » (généralement sur un bandeau latéral) les blogs d’autres dessinateurs sensiblement proches dans l’esprit.

Enfin, rien ne vous empêche non plus de faire connaissance avec les blogueurs bd « en vrai » lors de manifestations diverses comme le festiblog, généralement à Paris fin septembre (http://www.festival-blogs-bd.com/), ou comme les nombreux festivals de BD qui parsèment la France le reste de l’année, du célèbre Angoulême (http://www.bdangouleme.com/) à Saint-Malo (http://www.quaidesbulles.com/ ) pour citer les plus connus. C’est aussi l’occasion de voir « in real life » les dessinateurs, de constater qu’ils ne sont pas que blogueurs mais qu’ils ont aussi publié des albums, et de contempler leur travail.

Voilà pour quelques idées introductives avant ma série d’articles. Je chercherai dans ces articles à interpréter les blogs bd comme un objet culturel contemporain qui s’inscrit à la fois dans l’évolution d’internet et dans l’évolution de la bande dessinée. Pour moi, il n’est pas inutile de les considérer comme des espaces de création nouveaux et de leur donner une valeur culturelle malgré leur (fausse) gratuité et leur apparence éphémère. Dans la grande masse de blogs bd médiocres se trouvent des dessinateurs tout à fait talentueux dont le travail mérite d’être mis en valeur. J’espère à la fois inciter les non-lecteurs de blogs bd à s’intéresser à cette facette originale de la création BD mais aussi pousser les lecteurs de blogs à réfléchir sur leur passe-temps préféré, sur son histoire et sur son statut.

Blogs cités dans cet article :

Martin Vidberg : http://vidberg.blog.lemonde.fr/

A suivre dans : Qu’est-ce qu’un blog bd ?

Published in: on 20 août 2009 at 15:02  Laissez un commentaire  

Ouverture

Bonjour et bienvenue sur Phylacterium !
Partant du constat qu’il y a beaucoup de choses à dire et à écrire sur la bande dessinée sous ses formes les plus variées – papier, pixels, etc. -, nous avons eu envie d’ajouter notre caillou à l’édifice formé par les sites, les blogs et les revues qui y sont consacrés. Nous ne sommes ni des critiques professionnels ni des exégètes, juste deux amateurs de bandes dessinées qui espèrent faire progresser un peu la réflexion sur ce médium en y apportant des regards originaux. De nombreux travaux existent déjà, et nous y puiserons autant que possible.
Nous parlerons des sorties récentes, des auteurs, des thèmes récurrents mais aussi de l’histoire de la bande dessinée et du mouvement des blogs bd. La bande dessinée est pour nous plus qu’un simple divertissement et nous estimons qu’elle peut faire l’objet d’une critique et d’une réflexion littéraire et artistique au même titre que le reste de la littérature et des beaux arts.
Vous pouvez contacter l’équipe à l’adresse phylacterium@hotmail.fr, ou individuellement : Mr Petch (mrpetch@orange.fr) et Antoine Torrens (antoine@torrens.fr).

Si tout cela vous inspire et que vous voulez nous proposer un article ou un projet d’article, n’hésitez pas : ce blog a envie de grandir et il n’aime pas la soupe.

Published in: on 19 août 2009 at 17:07  Comments (2)