Palmarès du festival d’Angoulême 2010

En direct du théâtre d’Angoulême, le falvarès de la 37e édition :

– Fauve d’or (meilleur album) : Pascal Brutal 3 – Plus fort que les plus forts (Riad Sattouf)
– Grand prix : Baru
– Prix du public : Paul à Québec (M. Rabagliati)

Autres prix : L’Esprit perdu (G. de Bonneval et M. Bonhomme), Rosalie Blum (Camille Jourdy), Dungeon Quest 1 (Joe Daly), Rébétiko (David Prudhomme), Jerome K. Jerome Bloche 21 – Déni de fuite (Dodier), Alpha…directions (Jens Harder)

Published in: on 31 janvier 2010 at 17:08  Laissez un commentaire  

Parcours de blogueur : Aseyn

Ce n’est pas le hasard qui me pousse à m’intéresser au blogueur Aseyn mais tout au contraire la parution de son (presque) premier album dans le label grand public Vraoum des éditions Warum, Abigail. Album intéressant à plus d’un titre, et d’abord par son contexte de publication puisqu’il s’agit du premier album généré par le concours Révélation blog que j’évoquais pas plus tard d’il y a quelques semaines (Révélation blog 2010), et dont on attend encore le nom du gagnant de cette année. En plus de revenir sur le parcours d’Aseyn, je m’attarderai donc sur Abigail, disponible en librairie depuis le 15 janvier, enfant de l’alliance des blogs bd et d’un éditeur attentif aux jeunes talents.

Graphisme blogosphèrique

Aseyn suit une formation d’illustrateur à l’Ecole Estienne à Paris, célèbre école parisienne formant à différents métiers des arts graphiques et de l’industrie du livre (pour l’anecdote, cette école a vu passer d’autres dessinateurs dont Siné et Cabu). Il devient donc officiellement graphiste free-lance et, comme de nombreux autres illustrateurs, profite des possibilités d’internet pour se faire connaître et développer son goût pour le dessin. En compagnie de quelques autres dessinateurs, blogueurs pour quelques un d’entre eux, (dont Singeon, Ak, Piano, Pipof…) il crée en 2004 sur la plateforme 20six qui a vu naître tant de blogs le Club Yaourt, blog collectif dessiné, proche en cela d’autres projets qui voient le jour en même temps comme le blog Damned (http://www.blogdamned.com/). Si Damned est toujours actif, le club yaourt cesse son activité et, en 2007, Aseyn ouvre son blog personnel (http://aseyn.canalblog.com/).
Aseyn se fait une place dans l’univers des blogs bd et leur sociabilité, se rapprochant d’autres dessinateurs comme ses anciens camarades du Club Yaourt (Singeon, Ak…) ou encore Goretta ou Clotka et Goupil Acnéique de Damned. Il est présent aux grands évènements de la vie bloguesque : il dédicace régulièrement au festiblog, participe aux 24h de la bande dessinée, publie chez Danger Public un « Miniblog », l’éphèmère collection interactive dirigée par la blogueuse Gally en 2006-2007, album intitulé Palavas cowboy.

Le blog que tient actuellement d’Aseyn est davantage un carnet de croquis ouvert aux internautes. Pas d’anecdotes de vie, mais un grand nombre d’essais variés et parfois éphémères et de croquis sur le vif, souvent surmontés de titres étranges voire absurdes. Mais le blog n’est qu’une petit partie de sa présence réelle sur internet puisque Aseyn tire parti à sa façon de cet outil dont il se sert comme d’un artbook permanent et gratuit lui servant à exposer au public non seulement ses travaux, y compris dans une phase qui se rapproche davantage de la recherche graphique que du dessin abouti ; des dessins qui donnent le sentiment vivant d’une oeuvre en train de se faire (une tendance qui me fait penser à certaines publications de Blutch, à mi-chemin entre le carnet de croquis personnel et l’album de bande dessinée). Dans cet esprit trouvera-t-on des thèmes récurrents, comme un grand nombre de portraits instantanés et de représentations de paysages urbains au cadrage photographique. Son site internet, http://aseyn.free.fr/ rassemble une sélection de ses travaux depuis 2002. Un très grand nombre de ses dessins peuvent se trouver sur la toile, quand on sait les chercher, dont certains sous un autre nom qu’Aseyn (je ne vous donne pas ici volontairement toutes les adresses !).
Une particularité de son travail, du moins tel qu’il m’est apparu sur internet, est dans un goût pour les expérimentations et la diversification des techniques graphiques. Une tendance qui, déjà, se lit très nettement sur le blog où il mêle dessin à l’encre et aquarelle ou gouache, noir et blanc et couleur, dessin narratif et études de perspectives, en passant par des photographies et des images animées… On comprend ici son travail de graphiste où tout est pretexte à produire et interpréter une image, à la retourner en variant les techniques et les angles d’attaque. La cohérence d’Aseyn, de son blog et de son site, se trouve dans cette impression d’une création perpétuelle d’images qui, en plus, sont esthétiquement réussies, ce qui n’enlève rien. Dans le maquis de sa maîtrise des techniques graphiques, de sa perception de l’image sous toutes ses formes, la BD n’est alors qu’une parcelle, une déclinaison possible mais à laquelle Aseyn n’a pas manqué de se consacrer.
Il faut donc, pour bien apprécier son travail, se partager entre internet, lieu d’expérimentation et de mise en relation avec d’autres dessinateurs, et des projets papier divers.

Révélation et publication

Dans le même temps qu’il s’étend sur la toile, Aseyn participe à plusieurs projets éditoriaux qui le font connaître. J’ai déjà parlé du « miniblog » en 2007 ; beaucoup de ses travaux sont en effet liées à la sociabilité née via la blogosphère. Il crée en 2006 avec les anciens du Club Yaourt un fanzine éphémère, Les Gençaves. Il participe également à plusieurs ouvrages collectifs avec des blogueurs et des non-blogueurs, comme par exemple Myxomatose, aux éditions Myxoxymore en 2006, Gaza chez La boîte à bulles en 2009 ou, plus récemment encore, le Tribute to Popeye des éditions Charrette où l’on retrouve d’autres noms de la blogosphère, entre autres Obion et Ak mais aussi d’autres dessinateurs qui réinterprètent l’univers du célèbre marin qui fêtait l’année dernière ses 80 ans. Ces mêmes éditions Charrette vont d’ailleurs publier en mars prochain un artbook d’Aseyn rassemblant certains de ses dessins des années 2003-2009.
Mais le projet qui m’intéresse encore davantage puisqu’il montre les passerelles que le monde de la création graphique sur internet n’a pas manqué de créer avec celui de la publication papier, c’est bien sûr l’album Abigail que je vais commenter dans quelques lignes. Aseyn est en effet le vainqueur du premier concours révélation blog, lancé en 2007 et remis lors du festival d’Angoulême 2008. Rappelons brièvement le principe de ce concours : il s’agissait pour des blogueurs n’ayant pas encore publiés d’album de concourir pour le « prix du blog » qui permettrait au lauréat de publier un projet chez l’éditeur Warum (maison d’édition co-fondée par le blogueur Wandrille qui vous est familière si vous lisez ce blog). Aseyn ayant remporté l’édition 2008, l’album en question sort, avec un peu de retard, en ce mois de janvier 2010. Pour information, la sortie de l’album du gagnant 2009, Lommsek, est prévue pour le mois de février et il s’intitulera La ligne zéro (dont je ne manquerai pas de vous en parler en temps voulu).

Abigail, une certaine vision des super héros
Venons-en donc à ce qui peut être considéré comme le premier album personnel d’Aseyn, Abigail, publié aux éditions Warum, dans leur label grand public Vraoum (dans la collection Heromytho où l’on trouve aussi Le mauvais oeil de Gad, pour ceux qui suivent attentivement le blog, puisque j’en parle dans cet article). L’histoire raconte une mésaventure d’un super héros atypique nommé Edward qui reçut son super pouvoir (voler dans les airs) à la suite d’un concours organisé par la société Superboy qui publie les aventures du super héros qui lui donne son nom. Or, au début de l’histoire, ce super héros positivement minuscule se fait larguer par sa copine Abigail qui part pour la Scandinavie. Les deux amoureux se retrouveront après une âpre lutte contre un adversaire d’Edward avide de vengeance. Ce personnage de petit super héros maladroit mais plein de bonne volonté, Aseyn l’avait déjà en partie développé sur son blog au cours du mois de janvier 2008 dans une autre aventure plus brève. Peut-être doit-on deviner qu’il ne s’agit donc que du premier volume d’une série d’aventures d’Edward, le héros super.
Ainsi suggéré, le scénario ne paraît pas forcément engageant, je l’avoue… C’est que Abigail n’est pas ce qu’il semble être, une simple parodie d’aventure superhéroïques. A bien y regarder, l’art d’Aseyn est plein de subtilité qui rendent son récit passionnant.
La tonalité parodique est évidente : l’histoire s’ancre pleinement dans le monde des super héros américains ; Edward habite à Baltimore, possède un super pouvoir somme toute assez classique, et connaît par coeur toute les aventures de son mentor Superboy. Aseyn pousse le réalisme jusqu’à mêler à son histoire de vraies-fausses planches du comics Superboy qui apparaît ici comme un mythe. Déjà, par cette insertion qui place le lecteur dans un univers cohérent, notre dessinateur enrichit son propos. L’humour proposé n’est pas seulement parodique et référentiel, il se teinte d’une étrangeté absurde qui participe à l’ambiance (voir les hommes de main du méchant, créatures indéfinissables, colosses blancs dont les dialogues très terre à terre sont savoureux). Surtout, l’humour n’empêche pas l’aventure de se dérouler, avec un grand A, et son lot de péripéties, de temps forts, de bagarres titanesques et de sauvetages in extremis.
C’est, au-delà du scénario, par des qualités graphiques qu’Aseyn perfectionne son histoire. Car pour moi, le décalage le plus grand ne vient de l’insertion de l’humour dans une aventure de super héros, mais de l’utilisation d’un graphisme à l’opposée de l’hyperréalisme aux couleurs chatoyantes et à la narration musclée qui est celui des comics américains (et les vraies-fausses planches de Superboy sont là pour montrer ce décalage). Ici, le trait rappelle davantage certains auteurs français : un trait libre qui ignore les contraintes de la case et n’a pas peur de mêler décor réaliste et personnage qui ne le sont pas. L’autre élément qui fixe l’ambiance est le travail sur la couleur qui, dans Abigail, m’a impressionné (Singeon, semble-t-il, a collaboré avec l’auteur pour la couleur). Aseyn privilégie les ocres et des couleurs peu tranchées, assez veloutées, hésitant sans cesse entre le jaune et le marron, le bleu et le vert, le blanc et le gris ; autant de teintes qui définissent l’ambiance de chaque case.
Enfin, pour qui connaît son blog, on retrouve des caractères propres au style polymorphe d’Aseyn comme l’obsession d’espaces urbains figés et réalistes qui sont ici complétés par des paysages plus exotiques, sur fond de neige. Le décor tient une place importante dans cet album, comme si les croquis d’après nature du web (bâtiments silencieux, grands espaces presque vides, tuyauterie industrielle mal identifiable) avaient trouvé leur destination en se peuplant des héros de l’aventure…

Bibliographie et webographie :
http://aseyn.canalblog.com/
http://aseyn.free.fr/
http://clubyaourt.20six.fr/ (désormais fermé)
Biographie d’Aseyn sur le site de Warum
Interview pour le concours révélation blog 2008
Les Gençaves, (fanzine : 2 numéros), 2006
Myxomatose, (collectif), Myxoxymore, 2006
Palavas com-boy, Danger public, septembre 2007
Gaza, La boîte à bulles, février 2009
Tribute to Popeye, (collectif), Charrette éditions, novembre 2009
Abigail, Warum, janvier 2010, dont on peut lire les 18 premières pages gratuitement sur digibidi
Aseyn, 2003-2009, Charrette éditions, mars 2010

Published in: on 29 janvier 2010 at 15:57  Laissez un commentaire  

Edmond-François Calvo, La bête est morte, G.P., 1944-1945

Parmi les « monuments » du patrimoine de la bande dessinée, si tant est que cette expression ait un sens, on situe souvent La bête est morte, un album dessiné par Calvo, humble dessinateur pour enfants des années 1930-1940 qui, sans cette oeuvre, aurait sans doute sombré dans le même relatif oubli dans lequel se trouve d’autres dessinateurs de sa génération (l’école française avant l’essor de l’école belge dans les années 1950, donc) comme Marijac, Jean Trubert, Auguste Liquois, Le Rallic et Roger Lecureux. Alors pourquoi La bête est morte ? Une simple évocation de son contexte de création et de publication pourrait suffire à comprendre l’enthousiasme qui a pu l’entourer : dessiné pendant les derniers mois de l’Occupation allemande, sorti juste au moment de la Libération de 1944-1945, il évoque justement, sous la forme allégorique d’une fable animalière, les années 1939-1945. Sa célébrité est donc intimement liée à un statut d’objet historique, de la même manière que Tintin au Congo est étudié en tant que représentation du colonialisme européen des années 1930.
55 ans après sa première publication, j’ai envie de me pencher à nouveau sur La bête est morte en le considérant à la fois comme objet historique et comme simple album, avec ses qualités et ses défauts.

Calvo dessinateur dans la seconde guerre mondiale


Avant tout, court présentation du dessinateur, Edmond-François Calvo. Né en 1892, il commence sa carrière de dessinateur après la première guerre mondiale d’abord comme caricaturiste (dans Le Rire et Le Canard Enchaîné) puis comme dessinateur pour enfants dans une éphémère revue illustrée créée par le Parti communiste, Les Petits Bonshommes. Il faut attendre la fin des années 1930 pour que, cessant tout autre activité, il se consacre pleinement au dessin, particulièrement au service des publications de la maison d’édition des Offenstadt, la Société Parisienne d’Edition, spécialisée dans les illustrés et albums populaires de divertissement. Ainsi participe-t-il à plusieurs illustrés comme Fillette, L’Epatant, Junior ; c’est le début de sa spécialisation dans un genre dont il sera l’un des maîtres incontestés : la bande dessinée animalière. Il publie en 1943 l’album Patamousse à la SPE qui raconte les aventures d’un jeune lapin parti explorer l’espace dans son astronef.
Les années 1940 et 1950 le voit approfondir dans la même veine, toujours pour les enfants, chez des éditeurs variés : Sépia, G.P., Gautier-Languereau. Il oscille entre les très nombreux illustrés pour enfants de la Libération ( Coeurs Vaillants, Tintin, Zorro), des illustrations de contes pour enfants, et des albums sans prépublications (Croquemulot en 1943). En d’autres termes, Calvo envahit de ses personnages animaliers (il réalisera aussi quelques séries plus réalistes) l’édition pour enfants de ces deux décennies. Il meurt en 1957 sans achever sa dernière série, Moustache et Trotinette, l’histoire d’une souris, d’un chat et d’un chien visitant diverses époques de l’histoire.

Vous l’aurez compris à la lecture de cette courte biographie : la guerre n’interrompt pas les activités de Calvo, alors au plus haut de sa carrière. Beaucoup de ses albums paraissent durant l’Occupation (qui, contrairement à ce qu’on pourrait penser, n’est pas une période creuse pour la production de bandes dessinées en France ; bien au contraire, les dessinateurs français profitent de l’interdiction d’importation de bandes américaines pour affirmer leur originalité). Mais durant les derniers mois de la guerre, il s’attarde surtout à dessiner l’album La bête est morte, dans la clandestinité, naturellement. L’album paraît en deux fascicules chez l’éditeur Générale Publicité, spécialisé dans l’édition pour enfants. Calvo n’est pas le seul dessinateur à se consacrer au « dessin clandestin » : Marijac, dessinateur et scénariste de Coeurs Vaillants entré dans la Résistance dessine cette même année 1944 Les Trois mousquetaires du maquis, une aventure de résistants ridiculisant l’occupant allemand, qui connaîtra une célébrité moindre que celle de La bête est morte, mais liée aux mêmes raisons.

Revenons à La bête est morte : Calvo n’en est que le dessinateur. Le scénariste principal n’est autre que l’éditeur de G.P., Victor Dancette (aidé pour le premier fascicule de Jacques Zimmermann), qui est aussi à l’occasion écrivain pour la jeunesse, peu prolifique, certes, et principalement auto-publié. Calvo lui reste fidèle après la Libération car beaucoup de ses albums seront publiés chez G.P.
Si je signale le nom du scénariste, c’est que la part de texte est important dans La bête est morte, ce qui est rarement souligné. Les pages se composent de quelques grandes illustrations soutenues par d’épais pavés de textes qui raconte, transposée dans le monde des animaux, la seconde guerre mondiale. Le principe est assez simple : chaque pays est représenté par une espèce animale : les Français sont des lapins, les Allemands des loups (un antagonisme assez classique du règne animal), les Anglais des bulldogs, les Italiens des hyènes, les Américains des bisons, etc. La satire animale est un procédé relativement classique, particulièrement courus des illustrateurs. Sans avoir besoin de remonter jusqu’aux fabliaux médiévaux et aux fables de Lafontaine, l’oeuvre du XIXe siècle la plus connue utilisant ce procédé est le Scènes de la vie privée et publique des animaux, recueil de nouvelles satiriques illustrées par le graveur Grandville (Hetzel, 1840-1842 ; grands succès, nombreuses rééditions). On y trouve la même idée de faire correspondre à une espèce un caractère ou type humain (le lion est un prince africain, le policier est un chien, etc.). Calvo est un habitué du genre animalier et ce récit allégorique ne lui pose donc aucun problème.

Destin d’un album mythifié : succès, réédition et collection


Suivons à présent le destin de cet album, destin qui explique en partie son succès jusqu’à notre époque. Calvo est très tôt considéré comme un maître dessinateur, pour La bête est morte, mais aussi pour ses autres séries. Son image de « Disney français » y est sans doute pour quelque chose : il offre un contrepoids aux Studios Disney dont le succès en France est croissant depuis les années 1920, dans le dessin animé comme dans la bande dessinée.
Puis, sans qu’il ne soit complètement oublié, Calvo profite du mouvement nostalgique d’intérêt pour la bande dessinée dite de « l’âge d’or » (en gros les années 1930-1950). Mouvement qui conduit, de la fin des années 1960 aux années 1970, à une redécouverte des « trésors cachés » de ce qu’on commence à appeler le « neuvième art ». L’ambition est de mettre en avant, par des études ou des rééditions, la cohérence d’un art qui, dit-on, s’est alors développé principalement dans les illustrés pour enfants. La maison d’édition Futuropolis, fondée en 1972 par Florence Cestac et Etienne Robial, se spécialise dès le départ dans la réédition de vieilles bandes dessinées américaines et françaises, et tout particulièrement des albums de Calvo (Futuropolis réédite alors des auteurs comme Herrimann, Segar, Saint-Ogan, Raymond Poïvet…). La bête est morte, tout comme Moustache et Trotinette, fait partie de ces rééditions et un volume réunissant les deux fascicules sort en 1977. Il sera réédité en 1984. Plus récemment, c’est Gallimard (qui, ne l’oublions, possède le catalogue de Futuropolis depuis 1994) qui réédite à nouveau, en grand format, l’album mythique, en 1995. C’est cette édition que l’on trouve habituellement dans nos librairies.

Magie de la réédition ? Force de la nostalgie ? Calvo a bénéficié d’un fort soutien des amateurs de bandes dessinées et aussi des collectionneurs. La bête est morte fait alors office d’album de choix. Selon le BDM, les éditions originales de la Libération atteignent les sommes de 150/180 euros, et ce d’autant plus que, suite à une plainte de Disney pour plagiat, les truffes des loups ont été retouchées, ce qui rend l’édition originale de 1944 (sans truffes retouchées !) encore plus rare. Le marché de la bande dessinée ancienne, de moins en moins contrôlable depuis les années 1970 a fait le reste, mythifiant encore davantage l’album, non plus tant pour sa valeur historique que pour sa valeur matérielle. L’édition de luxe sortie en 1946 réunissant les deux volumes en un atteint 600 euros à l’argus.

Un album de propagande : le poids d’un contexte
Depuis notre regard contemporain, plus de cinquante ans après la guerre, la lecture de La bête est morte laisse une étrange impression. Il a toutes les apparences d’un album de propagande pour enfants au service de la Résistance, célébrant la Libération et la lutte, forcément unanime, contre l’occupant allemand, forcément unique coupable du malheur qui s’est abattu sur le paisible pays des lapins. Deux éléments frappent particulièrement : la lourdeur simpliste de certains propos et la réécriture de l’histoire, caractéristique de la période post-Libération.
Le propos est tout à fait transparent. La transposition du monde des hommes au monde des bêtes est sciemment partielle : les bisons portent des casques l’armée américaine, les loups arborent la croix gammée. Au-delà de ça, la scénario est assez peu subtil, rangeant d’un côté les peuples « gentils », alliés des lapins, et de l’autre les peuples « méchants », alliés des loups. Un manichéisme certes assez courant dans une publication pour enfant, mais qui conduit les auteurs à des simplifications voire à de véritables falsifications historiques. Quelques exemples qui ne résistent pas à la lumière des connaissances acquises sur la période de l’Occupation. L’épisode de Vichy est complètement ignoré, ainsi que le maréchal Pétain et la collaboration. Les lapins-français étaient naturellement tous unis derrière la « grande cigogne nationale ». Pire encore, le ton n’est pas du tout apaisé, mais tout à fait revanchard et patriotique. J’en veux pour preuve cette citation qui présente les loups-allemands comme irrémédiablement mauvais ; remplacer « loups » par « allemands », la Barbarie étant le nom donné au pays des Loups : « Mes chers petits enfants, n’oubliez jamais ceci : ces Loups qui ont accompli ces horreurs étaient des Loups normaux, je veux dire des Loups comme les autres. (…) Ne croyez pas ceux qui vous diront que c’étaient des Loups d’une secte spéciale. C’est faux ! Croyez-moi, mes enfants, je vous le répèterai jusqu’à mon dernier soupir, il n’y a pas de bons et de mauvais Loups, il y a la Barbarie qui est un tout, et ne comporte qu’une seule race, celle des monstres, des bourreaux, des sadiques, des tueurs. »
S’adressant aux enfants, la narration très didactique assurée par un grand-père écureuil, se rapproche paradoxalement de la fable, ce qui amplifie le passage des évènements de la guerre de la réalité historique à la fiction.

La bête est morte
ne peut se lire qu’avec une bonne connaissance du contexte historique qui suit la Libération. Sinon, il paraît horriblement daté. Une telle oeuvre trouve tout à fait sa place dans une littérature de propagande à la fois patriotique et résistantialiste : la nécessité, en 1945, de réunir la nation française brisé par l’Occupation, autour d’un mythe, celui d’un peuple uni pour sa Libération a beaucoup pesé dans les actes et les écrits. Dans cette France de 1945, les notions de Bien et de Mal suffisent pour gérer le passage d’une société de guerre à une société en paix. Les « coupables » sont jugés lors de grands procès, l’Allemagne est écartelé entre l’Ouest et l’Est… Le mythe résistantialiste est une mémoire qui se construit après la guerre pour justifier la refondation du pays et légitimer le pouvoir qui s’installe alors, partagé entre gaullistes et communistes. Les traits principaux de ce phénomène, la mise à l’écart de l’importance de Vichy et la résistance comme mouvement nationale, se retrouvent exactement dans La bête est morte. Il faut attendre les années 1970 pour que l’idée que tous les Français n’étaient pas forcément unis fasse son chemin. En 1945, les Français avaient besoin de lire un ouvrage comme celui-ci, il est le produit d’un rapport complexe à la période de l’Occupation. Il est probable que l’engouement pour l’album soit lié à ce contexte historique, à la volonté de comprendre la période des années noires dont La bête est morte offre une vision flatteuse. La seconde guerre mondiale était et reste encore maintenant une période privilégiée pour la fiction en raison de la fascination qu’elle exerce dans les mémoires.

Ce qu’il reste : le style de Calvo

Alors pourquoi lire La bête est morte à notre époque ? Une raison semble pourtant s’imposer : l’album est un des plus réussis du dessinateur Calvo. Calvo est connu pour sa grande maîtrise du dessin. Il possède un sens du mouvement encore assez rare chez ses confrères qui donne un fort dynamisme à ses oeuvres ; Albert Uderzo est connu pour avoir été un de ses élèves et avoir transmis ce même sens du rythme. Il a perfectionné le dessin d’animaux humanisés en s’inspirant de Walt Disney dont les dessins animés triomphent en France dans les années 1920 et 1930. L’expressivité des personnages animalier rend le récit très vivant.
Les caractéristiques de l’art de Calvo se retrouvent dans La bête est morte et le thème grandiloquent leur donne une stature monumentale que d’autres oeuvres, tout aussi réussie mais aux thèmes plus anodins, ne contiennent pas forcément. Calvo peut donner libre cours à son goût pour les grandes compositions qui éclatent, bien avant les spectaculaires expériences des années 1970, l’organisation traditionnelle de la page. Dans ces vastes scènes d’ensemble, parfois monumentalisée dans des doubles pages (ici le plus souvent des scènes de bataille), il se concentre sur les détails où chaque attitude est individualisée et où de multiples scènes secondaires se cachent dans la page. Mais on trouve aussi chez lui un sens baroque de la composition en grappes humaines, avec des lignes de force très marquées qui orientent le regard. Je ne peux m’empêcher de voir dans ses scènes des rapprochements avec certains peintres de la Renaissance (je pense aux grands scènes de bataille de Paolo Ucello ou aux tableaux paysans de Bruegel, pleins de détails)… Calvo s’en-est-il inspiré ? La seule référence claire est la reprise qu’il offre de La liberté guidant le peuple de Delacroix (1830) pour symboliser la libération de Paris.
Dans d’autres planches, plus narratives, les cases sont complètement destructurées par une multiplication des inserts. Si cette autre manière d’aborder la page, non comme une grille de cases mais comme un ensemble, se lit déjà dans d’autres oeuvres comme dans Patamousse, La bête est morte multiplie le procédé.

Il reste donc de La bête est morte une mesure de ce dont Calvo a pu être capable dans un format qui, il faut bien l’avouer, se rapproche davantage de l’album illustré que de la bande dessinée. L’objectif était sûrement d’impressionner les jeunes lecteurs, de les émerveiller devant des compositions grandioses et de frapper leur imagination, tout en faisant passer un discours conventionnel et unanimiste sur la guerre qu’ils ont vécu.

Bibliographie :

Pour lire La bête est morte, le mieux est sans doute la dernière édition par Gallimard, datée de 1995, qui reprend les deux volumes en un grand volume 35×26 qui rend les grandes scènes de Calvo encore plus spectaculaires.
Le Collectionneur de bandes dessinées, n°60-61, 1989 (numéros spéciaux consacrés à Calvo)
Patrick Gaumer, Larousse de la BD, Larousse, 2004
Thierry Groensteen dir., Maîtres de la bande dessinée européenne, Bibliothèque nationale de France, 2001
BDM : argus bi-annuel des albums de bande dessinée
http://jeunesse.lille3.free.fr/article.php3?id_article=888

Published in: on 26 janvier 2010 at 11:14  Comments (11)  

Interview de Benoît Mouchart, directeur artistique du festival d’Angoulême

Benoît Mouchart est depuis 2003 le directeur artistique du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. Auteur de plusieurs livres sur le sujet, il publie ce mois-ci la nouvelle version revue et augmentée de sa synthèse intitulée La bande dessinée1. Pour connaître un peu mieux l’un des plus grands spécialistes de bande dessinée en France, une longue et passionnante interview…

Les origines

Antoine Torrens Bonjour Benoît Mouchart.

Benoît Mouchart Vous pouvez m’appeler Maurice Botthon si vous préférez.

Antoine Torrens Maurice Botthon ?

Benoît Mouchart Maurice Botthon. C’est mon anagramme. Enfin, c’était mon anagramme quand j’étais gamin. Je confectionnais de petits livres dans des cahiers et je signais Maurice Botthon.

Antoine Torrens Pourquoi ce pseudonyme ?

Benoît Mouchart Je ne sais pas, peut-être que ça faisait plus sérieux. Mais a posteriori ça signifiait surtout que je voulais déjà écrire des livres.

Antoine Torrens A quel âge était-ce ?

Benoît Mouchart Dès que j’ai su écrire, je me suis raconté des petites histoires que j’illustrais de dessins, mais ce n’était pas de la bande dessinée…

Antoine Torrens Justement, est-ce que vous avez déjà fait de la bande dessinée ?

Benoît Mouchart Est-ce que j’ai déjà fait de la bande dessinée… Oui, j’ai fait de la bande dessinée quand j’étais au lycée. Pour faire rire un ami, je dessinais des caricatures de notre prof d’histoire, que j’aimais bien par ailleurs et qui était une femme intéressante parce qu’elle avait des idées très radicales mais ses avis étaient si tranchés que c’en devenait prévisible et parfois un peu ridicule. Avec cet ami, nous avions donc fait d’elle une caricature assez chargée, en imaginant ses aventures autour du monde… Comme on ne connaissait pas son prénom, on l’avait baptisée Olga, un prénom russe parce qu’elle était communiste. Je précise que j’avais déjà des idées de gauche à cette époque, ce n’était donc pas du tout anticommuniste comme bande dessinée. Juste un peu moqueur sur le côté parfois dogmatique des vieux trotskistes.

Plus tard, j’ai écrit des scénarios pour des copains qui dessinaient beaucoup mieux que moi, mais ça ne s’est jamais concrétisé. Les dessinateurs avec qui je travaillais n’ont pas persévéré et peu à peu j’ai abandonné l’écriture de bande dessinée.

Benoît Mouchart caricaturé par Zep

Antoine Torrens Donc ce n’est jamais vous qui dessiniez ?

Benoît Mouchart Non, moi je fais juste des caricatures…

Antoine Torrens Vous en faites toujours ?

Benoît Mouchart Parfois. Je suis assez moqueur : c’est une façon comme une autre de dédramatiser les relations humaines… J’ai un assez bon sens de l’observation, je perçois bien les particularités ou les tics de langage de mes interlocuteurs et je peux assez facilement imiter les gens. Mais je n’imite pas les célébrités, seulement les personnes de mon entourage – comme dans ce fameux sketch où Desproges imite son beau-père. J’imite donc assez bien certains dessinateurs, certains éditeurs ou certains de mes proches.

Antoine Torrens Qu’est-ce que vous pensez de la caricature que Zep a faite de vous ?

Benoît Mouchart Il m’a flatté. Je ne suis pas aussi mince. Et mes cheveux sont plus courts, maintenant…

Antoine Torrens Oui, c’est vrai, vous êtes très maigre sur la caricature.

Benoît Mouchart J’étais plus jeune, elle date d’il y a cinq ans au moins. On change en cinq ans.

Antoine Torrens Alors qu’est-ce qui a changé en cinq ans ? Pour la bande dessinée, notamment.

Benoît Mouchart Aujourd’hui la bande dessinée bénéficie d’une reconnaissance institutionnelle plus importante qu’il y a cinq ans. En 2003, quand le Festival a produit au Musée de l’Homme une exposition consacrée à Edgar P. Jacobs (intitulée « Blake et Mortimer à Paris ! »), il n’y avait pas eu beaucoup d’expositions monographiques dédiées à un auteur de bande dessinée, en dehors de celles qui étaient consacrées à Hergé. Par la suite il y a eu Le Monde de Zep, De Superman au Chat du rabbin, Toy Comix, Reiser, Vraoum, Clamp… Bref, désormais la bande dessinée s’expose dans les musées sans que cela semble une incongruité. On pourrait donc croire à première vue que la bande dessinée fait partie des pratiques culturelles reconnues, mais à mon avis c’est un leurre. La bande dessinée reste une culture minoritaire.

En janvier 2003, je cosignais avec Vincent Bernière, Romain Brethes et Julien Bastide une petite tribune dans la rubrique « Rebonds » de Libération intitulée « La bande dessinée doit sortir du ghetto ». C’était un genre de manifeste pour dire qu’il fallait qu’on parle plus de bande dessinée dans les médias. Aujourd’hui, on relate beaucoup plus les parutions de bandes dessinées dans la presse – ce n’est pas grâce à cet article, évidemment, ce texte était juste une date dans le sens où nous prenions note du fait que la créativité de la bande dessinée n’était pas assez relayée dans les médias. Et pourtant elle n’est pas encore présente avec la régularité et l’exigence que l’on accorde à la musique, au cinéma ou à la littérature. Les recensions de bande dessinée sont quand même encore trop souvent expédiées en quelques lignes, sur un format timbre-poste et sur un mode un peu elliptique. Il faut savoir que la plupart des journalistes qui écrivent sur la bande dessinée ont encore beaucoup de mal à imposer cet art comme sujet d’article dans leurs rédactions. Beaucoup de critiques de BD sont de véritables militants qui se battent pour obtenir un peu d’espace, pour faire partager leur passion.

Antoine Torrens Vous voudriez que ce soit à l’égal de la musique et du cinéma ?

Benoît Mouchart Avec la même ambition critique.

Antoine Torrens Qu’entendez-vous par là ? Qu’on ne se permet pas d’en dire du mal et que c’est un signe qu’on n’est pas à l’aise avec elle ?

Benoît Mouchart On parle souvent de la bande dessinée à propos de ses chiffres : on dit qu’elle vend énormément, que c’est un phénomène incroyable, etc. En fait, certains livres de bande dessinée se vendent énormément, mais la bande dessinée dans son ensemble a une audience beaucoup moins grande que la musique, la littérature ou le cinéma – ou encore que les jeux vidéos, dont les chiffres de vente sont encore plus impressionnants que ceux de la bande dessinée. D’autre part, ce n’est pas parce que beaucoup de livres de bande dessinée se vendent que tout le monde en lit. Les études montrent que moins d’un million de lecteurs lisent plus de 20 bandes dessinées par an en France, alors que la plupart des Français voient plus de 20 films par an, à la télévision au moins.

Les choses ont donc changé en apparence : les ventes globales sont formidables, il y a des expos et des festivals partout, et pour autant il n’y a toujours pas de chaire universitaire consacrée à la BD. Est-ce que c’est grave? Je n’en sais rien : c’est un constat. Il y en a sur la publicité. D’autre part, j’estime que les problèmes qu’a rencontrés récemment le festival en disent long sur le manque de considération qu’ont certains officiels pour la bande dessinée.

Antoine Torrens Pourquoi ce peu d’intérêt ? Parce que c’est lié à l’enfance ?

Benoît Mouchart Cela reste rattaché à l’enfance, oui. Par ailleurs, on n’enseigne pas non plus en France une vraie culture de l’image, on ne nous apprend pas à regarder. La connaissance du monde passe pourtant aussi, et surtout à notre époque, par les yeux.

Antoine Torrens Est-ce que ce n’est pas justement la seule culture de l’image que nous ayons ? S’il y a bien un seul système iconographique complet, un ensemble de codes de l’image partagés par tout le monde, c’est justement celui de la bande dessinée, non ?

Benoît Mouchart Oui, mais il n’y a pas d’éducation au phénomène de l’image et à la culture du dessin, du graphisme et de la peinture. Je suis toujours un peu consterné lorsque j’entends des personnes dire – je l’ai déjà entendu – que Blutch dessine mal, ou que Corto Maltese est mal dessiné. C’est quand même assez bizarre d’entendre ça. Quelle éducation au regard y a-t-il en France pour en arriver à de telles conclusions ?

Antoine Torrens Et où pensez vous que cette éducation pourrait prendre place ?

Benoît Mouchart A l’école évidemment, dans les cours d’arts plastiques mais aussi de français ou d’histoire. En fait, je pense que la bande dessinée aide à mieux lire l’image. Je suis aussi cinéphile que je ne suis bédéphile, vraiment, et je suis certain que le fait de lire des bandes dessinées m’a appris à lire les plans d’un film différemment de quelqu’un qui n’a pas cette culture de l’image. Je ne dis pas que la bande dessinée est du cinéma sur papier, pas du tout. Mais quand je regarde un film ou un tableau, je suis attentif à la composition, aux différents plans, et je suis capable de lire l’image comme on lit un texte.

Antoine Torrens Et ça, ça vient de la bande dessinée ?

Benoît Mouchart Ca vient au moins en partie de ma pratique de la lecture de la bande dessinée. Il faudrait apprendre à déchiffrer les images, parce que l’image est aussi une vision d’artiste, une interprétation du monde. Certes, le dessin de BD est narratif: il est particulièrement dédié à la conduite d’un récit. Mais le lecteur doit quand même décoder ce qu’il suggère : pourquoi y a-t-il ceci à l’avant-plan, pourquoi y a-t-il ceci à l’arrière-plan ? Pourquoi un gros plan ? Toutes ces petites choses qui n’ont l’air de rien sont en fait très importantes…

Antoine Torrens Mais ça on ne le décode jamais ; il n’y a que vous qui le décodiez.

Benoît Mouchart Si ! Même si c’est inconscient, on le décode quand même. Autre chose : au lycée, j’avais beaucoup de copains qui n’aimaient pas les films en version originale parce que cela leur posait un problème de lire simultanément le texte et l’image. Moi, ça m’a toujours semblé naturel.

Antoine Torrens C’est quelque chose qu’on entend beaucoup en France alors que dans beaucoup d’autres pays, en Scandinavie notamment, ça ne pose de problème à personne.

Benoît Mouchart Eh bien je suis persuadé que si les personnes qui n’arrivent pas à regarder les films en VO lisaient de la bande dessinée, ils n’auraient pas de problème avec les sous-titres.

Antoine Torrens On pourrait relier ça au cas de l’Allemagne, qui est un pays où la VOST est très rare, où tous les films sont doublés, et où justement la plupart des gens ont beaucoup de réticences à l’égard de la bande dessinée. Il faudrait sans doute se poser de manière plus systématique la question des liens entre la culture de la VO et de la culture de la BD.

Benoît Mouchart C’est la question de la lecture simultanée d’un contenu visuel et d’un contenu textuel. C’est intéressant parce que Thierry Smolderen a publié récemment un livre passionnant2 consacré aux origines de la bande dessinée, où il montre que l’idée selon laquelle ce média serait né avec l’imprimerie industrielle et le développement de la presse n’est pas totalement satisfaisante. On dit souvent, moi le premier d’ailleurs, que la bande dessinée est apparue avec Töppfer vers 1833. Selon ce dogme, tout ce qui existait avant – les fresques funéraires, les chemins de croix, les vitraux, etc. -, ne serait qu’accidents de l’histoire. L’utilisation de la séquence s’est longtemps inscrit en effet dans la pratique d’autres formes d’art comme la peinture, la sculpture, etc. La bande dessinée n’avait pas d’autonomie formelle avant Töpffer, c’est vrai, mais il y avait tout de même Hogarth, un grand artiste qui a réalisé des gravures parfois très proches de la notion moderne de bande dessinée.

Les références

Antoine Torrens Qu’est-ce qui a changé d’autre dans la bande dessinée et dans votre rapport à la bande dessinée ces dernières années ?

Benoît Mouchart Le nombre de parutions étant beaucoup plus important, il y a forcément davantage de livres intéressants qui sortent chaque année. Ça peut donner l’illusion d’un progrès. Et pourtant je pense que la bande dessinée n’a pas encore tout donné et je suis encore en attente – c’est plutôt positif – d’un Grand Livre. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas lu de bons livres, de grands livres, mais j’attends encore LE Grand Livre.

Antoine Torrens Comme quoi par exemple ? Dans la littérature, le cinéma, les arts plastiques…

Benoît Mouchart Des choses un peu indépassables comme Don Quichotte, Madame Bovary, Citizen Kane… En bande dessinée on a Maus.

Antoine Torrens Un classique, donc ? Ou un chef d’oeuvre.

Benoît Mouchart On a aussi La ballade de la mer salée ou Tintin au Tibet.

Antoine Torrens Pourquoi au Tibet ?

Benoît Mouchart Ou Les Bijoux de la Castafiore si vous préférez. Ou L’Affaire Tournesol. Ou Le Secret de la Licorne. Mais pas tout Tintin : quand même pas Tintin au CongoLe Secret de la Licorne ou Les Sept boules de cristal, oui. Mais pas Tintin et les Picaros, pas Vol 714 pour Sydney. Tintin, finalement, ce n’est presque pas une série : c’est une suite de livres où apparaissent des personnages récurrents. Chaque aventure de Tintin est assez différente des autres dans le ton et la forme : le dessin d’Hergé n’a pas cessé d’évoluer – on ne s’en rend pas bien compte à cause des éditions en couleurs, qui sont pour beaucoup d’entre elles des remakes redessinés entre 1942 et 1966.

Antoine Torrens Donc vous êtes toujours en attente ?

Benoît Mouchart J’attends toujours le Grand Livre, oui. Il y a de nombreux grands livres de bande dessinée qui m’ont marqué. Le Petit cirque de Fred. Blackhole de Charles Burns. L’Enfer de Tatsumi. L’Autoroute du soleil de Baru. Jimmy Corrigan de Chris Ware. Les Phalanges de l’Ordre noir de Christin et Bilal. Phénix de Tezuka. Watchmen de Moore et Gibbons. C’était la guerre des tranchées de Tardi. L’Homme sans talent de Tsuge. Ice Heaven de Daniel Clowes. Ice Heaven est vraiment un grand livre pour moi, je regrette qu’il n’ait pas été primé à Angoulême. Peut-être est-ce un livre trop cérébral, trop littéraire, une oeuvre dont l’intertextualité très riche a malheurement pu échapper à beaucoup de lecteurs. C’est un livre qui fait référence à de nombreuses séries de bande dessinée (Peanuts ou Archie Comics, entre autres), mais aussi au cinéma et à la littérature. J’aime beaucoup Daniel Clowes, je regrette de ne pas l’avoir croisé plus longtemps pendant le dernier festival.

Antoine Torrens C’est une grande frustration ?

Benoît Mouchart Un peu. Avant que je ne travaille pour le festival, paradoxalement, je vivais différemment cet événement. L’an dernier, j’avais invité Chris Ware, Daniel Clowes et Adrian Tomine, qui sont des gens dont je suis complètement fan et je n’ai même pas pu les entendre commenter leur oeuvre aux rencontres internationales ! En même temps je suis fier d’avoir provoqués ces événements, mais bon…

Antoine Torrens Vous aimez beaucoup la bande dessinée américaine, non ?

Benoît Mouchart La bande dessinée indépendante américaine.

Antoine Torrens Pas les comics ?

Benoît Mouchart Si si, il y a des comics que j’aime beaucoup, quand ils sont écrits par de très bons scénaristes, comme Chris Claremont, comme Alan Moore, comme Neil Gaiman, Brian Michael Bendis, des gens comme ça. Ou dessinés par Scott Hampton, par Alex Ross, par Jeff Smith. J’adore Jeff Smith ; je ne le cite pas souvent mais Bone est une de mes séries préférées.

Antoine Torrens Il semble que la bande dessinée indépendante américaine soit vraiment un monde que vous connaissez très bien. Où avez-vous appris à le connaître ?

Benoît Mouchart J’ai fait de la radio pendant de nombreuses années en compagnie de Jean-Paul Jennequin et Martin-Pierre Baudry. Or Jean-Paul Jennequin est probablement le plus grand spécialiste de comics en France ; il a écrit une histoire de la bande dessinée américaine inachevée à ce jour dont le premier tome, paru chez Vertige Graphic, est assez passionnant3. Et j’aime aussi les mangas.

Antoine Torrens Quels mangas ?

Benoît Mouchart J’aime Tezuka, Mizuki, Tsuge, Hino, Tatsumi – que pour le coup j’ai eu la chance de rencontrer et d’interviewer longuement pour le festival -, j’aime certains livres de Taniguchi… Mais pas tout Taniguchi. Je trouve qu’on traduit trop Taniguchi et que cela lui nuit, mais j’aime certains grands livres de Taniguchi. J’aime Otomo et Urasawa, mais j’apprécie aussi Gôshô Aoyama, l’auteur de Detective Conan, ou Akira Toriyama, qui a créé Dragon Ball et Docteur Slump!

Antoine Torrens Toute la bande dessinée, donc ?

Benoît Mouchart Toute la bonne bande dessinée. Mais je suis aussi éclectique dans ma passion pour le cinéma. Je peux aimer un film de Cassavetes, mais aussi certains films de Spielberg. Pas tout Spielberg mais j’aime E.T., ou encore Duel, son premier grand succès…

Antoine Torrens Vous ne faites pas de séparation par genre ?

Benoît Mouchart Non, il y a des oeuvres que j’aime et voilà. Dans le polar c’est pareil. J’aime Raymond Chandler, James Ellroy et Jean-Patrick Manchette mais je n’aime pas… des tas de gens que je n’ai pas envie de citer. En science-fiction, j’aime Philip K. Dick… j’aime les écrivains, j’aime les artistes, les auteurs, les cinéastes. En chanson c’est pareil.

Antoine Torrens Donc par artiste plutôt que par oeuvre ?

Benoît Mouchart J’aime les oeuvres qui témoignent d’une vision d’artiste. D’une écriture, d’une sensibilité, d’une voix et d’un regard personnels.

Antoine Torrens Une question un peu bête : les premières bandes dessinées que vous ayez lues ?

Benoît Mouchart Picsou, Tintin et Tartine.

Antoine Torrens Pas Astérix ?

Benoît Mouchart Oui, un peu Astérix et Lucky Luke. Mais les premières choses qui me viennent à l’idée, c’est vraiment Picsou, Tintin et Tartine.

Antoine Torrens Et après ?

Benoît Mouchart Après, tout : le bon comme le mauvais.

Antoine Torrens Où lisiez-vous des bandes dessinées ? Vous les aviez chez vous ?

Benoît Mouchart A la bibliothèque municipale. Je n’avais pas beaucoup de bande dessinée chez moi. J’avais tout Tintin, quelques Astérix, des Lucky Luke. Et pourtant j’ai lu toute la bande dessinée franco-belge et je crois que je peux vraiment dire que je connais son histoire sur le bout des doigts. C’est aussi pour ça que quand on vient me chercher des noises au sujet de la BD populaire, je réponds : « même pas peur, même pas mal ». Je viens de là. En revanche, j’ai lu très tôt beaucoup de merdes et je trouve que c’est important de lire des merdes, y compris en littérature. Il faut voir des mauvais films, il faut même regarder Les feux de l’amour de temps en temps (une ou deux fois par an, pas plus).

Antoine Torrens Comme il faut aller dans certains musées où il y a des oeuvres mineures pour se rappeler qu’au Louvre la sélection a été particulièrement exigeante ?

Benoît Mouchart Oui, c’est vraiment ça. Je suis un consommateur de culture – j’emploie le mot exprès.

Antoine Torrens Qu’est-ce que vous entendez par là ?

Benoît Mouchart J’ai un grand besoin de fictions, de spectacles, d’expositions, de films… C’est très important pour moi, presque aussi important que ma vraie vie – qui est très importante aussi.

Antoine Torrens Qu’est-ce que vous lisez en ce moment par exemple ?

Benoît Mouchart En bande dessinée ? La sélection officielle d’Angoulême !

Antoine Torrens Oui, mais en dehors du travail ?

Benoît Mouchart Je vais souvent acheter des livres à la librairie Un regard moderne.

Antoine Torrens Un regard moderne ?

Benoît Mouchart Une librairie qui se trouve rue Gît-le-Coeur. C’est un lieu hallucinant qui ressemble un peu à la tanière de Gaston Lagaffe, un endroit extraordinaire. Vous pouvez demander au libraire n’importe quel titre, y compris et surtout le plus obscur, il vous le sortira sans hésiter de sous une pile plus haute que moi.

Antoine Torrens Et quelles sont vos dernières trouvailles ?

Benoît Mouchart En littérature, j’ai découvert récemment des auteurs japonais comme Murukami ou Mishima, que je ne connaissais pas. Leurs romans m’ont beaucoup impressionné. J’ai lu aussi Kateb Yacine, que je ne connaissais pas non plus. Grâce à Brigitte Fontaine.

Antoine Torrens « Sade et Kateb Yacine », comme dans la chanson Harem4 ?

Benoît Mouchart Oui. Brigitte me reproche souvent de ne pas avoir une culture arabe. Et c’est vrai, malheureusement. Pour me rattraper j’ai lu beaucoup de contes soufis cette année. J’ai lu aussi sous ses conseils Le Langage des oiseaux de Atar. Elle m’incite beaucoup à lire ce genre de choses, et je le fais ; parce que Brigitte Fontaine est un maître, évidemment. Un maître, un modèle, un horizon. Ça, c’est quelque chose qui a changé ma vie à titre personnel : avoir rencontré Brigitte Fontaine. C’est probablement la rencontre la plus importante de ma vie.

En littérature non-dessinée je crois pouvoir dire que j’ai une assez solide culture classique parce que j’ai étudié les Lettres modernes en Sorbonne : de Chrétien de Troyes à Nathalie Sarraute, en passant par Paul Claudel ou Marie de France, j’ai lu et étudié la plupart des grands classiques de la littérature française. Quand j’étais adolescent, j’ai beaucoup lu pour mon goût personnel des choses comme Dino Buzzatti, Edgar Poe, Alfred Jarry, et bien sûr Baudelaire, Verlaine, Rimbaud. Et puis aussi Stefan Zweig, que j’aime toujours beaucoup pour Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, La confusion des sentiments ainsi que pour ses biographies, notamment Marie-Antoinette ou La guérison par l’esprit.

Antoine Torrens Uniquement des choses très nobles, pas franchement populaires, si ?

Benoît Mouchart Mais si. Je pourrai citer William Irish, James Hadley Chase, Peter Cheyney, Elliot Chaze, Francis Carco, Stanislas Lem, Patricia Highsmith ou Frédéric Dard que j’ai lus grâce à François Rivière. Dans ma vie j’ai eu la chance de rencontrer des gens un peu plus âgés que moi qui m’ont initié à une culture populaire qui n’est pas celle de ma génération. François Rivière m’a fait lire énormément de littérature anglo-saxonne et de littérature de genre. Grâce à lui j’ai lu également Henry James, Tennessee Williams et William S. Burroughs que j’aurais pu citer tout à l’heure. Il m’a aussi fait lire des livres comme Le Jeune homme, la Mort et le temps de Richard Matheson ou Le Cerveau du Nabab de Curt Siodmak, que je n’aurais pas lu tout seul. Il m’a incité à lire Bradbury bien sûr, mais aussi J. G. Ballard, qui a écrit Crash ! et L’Empire du soleil. François Rivière, c’est une rencontre très importante parce que c’est un ami.

Antoine Torrens Comment l’avez-vous rencontré ?

Benoît Mouchart Je l’ai rencontré quand je faisais de la radio avec Jean-Paul [Jennequin] et Martin-Pierre [Baudry], au moment où j’étais encore étudiant à la Sorbonne.

Antoine Torrens A ce propos, quel était le sujet de votre maîtrise de lettres modernes?

Benoît Mouchart Jean-Patrick Manchette. Mon mémoire est plus ou moins le livre que j’ai publié plus tard chez Séguier-Archimbaud5.

Antoine Torrens Est-ce que vous avez une idée sur la raison pour laquelle il y a si peu de recherche universitaire sur la bande dessinée?

Benoît Mouchart Parce que beaucoup de professeurs sont frileux: la plupart d’entre eux sont perpétuellement en quête de respectabilité pour eux-mêmes. Dans leur esprit, il est moins noble de se pencher sur des sujets comme la bande dessinée. C’est moins gratifiant que de parler de Stendhal – que j’adore évidemment par ailleurs. J’ai eu la chance d’avoir eu comme directeur de maîtrise Jean-Yves Tadié, qui est le plus grand spécialiste de Proust en France. Il n’a rien à prouver depuis longtemps puisque c’est vraiment une sommité, et il s’est beaucoup intéressé au roman populaire. Lui aussi c’est quelqu’un qui a beaucoup compté dans mes lectures.

Un de mes souvenirs forts avec Tadié est lié à la bande dessinée. En plein milieu de mon année de maîtrise, j’ai publié un livre un recueil d’entretiens avec Michel Greg aux éditions Dargaud6. Je n’en avais pas parlé avec ce professeur, avec qui je parlais pourtant souvent de littérature de genre. On parlait un peu de Proust, pas trop, mais surtout de littérature d’aventure, de littérature policière. En janvier, quelques mois avant que je ne lui remette mon mémoire, je lui ai donné mon livre, à la fin d’un entretien que nous avions tous les deux, et là il m’a dit en me montrant du doigt le bouquin: « Vous savez, le fait que vous veniez de publier un livre est beaucoup plus important pour votre avenir que votre maîtrise ». Ça a été un vrai choc pour moi parce que c’était sans doute un peu le contraire de ce que pensaient mes parents, même si ils étaient fiers que j’aie publié un livre.

Greg est aussi une rencontre importante dans ma vie. Greg m’a fait lire des tas de trucs. Milton Caniff, bien sûr, mais aussi Simenon. Pour moi, Simenon est un grand romancier, et je me fiche qu’il ne le soit pas aux yeux de tout le monde. C’est également grâce à Greg que j’ai également lu Sacha Guitry. Il m’a par ailleurs fait découvrir une foule de films que je n’aurais pas été forcément voir moi-même parce que ce n’étaient pas des choses réputées nobles. Sans cette rencontre, j’aurais peut-être aimé principalement des films genre Nouvelle vague ou Cassavetes (qui reste un de mes cinéastes préférés). Greg m’a prêté des cassettes de cinéastes français des années 1930 et des classiques hollywoodiens qui passent rarement à la cinémathèque… Grâce à lui, j’ai vu des films dialogués par Henri Jeanson ou réalisés par Julien Duvivier, des films de John Sturges ou de Sam Peckinpah… De ce côté-là aussi j’ai l’impression d’avoir une certaine culture populaire, une culture qui n’est pas exclusivement celle de ma génération. Brigitte Fontaine m’a quant à elle fait découvrir Yvette Guilbert, que je n’aurais peut-être pas découvert par moi-même et qui est une chanteuse incroyable, ou encore Julie Driscoll, Oum Kalsoum et Donovan. Je suis assez curieux et je suis intéressé par la culture des autres. Connaître les autres, c’est aussi connaître leur culture et ça compte beaucoup pour moi dans l’amitié. J’aime partager mes lectures, j’aime aller voir des films avec des amis, j’aime écouter de la musique religieusement avec des amis, quasiment en fermant les yeux… Je peux écouter des disques comme je lis un livre ou comme je regarde un film, avec la même concentration.

Antoine Torrens Sans rien faire d’autre, donc.

Benoît Mouchart Oui, et en fermant les yeux. Quand je suis invité chez Brigitte et Areski ou quand ils viennent chez moi, on parle beaucoup de la vie, de la mort et de toutes sortes de choses passionnantes, parfois tristes mais le plus souvent très drôles, et on écoute aussi souvent de la musique. Parfois on s’arrête tout naturellent de parler, et on écoute juste de la musique en fermant les yeux. Areski est aussi une rencontre importante ; j’ai parlé de Brigitte tout à l’heure, mais Areski compte aussi, pour d’autres choses. J’ai cette chance d’avoir gagné l’amitié de gens que j’admirais énormément et qui m’ont accordé un rapport d’égalité totale ; Brigitte, je peux l’envoyer chier si elle m’énerve, et d’ailleurs c’est ce qu’elle me demande : ne pas être son sujet, être son égal. Dieu merci !

Benoît Mouchart posant avec le Fauve d'Angoulême

Le Festival d’Angoulême

Antoine Torrens Dans les diverses interviews que vous pouvez donner, notamment au moment du Festival, on vous dit régulièrement des choses comme « Alors, la bande dessinée explose ces dernières années, c’est formidable… » et vous avez toujours l’air agacé quand on donne l’impression que la BD est née il y a dix ans.

Benoît Mouchart C’est drôle, Blutch a donné une interview il y a quelques semaines dans Chronic’art où il a exprimé exactement ce que je pense, c’est-à-dire que quand on relit des histoires dessinées par George Herriman, Milton Caniff, Hergé, Will Eisner, Franquin ou Jijé, il semble évident que ces grands artistes avaient déjà compris que la bande dessinée était une expression importante. Donc oui, c’est un peu agaçant parce que c’est comme si on était face à un phénomène de mode. J’aime la nouvelle bande dessinée, je suis heureux que des gens comme Sfar, Larcenet, Blain, Blutch, ou Trondheim aient la place qu’ils occupent aujourd’hui dans le paysage parce qu’ils la méritent. Mais quand même, soyons raisonnable, ce ne sont pas eux qui ont inventé la bande dessinée.

Antoine Torrens A votre avis, pourquoi tant de personnes ont l’impression que la bande dessinée vient de naître ?

Benoît Mouchart C’est une histoire de génération, on a toujours l’impression d’inventer l’eau chaude. Je m’applique ce reproche à moi-même. Par exemple, on a dit que les concerts de dessins étaient quelque chose de nouveau. C’est nouveau bien sûr, mais c’estune chose qui existait sous d’autres formes auparavant.

Antoine Torrens Sous quelles autres formes par exemple ?

Benoît Mouchart Winsor McCay donnait des spectacles où il dessinait en direct.

Antoine Torrens Avec de la musique ?

Benoît Mouchart Sans musique. Mais on n’invente jamais rien ; ou bien alors on invente comme on invente un trésor, on fait seulement ressortir des profondeurs de l’oubli des choses plus anciennes, que l’on époussette selon l’air du temps.

Antoine Torrens C’est très platonicien de dire ça ; mais on invente quand même, non ? L’étrier, le moulin, ce sont des choses qui n’existaient pas et qui sont apparues à un certain moment, non ?

Benoît Mouchart Dans les concerts de dessin, ce qui est nouveau, c’est qu’il s’agit toujours d’une séquence d’images : c’est donc une vraie bande dessinée. Une bande dessinée qui n’est pas imprimée, une bande dessinée qui est vivante.

C’est en discutant avec Zep et Areski qu’on a découvert, qu’on a créé ce concept. C’est vraiment une idée développée à trois, à partir d’une envie que je partageais avec Zep. L’une des premières exposition sur lesquelles j’aie travaillé en tant que directeur artistique était consacrée aux auteurs de l’atelier Sanzot, qui était un colectif de dessinateurs installés à Angoulême. L’une des volontés que j’ai exprimé pour cette exposition, dont je n’étais pas le commissaire, c’était que les artistes soient présents au sein de l’installation et qu’on les voie travailler. Or l’une des choses qu’on avait envie de montrer avec Zep, c’était justement la naissance du dessin ; j’ai toujours été fasciné par le jaillissement d’un dessin, j’adore Le Mystère Picasso de Clouzot7 et je suis toujours fasciné par le tracé de la main, que je trouve beau et mystérieux : il y a un vrai suspense, une étrange chorégraphie de la main qui dessine.

On avait confusément envie de ça et on a tourné autour de plusieurs idées. On avait pensé à un truc classique, avec un conteur et des dessins. Assez vite, j’ai dit à Zep que comme on était un festival de bande dessinée il était primordial que ce soit véritablement de la bande dessinée, et donc qu’on propose une séquence d’images. Donc on a proposé de faire dessiner en direct une séquence d’images. Ensuite, nous avons eu l’idée qu’il y ait de la musique aussi : comme il n’y avait plus de conteur dans le projet, on s’est dit que les gens allaient s’ennuyer si c’était silencieux.

Antoine Torrens Pourtant c’est ce que vous faites dans les rencontres dessinées, non ?

Benoît Mouchart Oui, mais c’est différent. Il n’y a pas de séquences dans les rencontres dessinées. Et souvent, dans ces rencontres-là, “le silence est atroce”. Enfin, un soir, alors que je dînais chez Brigitte et Areski, je raconte le projet, et je dis à Areski que je voudrais bien lui commander une musique playback. Et là, il me répond: « Oui, bien sûr, mais tu sais ce serait tellement mieux si on jouait en direct ! ». Ça a été un vrai déclic. Ce n’était plus la même histoire. C’est vraiment ça qui a amplifié la chose.

Antoine Torrens Les concerts de dessin, pourquoi ça marche alors qu’au départ on pourrait trouver que le principe est un peu artificiel ?

Benoît Mouchart Pourquoi ça marche? Les mystères de la synesthésie… Je ne sais pas. Je crois que ça fonctionne parce que c’est un travail d’équipe ; il n’y a pas un ego en avant, il y en a plusieurs… Ce qui est sûr, c’est qu’Areski ne met pas son égo en avant dans ce spectacle, et ses musiciens non plus. C’est une rencontre entre plusieurs personnalités, une synthèse de deux arts, voire de trois arts puisqu’il y a aussi la question de la projection – qui relie tout ça au cinéma. Et puis c’est en direct. Les gens, la plupart du temps, sortent de là en pensant que c’est improvisé. Tant mieux s’ils le croient, mais en vérité ça ne l’est pas du tout : ni la musique, ni le dessin, ni l’histoire évidemment ne sont improvisés.

Antoine Torrens Et donc qu’est-ce qu’il faut pour que ça marche ?

Benoît Mouchart Beaucoup de travail. Pour les concerts de dessin en tout cas ; pour les concerts illustrés, les spectacles, etc., c’est autre chose. Là, ça ne marche pas toujours, parce qu’il y a parfois des affrontements d’égos en puissance.

Antoine Torrens Mais ces choses-là sont plus improvisées, non ?

Benoît Mouchart Pas forcément. Par exemple Joann Sfar avait préparé chaque dessin pour son concert avec Thomas Fersen, il avait conçu un suspense… Rabaté avait absolument tout calibré pour son spectacle avec Yolande Moreau. Charles [Berberian] et Philippe [Dupuy] avaient tout conçu à l’avance : c’était une vraie performance ! Alors que Blutch était parti en impro totale pour Brigitte ; et puis cette année il a prévu complètement autre chose. En 2010, par exemple, il n’y a pas de spectacle du même type que les concerts dessinés parce que je ne voulais pas que ça devienne un système.

Antoine Torrens Pourquoi, puisque ça marche ?

Benoît Mouchart Je veux que ça corresponde à une rencontre, à un désir de partager un projet entre un dessinateur et un artiste d’une autre discipline.

Antoine Torrens Et là il n’y en avait pas ?

Benoît Mouchart Il y a eu des projets qui n’ont pas pu aboutir pour différentes raisons, donc je n’ai pas forcé la chose. Et c’était bien de se recentrer cette année sur les dessinateurs : Bilal, Blutch, Schuiten et Peeters.

Antoine Torrens Au départ ce n’était pas recentré sur le dessin ?

Benoît Mouchart La vérité, c’est que je n’ai pas envie qu’on devienne le festival de la chanson dessinée. Pour être honnête, dans la chanson française, il y a très peu d’artistes qui m’intéressent. J’aurais envie de faire un concert avec des artistes comme Emilie Simon, Jean-Claude Vannier, Christophe, Matthieu Chedid.. Mais je n’ai pas envie d’en faire avec certains autres.

A l'ombre de la ligne claire

Antoine Torrens Qu’est-ce que vous pensez avoir apporté au Festival d’Angoulême ?

Benoît Mouchart Je vais dire quelque chose d’horriblement prétentieux : une vision.

Antoine Torrens Ca veut dire qu’avant vous il n’y avait pas de vision ?

Benoît Mouchart C’est juste qu’avant moi il n’y avait pas de directeur artistique. Donc la programmation était plus ou moins conçue par le Grand Prix.

Plus concrètement, j’espère avoir réussi à susciter des dialogues entre la bande dessinée et d’autres arts, des dialogues sans complexe. Ce choix ne signifie pas que « la BD ne se suffit pas à elle-même ». J’ai simplement tenté de lui apporter de nouveaux publics, de l’ouvrir aussi à quelque chose de moins incestueux, de moins recentré sur elle-même, pour que des gens, par curiosité pour tel chanteur ou tel comédien, assistent à un spectacle et découvrent à cette occasion un artiste de bande dessinée. C’est ce qui s’est passé : je pense qu’il y a beaucoup de spectateurs qui ont découvert Rabaté grâce au spectacle de Yolande Moreau, pendant le festival. Ou Blutch grâce à Brigitte Fontaine. Et vice versa.

Antoine Torrens Est-ce qu’avant vous, Benoît Mouchart, il y avait une aussi grande importance du côté international dans le Festival d’Angoulême ?

Benoît Mouchart L’esprit international, je ne peux vraiment pas le revendiquer parce qu’il était là dès la première édition.

Antoine Torrens Pratt ?

Benoît Mouchart Oui, et Harvey Kurtzman. Mais on a consolidé cette ouverture au monde, en la rendant plus institutionnelle. Par exemple l’exposition consacrée à la bande dessinée russe en 2010 bénéficie du label “Cultures France”.

Antoine Torrens Est-ce que je peux vous demander une sorte de prophétie ? Avez vous en tête des auteurs qui ne sont pas encore connus et qui à votre avis vont le devenir ?

Benoît Mouchart Je ne suis pas doué pour établir des listes, tout se bouscule dans ma tête et il n’y a rien qui vient. Il y a un auteur que j’aime assez et je ne comprends pas pourquoi il n’est pas mieux traduit en France : Kevin Huizenga (qui publie chez Vertige Graphic). Peut-être n’a-t-il pas encore réalisé son grand oeuvre, mais en tout cas il m’intéresse. Je pense aussi que Mathieu Bonhomme est énorme, c’est un très grand auteur réaliste, très expressif, vraiment un de mes auteurs préférés actuellement. Mais il est déjà un peu connu. Riad Sattouf, c’est quelqu’un qui va être énorme à l’avenir. Parmi les plus jeunes… Il y a des auteurs filles à suivre aussi comme Lisa Mandel, qui a encore tout un tas de choses à dire, qui vont venir. J’ai bien aimé HP , c’est dommage que ce livre ne soit pas dans la sélection. J’aime aussi le travail de Lucie Durbiano, entre autres. Chez les plus jeunes, il faut suivre Vincent Perriot. Et Bastien Vivès, évidemment !

Antoine Torrens Les blogs BD semblent très absents du Festival d’Angoulême. C’est une fausse impression ?

Benoît Mouchart Complètement fausse. On a même un prix dédié aux blogs.

Antoine Torrens Est-ce que vous suivez ça d’aussi près que les albums, l’édition papier ?

Benoît Mouchart Non, malheureusement je ne peux pas. Et je dois dire, sincèrement et avec toutes les précautions d’usage, que ce n’est pas parce qu’une bande dessinée est autobiographique qu’elle m’intéresse.

Antoine Torrens Les blogs BD sont trop autobiographiques pour vous ?

Benoît Mouchart Beaucoup de choses sont trop narcissiques pour moi. J’aime l’imagination, quand même. L’imagination au pouvoir.

Antoine Torrens De la fiction ?

Benoît Mouchart Non, j’aime aussi des gens qui racontent leur vie. En chanson j’aime Barbara, j’aime Brel. J’aime aussi Proust. Ou Céline.

Antoine Torrens Donc ne pas faire d’autobiographique pour l’autobiographique?

Benoît Mouchart Fabrice Neaud, pour moi, c’est de l’autobiographie mais c’est vraiment autre chose, je ne sais pas. C’est politique. C’est une des oeuvres les plus importantes de la bande dessinée contemporaine, Fabrice Neaud. Il invente aussi des choses visuellement, il fabrique des métaphores visuelles. Il va commencer une nouvelle série dont j’ai vu les premières pages et j’ai été scié. Je lui souhaite d’avoir du succès, il le mérite, c’est un grand auteur. Mais ce n’est plus un petit jeune. Blutch aussi c’est énorme et il n’a pas encore le succès qu’il mérite, en termes de ventes.

Antoine Torrens On dit beaucoup ces derniers temps que la BD a un pris la grosse tête, que l’espèce d’innocence humble qu’il y avait il y a cinq ou dix ans a un peu disparu, que les auteurs deviennent des stars… Est-ce que c’est vrai ou pas ?

Benoît Mouchart Oui c’est vrai. Il y a dix ans c’était un monde beaucoup moins exposé, notamment médiatiquement. Il y a désormais de très fortes personnalités. Et des rivalités parfois violentes.

En fait, le cliché de l’auteur de bandes dessinées sympa et rigolo est complètement ridicule. Il y a des auteurs de bande dessinée très attachants et d’autres qui sont très pénibles. J’ai rencontré beaucoup de musiciens, et pas des moindres – j’ai parlé des soirées entières avec Bashung, Christophe, Jean-Claude Vannier, Lee Ranaldo, Jane Birkin, et bien sûr Brigitte Fontaine, et ce sont des gens hyper symples, hyper gentils, hyper modestes, qui vous posent des questions sur vous, s’intéressent à ce que vous leur dites, etc. Il y a beaucoup d’auteurs de bande dessinée qui ont du mal à s’intéresser à autre chose qu’à eux-mêmes. Mon ami José-Louis Bocquet dit parfois trivialement que la littérature est un truc de dragueurs alors que la bande dessinée reste une discipline de branleur. Il a sans doute raison… Peu d’auteurs de bande dessinée se vantent de séduire les filles (ou les mecs) grâce à leurs livres…

Antoine Torrens D’ailleurs beaucoup d’auteurs de BD se plaignent de cette carence…

Benoît Mouchart Je ne sais pas dans quelle mesure c’est vrai. Mais, pendant longtemps, les auteurs de BD n’étaient pas médiatiques parce qu’ils n’étaient pas bons en public, c’étaient des ours qu’on faisait sortir de leur atelier en leur disant « Allez, parle ! ». Aujourd’hui, il y a beaucoup d’auteurs pas très à l’aise à l’oral qui en veulent beaucoup à Bilal, Satrapi ou Sfar parce que ces artistes-là savent aussi se vendre médiatiquement. Ça suscite des jalousies…

Antoine Torrens Alors que c’est aussi grâce à eux que la bande dessinée a conquis la place qui est la sienne aujourd’hui, non ?

Benoît Mouchart Bien sûr, c’est en grande partie grâce à eux. Mais je prétends que c’est aussi grâce au Festival d’Angoulême. Le statut de la bande dessinée en France doit beaucoup, je le pense vraiment, au Festival. Il n’y a pas d’équivalent dans le monde d’un événement dédié à la bande dessinée qui soit à ce point un maronnier médiatique, c’est-à-dire quelque chose qui revient tous les ans et dont les journalistes sont obligés de parler. Ça n’existe pas ailleurs dans le monde, et même le Comicon de San Diego aux Etats Unis est incomparable. En France, Angoulême oblige chaque année les journalistes à parler de bande dessinée au moins pendant cette période-là ; et à en parler un peu intelligemment. Donc à mon avis ça a beaucoup aidé à la reconnaissance de cet art qu’on dit neuvième…

De toute façon le principe des expositions, des spectacles, des rencontres, c’est à Angoulême que ça s’est développé. Ce n’est pas à Angoulême que ce mouvement est né, mais c’est à Angoulême qu’il s’est consolidé, développé et enrichi.

Antoine Torrens Encore une prophétie : à votre avis, comment va évoluer la bande dessinée dans les prochaines années ?

Benoît Mouchart Euh… la décroissance ?

Antoine Torrens La décroissance… vous voulez dire moins de quantité et plus de qualité ?

Benoît Mouchart C’est utopique de dire ça, donc pas très réaliste, mais c’est ce que je souhaiterais idéalement. Je ne suis pas un prophète et je ne lis pas dans le marc de café. Mais je ne suis pas si sûr que les choses soient gagnées et que la bande dessinée soit assise pour toujours dans sa légitimité culturelle. Il y a encore beaucoup de boulot.

Antoine Torrens Vous avez moins de 35 ans, vous avez écrit un certain nombre de livres, monté des expositions, organisé des événements, récemment vous avez tourné un documentaire. Qu’est-ce qui vous reste pour toutes les années à venir ?

Benoît Mouchart Plus de documentaires : j’ai vraiment beaucoup aimé cette expérience. Je me suis rendu compte que j’adore la réalisation et le montage ; j’ai adoré travailler avec Thomas Bartel et Sophie Creusot sur le film Brigitte Fontaine n’est pas folle !. Et puis ça m’a permis de renouer avec ce que je sais sans doute faire le mieux : parler avec les gens et leur permettre de dire ce qu’ils ont à dire. Si j’ai une qualité, c’est peut-être celle d’aider les gens à s’exprimer artistiquement. Avec Brigitte Fontaine aussi, d’ailleurs. Je la motive parfois à écrire des textes, et je l’aide à choisir des chansons pour ses concerts.

Antoine Torrens C’est très important pour vous de participer à la naissance des oeuvres ?

Benoît Mouchart Disons que si on le peut, cela peut être stimulant d’apporter modestement un peu de combustible à un artiste qu’on aime. Par exemple, pour les chansons “Soufi” ou “Harem”, je me suis juste contenté de dire un soir à Brigitte : « Pourquoi tu n’écrirais pas sur les soufis et sur les harems ? ”. Le lendemain, elle me téléphonait pour me lire les deux textes au téléphone. Dans mon travail pour le Festival, j’ai également ce rôle d’accoucheur.

Antoine Torrens Être un aiguillon en somme ?

Benoît Mouchart Oui, ça, je sais le faire, et je sais aussi le faire avec des dessinateurs.

Antoine Torrens Je vous ai demandé tout à l’heure ce que vous aviez apporté au Festival. Dans l’autre sens, qu’est-ce que le Festival vous a apporté ?

Benoît Mouchart Beaucoup de rencontres, et aussi beaucoup de voyages. Grâce au Festival, je suis allé en Chine, en Finlande, en Grèce, au Portugal, aux Etats-Unis… Cela restera pour moi une vraie ouverture au monde. J’ai été reçu dans tous ces pays avec beaucoup de gentillesse par mes homologues étrangers. Les voyages professionnels sont toujours très intéressant : on rencontre des gens, on travaille avec eux, c’est passionnant, vraiment. La plupart du temps, je précise que ce n’était pas le Festival d’Angoulême qui me payait ces voyages : j’étais très officiellement invité par des organisateurs de colloques ou de festivals parce que j’étais le directeur artistique d’Angoulême.

Le Festival m’a apporté ça ; ça et malheureusement aussi beaucoup d’angoisse.

Antoine Torrens Plus que dans ce que vous faisiez avant ?

Benoît Mouchart Oui. Et en même temps ça m’a donné ce que Greg appelait un “cuir de rhinocéros” ; j’ai le cuir un peu plus tanné aujourd’hui. Il y a 7 ans, quand j’ai commencé à travailler pour le Festival, j’étais beaucoup plus sensible et sans doute trop attentif à ce qu’on pensait de moi. Maintenant, je ne dirais pas que je m’en fiche, mais je sais qui je suis. Je ne suis plus vraiment intéressé par le jugement des autres : c’est leur problème, pas le mien ! Ce genre de détachement, qui est assez nouveau pour moi, me vient un peu de mes conversations à bâtons rompus avec Areski Belkacem, qui est un sage à sa façon.

Antoine Torrens L’article que Charente Libre vous a consacré mentionnait l’éventualité que vous travailliez un jour dans l’édition et cela paraîtrait assez logique. Est-ce que c’est une perspective pour vous ou bien est-ce que c’est quelque chose qui ne vous intéresse pas ?

Benoît Mouchart On me l’a proposé, plusieurs fois. Ça pourrait m’intéresser, mais pas tout de suite. Être directeur littéraire, ça me permettrait aussi d’être un aiguillon. Mais pour l’instant je suis toujours attaché au FIBD.

Antoine Torrens Qu’est-ce que vous diriez à votre successeur, ou à vous même pour les années à venir ? De bonnes résolutions ou de bons conseils, selon le point de vue.

Benoît Mouchart Le seul conseil que je donnerais, ce serait de se désensibiliser, de prendre tout ça comme un job – ce que je n’ai jamais réussi à faire.

Antoine Torrens Un job ce n’est pas pareil qu’un travail ?

Benoît Mouchart Ce n’est pas pareil qu’une passion.

Antoine Torrens Qu’est-ce que vous feriez différemment si c’était à refaire ? Vous ne le referiez pas ?

Benoît Mouchart Si, je le referais. Mais, dans les rapports humains, je mettrais plus de distance ; au début je n’ai pas mis assez de distance dans mes relations professionnelles. Mais à part ça, je referais à peu près la même chose… En essayant d’être meilleur, évidemment ! J’aime beaucoup le film Un jour sans fin, où Bill Murray revit éternellement la même journée et finit par devenir meilleur pour séduire Andie MacDowell, mais je n’aimerais pas vivre ce genre de situation ! Le bouddhisme ne m’attire pas du tout ! Comme dit Brigitte Fontaine: “Il était une fois mais pas deux”…

(suite…)

Published in: on 21 janvier 2010 at 23:01  Comments (2)  

La naissance de la bande dessinée : panorama historiographique

Un article un peu plus technique aujourd’hui puisqu’il sera question de mon champ favori d’investigation : l’histoire de la bande dessinée. Lors d’une récente discussion avec Antoine Torrens, à l’occasion de son article philologico-iconographique (), je me suis rendu compte que la plupart des amateurs de bande dessinée ont une connaissance très imprécise, voire fausse, de la question de la naissance de la bande dessinée, et plus encore de la manière dont cette question a été traitée par les différents théoriciens du medium depuis maintenant un demi-siècle. Comme est sorti récemment un ouvrage de Thierry Smolderen, Naissances de la bande dessinée, aux Impressions nouvelles, et que, un peu moins récemment a été réédité et augmenté l’histoire de la bande dessinée de Thierry Groensteen (sous le titre La bande dessinée, son histoire et ses maîtres, et conçu comme une présentation du catalogue du Musée de la bande dessinée), l’occasion était idéale pour faire un point sur ce sujet et participer, je l’espère, à casser quelques clichés et idées fausses. Mon but n’est pas d’imposer ma vision des choses sur le sujet, mais plutôt de vous présenter les diverses conclusions auxquels sont arrivés les théoriciens, et tout particulièrement la manière dont le sujet est traité actuellement. Je n’entre donc pas dans les détails ; vous trouverez à la fin une courte bibliographie à consulter pour approfondir le sujet.

Théorie 1 : de trop lointaines origines
Les premières théories sur les origines de la bande dessinée apparaissent dans les années 1960, au moment où commence l’étude systématique du médium par quelques amateurs érudits (les deux grandes revues pionnières d’étude de la bande dessinée sont alors Giff-Wiff et Phénix). Nous sommes alors dans une période où le mot d’ordre est « reconnaissance » : l’objectif des amateurs de bande dessinée est d’assurer la reconnaissance de la bande dessinée comme art, de l’extraire de son statut de littérature au rabais pour les enfants. L’un des choix opérés consiste donc à rapprocher la bande dessinée des Beaux-Arts, et notamment en lui prêtant une ascendance prestigieuse. L’ouvrage d’un universitaire, Gérard Blanchard, va fournir matière à une première pseudo-théorie des origines. Cet essai paru en 1969 s’intitule Histoire des histoires en images de la préhistoire à nos jours, et son auteur spécialiste de la communication graphique et qui sera par la suite diplomé de la Sorbonne, apporte une caution universitaire à l’étude de la bande dessinée. Sa thèse est la suivante : la bande dessinée, comme outil de communication par l’image, entretient une parenté avec de célèbres oeuvres du patrimoine mondial. Sont ainsi interprétés comme des ancêtres de la bande dessinée les peintures rupestres, les hieroglyphes égyptiens, les enluminures et tapisseries médiévales, les gravures satiriques du XIXe siècle, etc… Dans chacun de ces exemples, le processus de communication passe avant tout par l’image plutôt que par le texte, tout comme dans la bande dessinée.
Blanchard a en partie raison et son essai constitue un premier balbutiement de ce qui deviendra bien plus tard, dans les années 1990, une histoire de l’image. D’un point de vue purement historique, il opère un saut un peu trop hâtif qui sera malheureusement repris, et continue d’être repris, lorsqu’il est question d’histoire de la bande dessinée. S’il y a bien identité d’un langage (l’image), deux problèmes se posent : d’une part les fonctions de ces différentes formes varient (écriture, récit politique, simple illustration, divertissement…) ; d’autre part, il est difficile d’établir des liens historiques directs et réels qui permettraient de dire qu’un savoir-faire s’est transmis de siècles en siècles sans discontinuer. Si elle offre l’avantage d’ouvrir la question des origines, cette théorie, basée sur une similarité des formes, comporte des faiblesses certaines.

Théorie 2 : le mythe d’une naissance américaine<

Sans doute fallait-il donc revenir à des origines plus modestes et plus proches, moins liées à un besoin de légitimation du médium. Une théorie apparaît et se solidifie, celle de la naissance américaine avec comme « première véritable bande dessinée » The Yellow Kid de Richard Outcault, qui commence à paraître en janvier 1895 dans le périodique américain New York World. Cette théorie comporte un présupposé dans la définition qu’elle se donne de la bande dessinée : elle fait du phylactère, de la bulle, la caractéristique identifiante de la bande dessinée. Dès lors, puisque c’est dans The Yellow Kid que l’usage de la bulle se développe, il s’agit bien de la première bande dessinée qui s’extirpe de la forme traditionnelle (et forcément, selon cette même théorie, européenne), des dessins avec texte sous-jacent et allie le texte et l’image. En suivant cette même logique, la bande dessinée apparaît en France durant l’entre-deux-guerres, par l’intermédiaire d’Alain Saint-Ogan (premier dessinateur français à utiliser régulièrement la bulle dans Zig et Puce) et par l’afflux massif des comics américains à partir de 1930 dans la presse française. Le procédé de la bulle s’impose définitivement dans les années 1940-1950 comme la modalité incontournable de ce qui prend alors le nom de bande dessinée. Aux comics de l’entre-deux-guerres viennent s’ajouter des séries belges (Tintin, Spirou, Blake et Mortimer…) ou françaises (Les Pionniers de l’espérance de Raymond Poïvet est un bon exemple d’adaptation à la française des comics américains) qui valident les solutions américaines. On oppose nettement un Vieux Continent archaïsant, encore attaché à la forme primitive du texte sous-jacent, et un Nouveau Monde porteur de modernité.
Le mythe de la naissance américaine est diffusée en France par les premiers ouvrages de synthèse en histoire de la bande dessinée et autres recueils de références qui apparaissent dans les années 1970-1980. Leurs auteurs sont Claude Moliterni, Pierre Couperie et Henri Filippini, pionniers des recherches en histoire de la bande dessinée, le premier étant parmi les fondateurs du Festival d’Angoulême.
L’autre caractéristique de cette théorie, ce qui est selon moi sa plus grande faiblesse, c’est d’appliquer la notion scientifique et technique « d’invention » à un art. Si ce procédé fonctionne bien dans le cas du cinéma, par exemple (« l’invention » du cinéma est avant tout l’arrivée d’une innovation technique), il est plus difficile à manipuler dans le cas de la bande dessinée, ne reposant pas sur des critères objectifs (invention d’une machine, dépôt d’un brevet) mais sur une observation subjective.

Théorie 3 : archéologie européenne de la bande dessiné

La volonté de revenir sur les origines de la bande dessinée donne naissance, à partir des années 1990, à une nouvelle historiographie tournée vers une nouvelle figure tutélaire, le suisse Rodolphe Töpffer, historiographie qui domine actuellement. L’évolution tient à deux facteurs :
– un changement de définition de la bande dessinée : le critère unique n’est plus le phylactère, mais plutôt la séquentialité des images et l’association du texte et de l’image.
– une très nette, voire violente, volonté de rupture avec l’historiographie dominante, vue comme le travail, certes très honorable mais trop subjectif, d’amateurs trompés par leur goût exclusif pour la BD américaine des années 1930, ignorant en cela des évolutions du XIXe. L’année 1995 est l’occasion pour les partisans et les opposants à la théorie de la naissance américaine de s’affronter sur le thème : « anniversaire de la BD ou non ».
La redécouverte de l’oeuvre du graveur suisse Rodolphe Töpffer est un tournant historiographique, une sorte de « chaînon manquant » de la bande dessinée. Töpffer aide considérablement les spécialistes de la bande dessinée puisque, dans son ouvrage Essai de physiognomie paru en 1845, il théorise et explicite son idée, une littérature associant le texte et l’image en une suite de séquences, il se présente comme l’inventeur d’un genre nouveau. Ses deux premiers ouvrages comiques, L’histoire de M. Crépin (1833) et L’histoire de M. Jabot (1837) font dès lors figure d’ancêtres de la bande dessinée pour les tenants de la théorie des origines européennes.
Parmi ces chercheurs, David Kunzle aux Etats-Unis et Thierry Groensteen en France font figure de pionniers et dans leurs nombreux écrits, imposent la théorie töpfferienne. Le premier, revenant en partie sur les théories généalogiques de Blanchard, tente de faire une archéologie de la bande dessinée depuis le Xve siècle. Le second essaye de suivre la descendance de Töpffer en France. Tous deux ont tenté de combler le fossé qui sépare Töpffer du Yellow Kid en identifiant les descendants directs du suisse, autrement dit les dessinateurs qui ont été influencé par cette « littérature en estampes ». Je ne reprends pas ici dans le détail le long cheminent du XIXe siècle et les différentes générations et écoles de dessinateurs qui s’emparent de « l’invention » de Töpffer. Les histoires en images se répandent en particulier par le biais de la presse satirique dans la deuxième moitié du Xixe siècle, s’identifiant aux dessins d’humour (citons Fliegende Blätter en Allemagne et Le Rire en France). Dès lors, The Yellow Kid trouve sa place dans cette généalogie, dont il n’est qu’un maillon et non l’origine.
Plus récemment, dans son ouvrage Naissances de la bande dessinée, Thierry Smolderen se rattache à cette dernière théorie, tout en s’imposant une forte exigence historique et en évitant le piège de la réduction de la bande dessinée à une définition unique. Il tente donc de retracer le chemin qui conduit à la bande dessinée en partant, pour sa part, des romans illustrés anglais du XVIIIe siècle, et particulièrement ceux du graveur Hogarth. Pour lui, l’association de l’image (non-illustrative) et du texte dans un roman est à voir comme une expérimentation baroque des formes romanesques, comme un jeu « polygraphique » proche . Ce n’est qu’à partir de Töpffer que les « romans en estampes », s’inspirant de Hogarth, prennent progressivement une valeur pour eux-mêmes, et non comme jeu littéraire.
La question restant en suspens et celle du statut à donner à ses romans en estampes et histoires en images du Xixe siècle : peut-on les qualifier de « bande dessinée », au risque d’un anachronisme. Les historiens de la bande dessinée s’accordent désormais sur le fil généalogique qui conduit, de générations de dessinateurs en générations de dessinateurs, de Töpffer à la bande dessinée du XXe siècle ; les liens historiques, les influences réciproques, la transmission des savoir-faire en ont été en grande partie établis, même s’il reste encore à les raffiner. Mais cette histoire revisitée de la bande dessinée se mélange durablement à une plus large histoire de l’image aux XIXe et XXe siècles, et demeurent la question (impossible à résoudre et qu’il vaut mieux oublier ?) d’une définition de la bande dessinée… Mais ceci est un autre débat.

En conclusion, je remarquerai surtout que les générations d’historiens sont influencées par l’évolution propre du médium bande dessinée à leur époque. Les historiens amateurs des années 1960-1980 ont vécu le triomphe d’un modèle de narration graphique (usage de la bulle, genres populaires de l’humour et de l’aventure, importance de la presse) et il est donc naturel qu’ils aient recherché une ascendance américaine réunissant les caractéristiques qu’ils lisaient en leur époque. Au contraire, à partir des années 1990, les formes de la bande dessinée, jusque là relativement figées, éclatent : graphic novel, diversification des formats, victoire de l’album sur la prépublication dans la presse, expérimentations narratives, éclosion de genres inédits, bd numérique… Th. Smolderen considère que c’est cette évolution des années 1990-2000 qui, en brisant la définition traditionnelle de bande dessinée, a ouvert la voie à une nouvelle génération d’historiens cherchant à aller au-delà du Yellow Kid et à chercher une bande dessinée éloignée du modèle dominant le XXe siècle. Je lui laisse le mot de la fin et vous invite à consulter son ouvrage paru à l’automne dernier : « Si les contours de la bande dessinée n’étaient pas devenus si flous au cours des vingt dernières années, si les oeuvres les plus intéressantes ne s’étaient pas mis à proliférer aux frontières du genre, l’approche que nous avons adoptée dans [Naissances de la bande dessinée] aurait sans doute été inimaginable. Mais dans le paysage subitement diversifiée de la bande dessinée actuelle, où les « niches écologiques » se multiplient au contact d’autres domaines (la littérature, les arts plastiques, Internet…), nous sommes plus que jamais en état d’apprécier pour leur propre mérite les expériences graphiques précédemment « inclassables ». Le modèle de Tintin a cessé d’imposer son point de fuite unique au regard porté sur l’histoire du médium. »

Bibliographie et webographie indicative :
Gérard Blanchard, Histoire des histoires en images, Marabout, 1969
Pierre Couperie et Claude Moliterni, Histoire mondiale de la bande dessinée, Horay, 1980
David Kunzle, History of the comic strip, University of California, 1973-1990
Thierry Groensteen, La bande dessinée, objet culturel non-identifié, éditions de l’an 2,
Thierry Groensteen, La bande dessinée, son histoire et ses maîtres, Musée de la bande dessinée, 2009
Thierry Smolderen, Naissances de la bande dessinée, Les Impressions Nouvelles, 2009
Sur Claude Moliterni : http://www.claudemoliterni.com/
Sur Thierry Groensteen : http://www.editionsdelan2.com/groensteen/

Published in: on 18 janvier 2010 at 10:55  Comments (3)  

Parcours de blogueur : Gad et le blog Ultimex

Avant de commencer à vous parler du blogueur du jour, Gad, quelques informations toutes fraîches sur la BD en ligne.
Les résultats du concours Révélation blog que j’évoquais il y a peu dans cet article (lien) sont tombés le 11. Les trois lauréats, sélectionnés par les votes du public et le choix du jury sur les trente blogs bd sélectionnés sont donc le Blog de Martin (http://www.monkeyworst.blogspot.com/ ), le Lillablog (http://lillablog.over-blog.com/ ) et le Yodablog (http://www.yodablog.net/ ). Le 29 janvier, lors du festival d’Angoulême, sera choisi parmi ces trois finalistes le blogueur qui pourra éditer son album chez Vraoum. Je vous laisse consulter ces trois blogs bd aux styles très différents.
Depuis le 12 janvier, la BD en ligne s’enrichit d’une nouvelle série, The Shakers, un feuilleton policier par Fred Boot (http://www.the-shakers.net/ ). Ce dessinateur a déjà publié de nombreuses BD en ligne et Julien Falgas (http://blog.abdel-inn.com/) l’évoque dans son dernier article, expliquant comment Fred Boot utilise les potentialités de la BD numérique, notamment dans la fusion de plusieurs procédés (image narrative, graphisme pur, texte seul, musique…). Un bon exemple, donc, de ce que pourrait être une BD numérique innovante.

Le blog de Gad, aux origines d’Ultimex
Mais revenons-en au sujet qui nous occupe aujourd’hui : le blogueur Gad, indissociable de la série qui l’a fait connaître sur la toile depuis 2008, Ultimex. Car, contrairement à de nombreux blogueurs bd présentés jusque là sur ce blog, la carrière de Gad commence avant tout sur internet. Petit retour en arrière…
Gad, de son vrai nom François Gadant, commence à publier en décembre 2007 les aventures de son héros Ultimex sur le blog Lizzycool (http://lizzycool.over-blog.com), collectif d’auteurs rassemblant Gad, Karh et Thom. Pour ces jeunes auteurs, Internet est devenu un bon moyen de diffuser leurs dessins au-delà de leur fanzine Drawer’s High. Puis, dès 2008, alors que Lizzycool s’éteint doucement, Gad ouvre son propre blog dédié au personnage d’Ultimex, http://ultimex.over-blog.com. Il commence alors à publier des planches régulières de cette série ayant pour titre exact Ultimex et Steve, le faire-valoir prodige. S’enchaînent alors 6 saisons pour plus de 130 épisodes, le blog continuant encore à ce jour. Depuis avril 2009, la saison 6 inaugure d’ailleurs une nouvelle expérience, celle de l’histoire longue, alors que les saisons précédentes étaient des successions de gags courts en une planche.

Les éditions d’Ultimex : Vraoum et les éditions Lapin


Mais 2009 est aussi pour Gad l’année de l’édition papier de ses premiers albums. Comme de nombreux blogueurs bd publiés, il profite de maisons d’édition tournées vers la création graphique sur internet. Les éditions Lapin, une des premières maisons d’éditions de BD sur internet, publie fin 2008 sa participation aux 24h de la bande dessinée sous le titre Ultimex et Steve, le faire-valoir prodige. C’est cette maison qui édite son dernier album, Le duel, en septembre dernier, album qui est pour lui l’occasion de développer un récit complet de soixante pages. Mais Gad est également repéré par les éditions Warum pour figurer dans son label grand public, Vraoum. Il y publie un recueil intitulé Le mauvais oeil. Au sein de ce label, il cotoie d’autres blogueurs bd : Bastien Vives, Monsieur le Chien et bien sûr Wandrille, cofondateur de Warum. Le mauvais oeil se veut un ensemble de planches publiées sur le blog, choisies et redessinées pour pouvoir être publiables.
Gad, avec sa série Ultimex, est représentatif des dessinateurs ayant percé grâce aux blogs, partant d’une expérience limitée dans le fanzinat pour, en quelques années, parvenir à l’édition (Miss Gally, Monsieur le Chien, Aseyn, Martin Vidberg…). Autour de quelques maisons, qu’elles soient sur Internet (Lapin, Foolstrip…) ou uniquement en format papier (Warum, Diantre !, la collection Shampooing de Delcourt, Makaka éditions…), les blogueurs bd des années 2007-2009 trouvent des points d’attache et des manières de sortir du seul format du blog.

Mauvais esprit et mauvais oeil

Ultimex, sans doute, n’est pas à mettre entre toutes les mains. Série provocatrice, à l’humour souvent trash et d’un mauvais goût revendiqué, elle reste pourtant suffisamment originale dans le paysage actuel de la bande dessinée.
Les personnages, tout d’abord. Ultimex, le héros, est un homme musclé et sûr de lui ayant à la place de la tête un énorme et unique oeil. Il est prétentieux, de mauvaise foi, complètement intolérant, misogyne, mais se montre aussi incroyablement costaud, riche et collectionne les conquêtes d’un soir qui viennent enrichir son étrange vie sexuelle. Il est accompagné par son meilleur ami Steve, dont le titre de « faire-valoir prodige » n’est pas volé puisqu’il a tous les défauts qu’Ultimex n’a pas, à quoi viennent s’ajouter une naïveté malsaine et des désordres psychologiques certains. Leur duo fonctionne, comme souvent, sur cette complémentarité des rôles, Steve admirant et jalousant à la fois son ami. Leurs aventures se décomposent en plusieurs anecdotes d’une ou plusieurs planches.
Dans une interview donnée à l’occasion du festiblog 2009, Gad évoque comme influence « un univers assez désuet comme le vieux graphisme publicitaire américain, les tableaux d’Edward Hopper, les comics des années 50 ». Il y a, en effet, dans Ultimex, un trait rétro, presque maladroit, qui pourrait être sorti d’une vieille publicité où les personnages portent toujours de sordides cravates et des pantalons droits. Les codes graphiques (découpages des cases, choix des cadrages) ont eux aussi quelque chose de traditionnels. La grande force de la série est le décalage entre ce graphisme simple, qui participe d’ailleurs à l’atmosphère dérangeante de l’ensemble, et l’humour glauque dont le ressort principal est le plus souvent l’attitude explosive du héros ou de Steve, son stupide faire-valoir. Situations immorales, violence, sexe, cruauté s’imposent au lecteur qui ne peut s’empêcher de sourire. Le personnage même d’Ultimex, opposant son impeccable costume sombre et sa cravate à son énorme oeil, symbolise sans doute la monstruosité recherchée dans la série. Ultimex est une série animé d’un esprit puissant qui ébranle les bases mêmes de l’âme humaine, nous entraînant dans un monde où à peu près tout ce qui est dépourvu de moralité est permis et interrompt un monde en apparence bien rangé. On pourrait parler de série d’humour, oui, si cet humour n’était pas si noir et glauque.

Bibliographie :
http://ultimex.over-blog.com
http://www.festival-blogs-bd.com/2009/08/interview-2009-gad.html
Ultimex et Steve, le faire-valoir prodige, éditions Lapin, 2008
Ultimex, le mauvais oeil, Warum, 2009
Le duel, éditions Lapin, 2009

Published in: on 14 janvier 2010 at 21:25  Laissez un commentaire  

(Auto-)initiation à l’univers de la BD numérique

En créant sur la toile un blog de plus sur la BD, je n’avais pas imaginé, il y a quatre mois de cela, me retrouver face à un si imposant édifice : celui de la BD numérique. Alors principalement lecteur de bd papier (ce que je suis toujours, par ailleurs), j’étais venu à la bd en ligne via les blogs bd vers 2005, c’est-à-dire à peu près comme tout le monde, au moment de l’explosion du phénomène. Et déjà, ces blogs bd me paraissaient des innovations incroyables où le langage séquentiel de la bande dessinée dépassait son traditionnel rôle de narration pour entrer dans une fonction plus large de communication. Quatre ans plus tard, la BD numérique s’impose à mes yeux comme l’avant-garde innovante du média bande dessinée. Je découvre alors le retard que j’ai pu accumuler en quelques années, moi dont la maîtrise d’internet et du numérique est assez bonne, sans être celle d’un professionnel. Retour rapide sur mon propre parcours dans le maquis de la BD numérique : les blogs bd d’abord, donc, phénomène dont l’un des principaux mérites et d’avoir attiré le regard du lecteur de bd du livre à l’écran ; puis vient Scott Mc Cloud et son Reinventing comics : cet auteur américain, déjà théoricien de la BD, est l’un des premiers à se poser la question de la BD numérique et de ses opportunités ; ensuite, une familiarisation encore quelque peu distancié avec toutes les formes d’édition, d’hébergement et de publicité des blogs bd, webcomics, et autre forme de bd en ligne dont les sites Lapin, Blogsbd.fr, Webcomics.fr, Foolstrip sont, chacun dans leur domaine, des représentants ; l’interview de Yannick Lejeune m’a mis la puce à l’oreille sur l’ampleur de ceu que pouvait être les réflexions sur la BD numérique ; enfin, plus récemment, un tour du web m’a montré que ces réflexions étaient déjà largement entamées par des blogueurs, des dessinateurs, des internautes français… J’avais donc de la lecture et du temps de retard qu’il m’allait falloir rattraper…

Ce préambule un peu long et inhabituellement envahi de « je » et de « moi » pour introduire une vision de la Bd numérique, et surtout, je l’espère, des clés pour ceux qui souhaiteraient s’y intéresser plus amplement. Je commence en signalant d’emblée les sources qui m’ont servi pour réaliser cet article, et j’espère qu’ils ne m’en voudront pas de diffuser ainsi leurs réflexions (mais il m’aura semblé que les progrès de la BD numérique, pour avoir un impact, doivent être partagés).
http://blog.abdel-inn.com/ : blog de Julien Falgas, spécialiste de la Bd numérique et qui enrichit le débat par ses connaissances du secteur. Il est à l’origine de l’hébergeur Webcomics.fr.
http://lecomptoirdelabd.blog.lemonde.fr/ : Sébastien Naeco, du Comptoir de la BD, site hebergé par LeMonde.fr, a livré depuis l’automne 2009 de nombreux billets sur la Bd numérique.
http://www.prisedetete.net/ : Tony, auteur d’un mémoire intitulé « Bande dessinée interactive : comment raconter une histoire ? » a travaillé en théorie et en pratique sur les potentialités de la Bd numérique.

Quelle est donc cet étrange objet que l’on nomme « Bd numérique » ?

Sur ce point, il est clair que la Bd numérique n’est pas une seule chose, est qu’il serait vain de l’isoler en une définition. Je reprends ici une phrase de Yannick Lejeune lors de la précédente interview : « Les gens ont tendance à mélanger l’outil, la bd faite avec des outils numériques qui aujourd’hui a de moins en moins de sens puisque tout le monde y vient ; la plate-forme de diffusion, diffuser par des canaux numériques ; le support de lecture, avec les bd sur téléphone qui sont de la bd numérique. Non… La plupart des bd sur support numérique, c’est pas de la bd numérique. » A l’heure actuelle, plusieurs directions sont prises dans le monde de la bande dessinée dont le point commun est d’associer bande dessinée et support numérique :
Il y a d’abord l’adaptation de bande dessinée papier traditionnelle sur des supports de lecture numérique, soit sur écran d’ordinateur, soit sur Iphone. Deux exemples : la firme Ave! Comics (montée en 2008-2009) s’est spécialisée dans l’adaptation de BD pour supports mobiles (téléphones, Ipod…). Ils ont notamment participé à Bludzee, série de strips conçus spécialement pour téléphones portables par Lewis Trondheim (http://www.ave-comics.com/?gexp=true et une interview sur Bodoï ) ; Digibidi (janvier 2009) offre aux éditeurs un espace de diffusion sur internet, le lecteur ayant soit accès à des previews gratuites, soit pouvant télécharger pour un prix modique des albums entiers. Ils assurent par exemple la diffusion d’albums des éditions Soleil ou Humanoïdes Associés (http://www.digibidi.com/ et une interview sur Bodoï ).
Il y a ensuite, et c’est une autre étape, la création originale de bd diffusées numériquement. Notre premier cas a avant tout un impact commercial : il s’agit d’éditeurs tentant de gérer la vague numérique qui s’abat sur le monde de la culture en la maîtrisant par le biais de leur catalogue papier. Mais il ne s’agit pas de création originale prenant appui sur le numérique. Certaines bd ne sont disponibles que sur internet, ou du moins, en premier lieu sur internet. Les blogs bd en sont bien sûr un exemple, mais il existe en 2009 quelques maisons d’éditions en ligne (Manolosanctis, Foolstrip…) ainsi que des hébergeurs (Webcomics.fr, 30joursdebd…).
Toutefois, une grande partie de cette création originale utilise les moyens et les codes de la bd papier. Certains blogs bd, par exemple, sont des dessins réalisés de façon traditionnelle, avec des crayons et du papier, et ensuite scannés. Et je reprends les paroles de Yannick Lejeune : quand on parle de Bd numérique, il faut avant tout distinguer le numérique comme outil de réalisation, le numérique comme vecteur et support de diffusion et le numérique comme moyen d’innovation qui permettent d’aboutir à des Bd ne pouvant se lire que sur internet…

Justement, où peux-t-on lire de la BD numérique qui ne soit pas de la simple adaptation de bd papier ?

L’un des défis que doivent relever les acteurs de la BD numérique est l’invention d’une nouvelle forme de bande dessinée. Scott McCloud (http://scottmccloud.com/), déjà, exprime cette ambition en défendant la théorie du « infinite canvas », qui affirme que, pour la bande dessinée, une page internet fait éclater les limites de taille qui s’imposent naturellement à une bd papier (elle permet, par exemple, un défilement vertical de l’image en théorie infini).
Quelques dessinateurs français ont tenté à leur manière de développer une telle approche, partant du postulat que faire de la bd publiée sur internet autorise des innovations et formes complètement nouvelles.
Tony (http://www.prisedetete.net/) soutient ainsi que la principale innovation potentielle de la bd numérique est l’invention d’une bd interactive où l’auteur prend en compte le lecteur et l’amène à agir dans la bande dessinée. Sa propre oeuvre, Prise de tête (http://www.prisedetete.net/pdt/), tient compte de ces potentialités : le lecteur doit cliquer pour faire défiler les séquences, déplacer des cadres, faire bouger sa souris pour qu’apparaissent les éléments nécessaires à la compréhension… C’est aussi autour de l’interactivité que travaille Moon sur son blog (http://lebloggirlydemoon.blogspot.com/ ) où l’histoire est racontée par l’intermédiaire des actions du lecteur sur l’image.
Mais pour le dessinateur Balak, l’interactivité n’est pas nécessairement le seul trait de la bd numérique. Il propose sur son blog des bd-diaporama à mi-chemin entre le dessin animé et la bande dessinée : le lecteur fait défiler l’histoire en cliquant et l’image initiale évolue progressivement. Le travail que fait l’oeil sur un album papier est ici assuré par la fluidité de l’application numérique. Un exemple ici : http://www.catsuka.com/interf/tmp/bdnumerik_by_balak.html et d’autres sur son blog.

Et quel est l’état actuel de ce vaste secteur encore en cours de définition qu’est le Bd numérique, en France ?
Je vais ici laisser la parole à des connaisseurs du secteur qui ont déjà donné leur avis. Julien Falgas, par exemple, fait remarquer le retard pris par la France dans ce domaine. Dans un récent billet (2 janvier 2010), il présente la situation ainsi : « Or les professionnels de la BD francophone abordent le numérique avec des années de retard par rapport aux anglophones et aux asiatiques. Cette prise de conscience récente prend place dans un contexte marqué par de très fortes particularités par rapport aux marchés étrangers :
prédominance du blog BD,
bonne santé du secteur traditionnel (le livre),
attentisme des auteurs quant aux modèles que proposeront les acteurs traditionnels (éditeurs).
Rappelons qu’un Eisner Award récompense le meilleur webcomic depuis 2005. Chez nous, le blog BD n’est récompensé depuis 2007 que sous l’angle de la « révélation »… ».
Je vous laisse relire un précédent article réalisé par Julien Falgas dans le cadre d’une interview en septembre dernier, dans lequel il donnait un regard sur la Bd numérique (La Bd numérique vue par Geek magazine ).
De son côté, Sébastien Naeco du Comptoir de la bd voit l’année 2010 comme celle d’une possible explosion de la Bd numérique et recommande aux acteurs français d’en profiter avant que les Etats-Unis et le Japon ne soit trop en avance (billet du 5 janvier 2010, http://lecomptoirdelabd.blog.lemonde.fr/2010/01/05/bd-numerique-les-bonnes-resolutions-pour-2010/ ). Il nous avait déjà offert un tour d’horizon des technologies numériques permettant de lire la BD, pointant notamment du doigt le rôle joué par les firmes de jeux vidéos et par les dérivés des e-book (billet du 16 décembre 2009 Sur quoi lire une bd numérique).
Tous deux ont applaudi les innovations apportées respectivement par Balak, Moon et Tony, exemples encore peu nombreux mais néanmoins réels d’une expérimentation francophone en matière de Bd numérique.
Un point reste encore en suspens : la motivation des auteurs. Dans cette interview donnée à Sébastien Néaco (Yannick Lejeune du Festiblog à Delcourt ), Yannick Lejeune demande une création spontanée qu’on ne cherche pas d’emblée à canaliser mais que l’on laisse se développer : « La création a toujours été spontanée et chaotique. A ma connaissance, les plus grandes innovations artistiques viennent avant tout d’auteurs qui se sont placés en rupture, hors de tout cadre. Dans la BD, c’est arrivé très souvent : ne serait-ce qu’avec les indés et leurs nouveaux formats, tous ces gens n’ont pas attendu qu’on leur donne un référentiel pour tenter de nouvelles choses et prendre des risques. Du fait même de l’évolution très rapide des idées créatives et des supports, la BD numérique sera un modèle en constante évolution, en tout cas dans les mois à venir. Il sera donc difficile de la contenir et de la baliser : vive le bordel ! ». Selon lui, l’initiative doit d’abord venir des auteurs, non des structures d’éditions et de diffusion. Je vous laisse lire, sur cette même site, la déclaration d’un auteur de Bd, Joseph Behé sur son attitude face à la Bd numérique : ( Bd numérique, l’avis d’un auteur, Joseph Behé ).

En guise de conclusion l’observateur occasionnel et assez ignorant en matière de nouvelles technologies (et donc enthousiaste) que je suis isole trois faits qui me semblent montrer que 2009 a préparé l’arrivée de la Bd numérique qui pourrait bien jouer un rôle de plus en plus important en 2010 :
La multiplication des acteurs impliqués dans la bd numérique, en particulier des éditeurs, des hébergeurs et des fournisseurs de service (même si cette multiplication n’est pas obligatoirement une bonne chose, elle assure l’existence de structures de base qui ne demandent qu’à évoluer).
Le lancement de Bludzee à l’automne 2009 qui marque une étape dans le diffusion de bd via des supports numériques mobiles et donc l’ouverture d’un nouveau marché auprès d’un plus vaste public.
Et bien sûr, la multiplication des réflexions sur la toile autour de la Bd numérique qui peut, je l’espère inspirer des éditeurs et des auteurs. Ceux-ci se tournent d’ailleurs vers internet, soit en proposant des preview, soit en vendant des albums au téléchargement. N’oublions pas que Delcourt compte désormais dans ses rangs Yannick Lejeune, organisateur du festiblog et passionné de bd numérique, pour développer des projets autour de ce nouveau secteur.

Il me semble que le chemin vers une meilleure connaissance par le public de la Bd numérique ne peut être qu’extrêmement progressif et passe par une affirmation en continu que la Bd peut aussi se lire sur internet. De ce point de vue là, le mouvement des blogs bd a initié un élan qui pourrait aboutir à une prise de conscience du public. D’autre part, ce qui me paraît intéressant c’est qu’on assiste, en direct, à l’évolution d’un art : la Bd, dans sa composante numérique, montre qu’elle sait s’adapter à la nouveauté qu’est internet. Un art a du sens lorsqu’il prouve sa capacité d’évolution et qu’il est encore capable d’offrir des oeuvres complétement inédites, impensables quelques années auparavant, tant pour des raisons d’évolution esthétique que de savoir-faire technique. La question qui se pose encore en ce début de 2010 est qu’il n’y a pas eu de véritables rencontres entre les acteurs « structurels » (éditeurs, hebergeurs) qui ont déjà commencé à créer un marché en se servant de vieilles licences et des auteurs exploitant le numérique pour ses potentialités esthétiques ; il est vrai que sur ce dernier point, la bd numérique en est encore à ses balbutiements.

Published in: on 10 janvier 2010 at 19:46  Laissez un commentaire  

Parcours de blogueur : Guillaume Long

Dans un précédent parcours de blogueurs, j’évoquais Nancy Pena, auteur de Tea Party, en sélection officielle au festival d’Angoulême 2010. Son compagnon, Guillaume Long, fait lui aussi partie de la blogosphère avec deux blogs dont un sur la plateforme du Monde.fr. Ce jeune auteur né en Suisse en 1977 a déjà publié, dans les années 2000, de nombreux albums originaux et passionnants, dans l’esprit de la bande dessinée indépendante, expérimentale et autobiographique.

Reconnaissance rapide et parcours diversifié

Guillaume Long fait partie de la jeune génération de dessinateurs suisses qui, à l’image de Frederik Peeters (Pourquoi lire Frederik Peeters ?), Tom Tirabosco, Pierre Wazem, Ibn al Rabin, commencent leur carrière dans les années 2000 et allient assez rapidement une honnête reconnaissance et une production intense d’au moins un album par an. C’est toutefois en France qu’il s’établit en intégrant l’Ecole des Beaux-Arts de Saint-Etienne. (époque qu’il raconte dans Comme un poisson dans l’huile et Les sardines sont cuites).
Après un court premier album publié en 2001 aux éditions Memyself, maison d’auto-édition du dessinateur Ibn al Rabin, Guillaume Long trouve une place auprès de deux maisons d’éditions : Vertige Graphic (http://vertige-graphic.blogspot.com/) pour la BD adulte et La joie de lire (http://fr.wikipedia.org/wiki/La_joie_de_lire) pour la BD jeunesse. Car il navigue, comme beaucoup d’auteurs de BD, entre les deux eaux de l’édition adulte et de l’édition jeunesse, alternant dans sa production des albums pour l’une ou pour l’autre. Vous l’aurez compris, c’est surtout sa production de BD adulte qui m’intéresse, même si sa participation active à La Joie de lire, maison d’édition jeunesse suisse fondée en 1987, n’est pas dénuée d’intérêt en ce qu’elle montre la complémentarité des deux métiers de dessinateurs adulte et enfant (La Joie de lire a dans son catalogue d’autres dessinateurs de Bd suisses comme Tom Tirabosco, Pierre Wazem et Alex Baladi). Vertige Graphic l’inscrit bien dans la mouvance de l’édition indépendante : maison fondée en 1987, elle édite essentiellement des auteurs étrangers reconnus pour leur singularité graphique (Pratt, Mattoti, Breccia, Sacco) et des albums expérimentaux, catégorie dont fait partie Guillaume Long avec ses trois albums autobiographiques : Comme un poisson dans l’huile, Les sardines sont cuites et Anatomie de l’éponge. Récemment, toutefois, il a publié dans le label « rock » de Casterman, KSTR qui édite des auteurs débutants, l’album La cellule.
Une première marque de reconnaissance est venue à Guillaume Long lorsqu’il a reçu en 2003 le prix Töpffer de la ville de jeunesse pour Les sardines sont cuites, prix qui encourage un jeune auteur résidant à Génève. Il travaille également beaucoup pour la presse, mêlant là aussi presse jeunesse (Okapi, Tchô, Phosphore, Astrapi…) et presse adulte (Le Matin, Le Monde, La Tribune de Genève…). Il lui arrive également occasionnellement, pour compléter sa panoplie d’illustrateur, de réaliser des pochettes de disques (notamment pour Angil and the Hiddentracks, http://www.angil.org/).

Un blog appétissant

Guillaume Long est aussi un blogueur, ce qui est loin d’être la partie principale de son travail mais qui l’inscrit malgré tout dans la mouvance de la BD sur internet et lui donne une présence sur la toile. C’est en janvier 2007 qu’il commence un blog intitulé un café, un dessin (http://uncafeundessin.canalblog.com/ ) qui, comme son nom l’indique, rassemble des petits dessins impromptus réalisés sur un coin de table, insolites et expérimentaux, comme cet étrange haltérophile.
Depuis octobre 2009, sa carrière de blogueur a pris un élan supplémentaire puisqu’il est devenu blogueur invité sur lemonde.fr, rejoignant ainsi ses collègues Martin Vidberg et Nicolas Wild (évoqué dans un précédent Parcours de blogueur). Le thème du blog, qui a pour titre A boire et à manger (http://long.blog.lemonde.fr/) est, comme son nom l’indique, la cuisine, sujet passionnant s’il en est et qui donne l’occasion à Guillaume Long de partager son goût pour la gastronomie. L’occasion pour lui soit de nous narrer des anecdotes de vie culinaires, de donner des astuces, mais surtout de dessiner ses recettes préférées. Ainsi nous explique-t-il, non sans mauvaise foi, comment faire un bon café avec une vraie cafetière italienne ( Pause café ). Ou encore, fin gourmet, nous donne-t-il d’étonnantes mais néanmoins apétissantes recettes à base de radis noir (Le radis noir le week-end aussi ). Une manière pour lui de concilier deux passions, le dessin et la gastronomie domestique. Le rapport dynamique entre les commentaires et les dessins rend la lecture fluide et amusante.

Une question d’influence


Guillaume Long se pose lui-même des questions sur ses influences dans son album Anatomie de l’éponge, paru en 2006. Plusieurs noms en ressortent qui nous éclairent sur son style. Le rôle de ce qui fut appelée au début des années 2000 la « Nouvelle bande dessinée française » y est incontestable : Blain, David B., Sfar, et bien sûr Trondheim.
Déjà se ressent sur le blog un goût pour la narration concise et efficace, convenant parfaitement à l’objectif que Guillaume Long s’est donné : décrire des recettes de cuisine. Il n’est nul besoin d’encombrer les descriptions de détail, mais il faut simplement aller à l’essentiel. Ainsi maîtrise-t-il bien les rapports entre le texte, comme une voix-off, et le dessin. C’est d’ailleurs là une des marques de fabrique de ses albums pour adultes (tandis que les albums enfants font davantage appel à une narration à bulles traditionnelles) : il délimite le plus souvent sa narration en petites séquences de cases soutenues par un texte sous-jacent transcrivant les pensées ou le récit du personnage-narrateur. Si, dans le blog, ce rapport texte-image est extrêmement simple (le texte complète naturellement les informations du dessin qu’il rapporte ainsi à une narration parlée) dans la mesure où Guillaume Long ne cherche pas à y faire une oeuvre d’art mais à s’exprimer clairement en image (ce qui n’est déjà pas toujours facile !), les rapports en question se complexifient dans ses albums. Il fait souvent appel au décalage ironique : le narrateur raconte la scène dans le texte mais le lecteur s’aperçoit, par l’image, qu’elle ne se passe pas aussi bien qu’elle est décrite. C’est là par exemple tout le propos de « I smell smoke », court récit paru dans le recueil Anatomie de l’éponge : il y décrit sa rencontre avec le groupe Angil and the Hiddentracks, idéalisée dans la narration, catastrophique d’après le dessin…
La patte de Lewis Trondheim perce dans le minimalisme expérimental de certains albums, et notamment le dyptique Comme un poisson dans l’huile/Les sardines sont cuites dans lequel il s’attarde sur ses années passées aux Beaux-Arts et son amitié avec Rémi, un de ses camarades. Exercice transformé en expérience sur l’autobiographie et l’interrogation sur ce qu’est la « vérité » de ce genre. Dans Comme un poisson dans l’huile, il développe le récit en 1200 petites cases carrées de même taille (même procédé que dans Lapinot et les carottes de Patagonie de Trondheim en 1992). Le texte est volontairement concis et insuffisant tandis que le dessin révèle, parfois brutalement, les difficultés du narrateur; le tout amenant un étrange sentiment de malaise. Dans ces deux albums, proches de véritables exercices de style, mais aussi dans d’autres productions ou sur son blog, Guillaume Long montre qu’il aime expérimenter, dans le dessin ou la narration : jeu sur le contour des cases, clair-obscur expressionniste, itération iconique, minimalisme allant jusqu’à l’abstraction ; dans La cellule, la réalité, tout comme le dessin, se déforme pour le héros qui vient de se faire larguer par sa copine.
Autre trait qui le rapproche des influences de la BD indépendante des années 1990 : l’autobiographie est le genre favori de Guillaume Long ; sa vie, réelle ou romancée, la matière principale de son inspiration. Et il ne s’agit pas seulement de raconter sa vie, mais surtout d’analyser son travail de dessinateur. Seul La cellule parut plus récemment chez KSTR, vient rompre avec la spécificité autobiographique.
Son rapport à Lewis Trondheim est le fil conducteur de Anatomie de l’éponge. Le célèbre dessinateur y devient « Luis Troën » est l’évocation de son simple nom provoque chez Guillaume Long des crises de timidité aiguës. Le tout est émaillée de références constantes à La mouche, célèbre série muette de Trondheim. Une obsession parcourant l’album du début et jusqu’à la fin où un postface est justement dessiné par l’idole de Guillaume Long.

Bibliographie :

Hin! Hin!, Editions MeMyself, 2001
Quentin et les étoiles magiques (avec Nathalie Gros), Editions Alice Jeunesse, 2001
Comme un poisson dans l’huile, Vertige Graphic, 2002
Les sardines sont cuites, Vertige Graphic, 2003
Swimming poule mouillée, La Joie de lire, Collection Somnambule, 2003
L’imagier de Guillaume, La Joie de lire, 2005
Anatomie de l’éponge, Vertige Graphic, 2006
Le grand méchant huit, La Joie de lire, Collection Somnambule, 2006
La cellule, KSTR, 2008
Plâtatras!, La Joie de lire, Collection Somnambule, 2009
101 bonnes raisons de se réjouir de lire, La Joie de Lire, Collection 101 bonnes raisons de se réjouir de…, 2009

Webographie :
Un café un dessin
A boire et à manger
Book en ligne

Published in: on 7 janvier 2010 at 08:41  Laissez un commentaire  

Révélation blog 2010 : à la chasse aux auteurs débutants

Le blog repart de plus belle pour l’année 2010… Je commence avec une actualité du monde des blogs bd :

Le 21 décembre 2009 est tombé la liste des 30 concurrents sélectionnés pour le prix révélation blog. Qu’est-ce que ce prix ? Qui en sont les organisateurs ? Qu’augure-t-il pour l’avenir de la bande dessinée ? Et surtout, quels dessinateurs nous révèle-t-il ? Voilà ce que je tenterais de vous expliquer dans cet article. Pour me suivre, allez d’abord faire un tour sur le site de l’évènement : http://www.prixdublog.com/.

Du phénomène de mode des blogs à la concrétisation professionnelle
A l’occasion du festival d’Angoulême 2008, alors que le phénomène des blogs bd s’est largement répandu sur le net, un nouvel événement est inauguré, le concours révélation blog. Le règlement, jusque là inchangé, est le suivant : le concours est ouvert à tous les blogueurs de plus de 17 ans, encore non édité. Les concurrents peuvent se faire connaître au mois de décembre. Une première sélection est effectuée, désignant trente blogs (pour l’édition 2010). Les internautes sont alors invités à voter, du 26 décembre au 10 janvier, pour le blog(s) préféré(s) (un vote par jour et par personne). Enfin, un jury de professionnels choisit, parmi les blogs les plus plébiscités, trois gagnants qui seront invités au FIBD pour se voir remettre leur prix. Le vainqueur aura la possibilité d’éditer un projet issu de son blog chez Vraoum. Les deux dauphins pourront quant à eux être édités chez Diantre !, et à l’Officieuse collection.
L’objectif est clair : alors que le nombre de blogs bd de dessinateurs amateurs a augmenté depuis 2007, il se peut que parmi eux se trouvent de futurs auteurs talentueux à qui il serait utile de laisser une chance. Dont acte : les deux gagnants des éditions précédentes, Aseyn (The tarp has sprunk a leak) et Lommsek (Shaïzeuh !) sortent leur album respectif chez Vraoum en janvier 2010, à l’occasion du FIBD. (je reviendrais sur ces albums le moment venu.).
A l’initiative de ce projet se trouve un partenariat entre le FIBD, principal festival de BD français, le mieux capable d’assurer une couverture médiatique à l’évènement auprès des amateurs, et trois jeunes maisons d’éditions proches du monde des blogs bd, Vraoum, label des éditions Warum (http://www.warum.fr/index.php co-fondée en 2004 par le blogueur Wandrille) ; Diantre ! (http://www.diantre.fr/) qui a publié l’album de Miss Gally Mon gras et moi, primé à Angoulême en 2009) et l’Officieuse collection (http://www.officieuse.com/), micro-éditeur mêlant édition en ligne et format papier, crée en 2007 par les blogueurs l’Esbroufe et Raphaël B.
Dans le même ordre d’idée, le jury est essentiellement composé de personnalités venues de l’univers des blogs bd, mais aux parcours suffisamment divers. Ainsi pour cette édition 2010 trouve-t-on d’une blogueuse établies en tant que dessinatrice professionnels (Marion Montaigne), les lauréats de l’édition précédente (Lommsek, Vincent Caut, Dromadaire bleu), un blogueur-graphiste-journaliste sur Nolife tv (Davy Mourier), des représentants des différents partenaires, eux aussi blogueurs, (Wandrille pour Vraoum, Pauline Bravar pour Diantre et Paprika pour le Festiblog), enfin, Matt, le créateur du blogroll Blogsbd.fr (figure incontournable de l’univers des blogs bd) et Ezilda Tribot, responsable au FIBD du « Pavillon jeunes talents ».

Dans le même temps, lier le FIBD, vieille et honorable institution de la BD (mais qui, depuis quelques années, cherche clairement à se renouveler), au phénomène des blogs bd permet de légitimer ces derniers en affirmant qu’il ne s’agit pas que d’un phénomène de mode passager sans véritable intérêt pour l’industrie de la bande dessinée, mais, que, bien au contraire, un oeil attentif et ouvert peut en tirer quelque chose. Le FIBD a déjà démontré à d’autres occasions son ouverture et son soutien aux dessinateurs amateurs ou débutants : dès la première édition existe un prix du meilleur premier album (intitulé tour à tour Prix du meilleur espoir puis depuis 2007 Essentiel révélation, il récompense à présent un auteur en début de parcours professionnel) ; Bastien Vivès en a été le dernier lauréat avec Le goût du chlore) ; un prix « jeunes talents » est également décerné à un jeune dessinateur n’ayant jamais publié.
En soutenant des blogueurs bd (jeunes ou moins jeunes, mais toujours débutants), une nouvelle étape est franchie : il n’aura fallu que quelques années entre l’explosion du phénomène des blogs bd et son intégration au FIBD. Je ne peux que me satisfaire de cette capacité que montre une partie du milieu de la bande dessinée à s’intéresser à un phénomène neuf, qui plus est lié à Internet (donc à un média étranger par nature à la BD). Et j’ajouterai que cet intérêt porté n’est pas un enthousiasme aveugle car il se fait dans le cadre d’une sélection sérieuse, assurant de cette manière sa légitimité (tout n’est pas à jeter dans les blogs bd, mais tout n’est pas bon à prendre non plus). Le mode de sélection trouve un équilibre entre le seul plébiscite des lecteurs et l’approbation par un jury de professionnels, éditeurs et spécialistes. Certes, l’initiative vient de maisons d’éditions soutenant elle-même le mouvement des blogs bd, ce qui relativise l’évènement, le restreignant encore, pour le moment, dans un cercle réduit de connaisseurs (même si Warum et Diantre sont loin de ne publier que des blogueurs, bien entendu). Néanmoins, la formule choisie me semble d’autant plus intéressante qu’elle n’essaye pas de profiter commercialement de la vague des blogs bd en abandonnant toute ambition artistique, mais qu’au contraire elle cherche, en proposant l’édition d’un album autre que « l’album du blog », à amener de jeunes dessinateurs à montrer leurs capacités. Ce qui, à mon sens, différencie l’opération des nombreuses éditions de blogs bd dont l’intérêt semble parfois limité, surtout quand ils ne sont qu’une compilation non-réfléchie d’extraits du blogs. Les lauréats des années précédentes ont bien été jugé sur leur talent de dessinateur et non sur leur popularité. Le concours révélation blog interroge plutôt l’avenir de la bande dessinée et sa capacité à motiver des dessinateurs débutants, et s’extrait déjà du phénomène de mode pour en faire autre chose.

Les concurrents 2009 : aperçu et sélection

Depuis 2007, de nombreux blogueurs ont eu l’occasion de publier un premier album, ne serait-ce que l’album de leur blog. Tous ces blogueurs ayant déjà intégré le monde de l’édition sont donc exclus d’emblée de la compétition. Mais la sélection des 30 meilleurs blogueurs bd laisse encore apparaître de nombreux talents. Il est difficile de savoir, évidemment, si le passage du blog, espace de publication sans contraintes, à l’album, sera payant. La plupart des blogueurs bd sélectionnés répondent déjà à deux critères importants : un style personnel et original et une maîtrise de la narration graphique à court terme (pour certains, déjà, à long terme).
J’ai essayé ici de sélectionner, à destination des lecteurs de phylacterium, les 10 blogs qui m’ont paru les plus intéressants parmi les 30 sélectionnés. Les votes sont ouverts jusqu’au 10 janvier, donc n’hésitez pas à voter vous aussi et soutenir les blogueurs qui vous semblent les plus prometteurs.

Il y a d’abord trois blogueurs que j’ai déjà dû évoqué dans mes articles et dont je suis un spectateur régulier. Ils tiennent leur blog depuis plus d’un an et sont connus pour leur style graphique bien particulier. Tim, sur son blog A cup of tim utilise exclusivement des feutres, ce qui lui permet une réalisation rapide et des notes très colorées. Il mêle anecdotes de vie et récits oniriques où sa bonne maîtrise de la couleur donne des effets souvent prenants. Jean-Paul Pognon (http://jeanpaulpognon.canalblog.com/), grand amateur de Trondheim auquel il emprunte souvent le style et l’humour, livre de courtes planches ironiques. Il a renouvelé son blog avec une nouvelle série, Super Pognon, un super héros qui résout les problèmes avec de l’argent. Et enfin, mon chouchou, Eliascarpe, héros du blog Comme un poisson hors de l’eau que j’avais déjà évoqué dans un article précédent (Phantasme) et dont j’adore toujours autant l’humour décalé et le style réalistico-comique.

A côté de ces têtes connues, d’autres concurrents sont tout autant de bonnes surprises que je connaissais moins et que je vous fais ainsi découvrir.
Sur son blog, Fred Noens ( http://frednoens.over-blog.com/ ) cultive le srip minimaliste, mettant en scène les dialogues de deux oiseaux. Un air connu, sans doute, mais le trait est soigné et le dessin expressif. Parcourez les archives pour perdre plusieurs heures à rire. Le blog Une frite dans les fesses est une parodie de blog qui regarde du côté de l’humour crétin et décalé : son héros, Gaylord, dont l’âge mental ne doit pas dépasser celui d’un enfant de 3 ans, raconte d’étranges anecdotes de vie. L’humour comme le style lorgnent du côté de l’underground, de Ferraille ou Winschluss, par exemple.
De nombreux blogs reprennent des formules déjà éprouvées dans les blogs de dessinateurs professionnels, mais le font très bien. Ainsi peut-on rapprocher le blog de Mathias (http://leblogdemathias.blogspot.com/ ) de celui de Marion Montaigne : il illustre régulièrement une originalité de la langue française en variant souvent le style graphique ou narratif, ou la technique. Celui du professeur horreur (http://professeurhorreur.blogspot.com/) doit beaucoup, comme il l’avoue lui-même, à Bastien Vivès : même humour cynique, même traitement par des strips noir et blanc.
C’est pour leur graphisme que je garderais les blogs de Chanouga (http://chanouga.over-blog.com/) et Martin (http://monkeyworst.blogspot.com/). Ils présentent sur leurs blogs des illustrations et des planches. Chanouga, blogueur depuis 2006, est connu pour ses histoires de sirènes et ses créatures monstrueuses ; il allie une grande maîtrise des couleurs et des cadrages étranges qui me rappellent le style d’Yslaire. Quant à Martin, il expérimente des techniques variées (dessin traditionnel, collage, noir et blanc…), au rendu graphique très intéressant. Il présente sur son blog des esquisses de certains projets d’albums.
Enfin, une dernière excellente surprise : le blog d’Adrien Nil (http://adriennil.over-blog.com/), qui en est déjà à sa conquième saison. L’auteur du blog, Vertron, raconte les aventures d’Adrien Nil, aventurier philosophe qui semble tout droit sorti du XIXe siècle. Dans un style réaliste, ce blog, plus proche du webcomic en ce qu’il constitue une histoire complète, dure depuis 2007 et mêle strips (saison 1), grandes aventures épiques dans le passé (saison 2 à 4) et courtes anecdotes historiques (saison 5). Il y en a donc pour tous les goûts et, outre le fait que le dessin, soigné, ait bien progressé, révélant peu à peu les talents de l’auteur, les saisons 2, 3 et 4, sont de véritables albums complets de 54 pages mêlant aventure, humour et connaissances historiques.

Rendez-vous au festival d’Angoulême pour les résultats et pour la parution des deux premiers albums issus du concours révélation blog paru chez Vraoum : La ligne zéro de Lommsek et Abigail de Aseyn.

Published in: on 3 janvier 2010 at 13:28  Laissez un commentaire